mercredi 12 octobre 2016

INDEX NIETZSCHE (14/16) : LA CULTURE, L'ÉDUCATION





Fragments posthumes, 1870-1872,

U I 3-3a, septembre 1870 - janvier 1871 : 5[106] : Qu’est-ce que l’éducation ? [Was ist Erziehung ?]

UI 5a, hiver 1870-1871 - automne 1872 : 8[57] : l’éducation de tous n’est qu’un préstade du communisme. [Die allgemeine Bildung ist nur ein Vorstadium des Communismus: Die Bildung wird auf diesem Wege so abgeschwächt, daß sie gar keine Privilegien mehr verleihen kann. Am wenigsten ist sie ein Mittel gegen den Communismus. Die allgemeinste Bildung d.h. die Barbarei ist eben die Voraussetzung des Communismus. Passage d'interprétation difficile.]

8[62] : impossibilité de la philosophie à l’Université.
D'où aussi impossibilité d’une vraie formation classique. [Die deutsche Wissenschaft und die deutsche Bildung.
Die Unmöglichkeit der Philosophie auf Universitäten.
Darum auch wieder Unmöglichkeit einer wahren klassischen Bildung.]

8[65] : [Das ist etwas Neues. Der Staat als Führer der Bildung. Bei ihm wirken Elemente, die der wahren Bildung entgegengesetzt sind: er rechnet auf die Breite, er richtet sich die vielen jungen Lehrer ab. Lächerliche Stellung der klassischen Bildung: der Staat hat ein Interesse an dem „fachmäßigen“ Lakoniker: wie er in Betreff der Philosophie entweder nur die fachmäßig philologische oder die panegyrische Staatsphilosophie fördert. [...] Eine Menge Lehrer sind nöthig. Es sind Methoden ersonnen, wie sie mit dem Alterthum verkehren können.
Die Lehrer dürften gar nicht mit dem Alterthum verkehren. Aeschylus!
Die Sprachwissenschaft.]


U I 4a, 1871 : 9[70] : Égalité de l’enseignement pour tous jusqu’à 15 ans.
Car la prédestination au lycée par les parents, etc. est une injustice. [Gleichheit des Unterrichts für Alle bis zum 15ten Jahre.
Denn die Prädestination zum Gymnasium durch Eltern usw. ist ein Unrecht.]

5) Le concept épouvantable de maître d’école et d’instituteur
Le métier de professeur proprement dit, l’état de professeur est à briser. Donner l’enseignement est un devoir de l’homme d’âge. [Der schreckliche Begriff des Volkslehrers und Elementarlehrers. Der eigentliche Lehrerberuf, der Lehrerstand ist zu brechen. Unterrichtgeben ist eine Pflicht der älteren Männer.]

L’enseignement classique n’est de toute façon fécond que pour un petit nombre. [Der klassische Unterricht ist überhaupt nur für eine kleinere Zahl fruchtbar.]


P I 16b, printemps 1871 - début 1872 : 14 [11] : " Le principe pédagogique correct ne peut être que celui de mettre la plus grande masse dans le juste rapport avec l’aristocratie spirituelle ; c’est là proprement la tâche de la culture (selon les trois possibilités hésiodiques) ; " [Celui qui pense par lui-même - celui qui se rend au bon avis - l'esprit faux]. [Das richtige Erziehungsprincip kann nur sein, die größere Masse in das rechte Verhältniß zu der geistigen Aristokratiezu bringen: das ist die eigentliche Bildungsaufgabe (nach den drei Hesiodischen Möglichkeiten)]


Considérations inactuelles, I, David Strauss, 1873 :
§ 1: « Nous autres Allemands, dit un jour Goethe à Eckermann, nous sommes d'hier ; il est vrai que depuis un siècle, nous nous sommes solidement cultivés, mais il se peut bien qu'il se passe encore deux siècles avant que nos compatriotes se pénètrent d'assez d'esprit et de culture supérieure pour que l'on puisse dire d'eux qu'il y a très longtemps qu'ils ont été des barbares. »
[„Wir Deutsche sind von gestern, sagte Goethe einmal zu Eckermann, wir haben zwar seit einem Jahrhundert ganz tüchtig kultivirt, allein es können noch ein paar Jahrhunderte hingehen, ehe bei unseren Landsleuten so viel Geist und höhere Kultur eindringe und allgemein werde, dass man von ihnen wird sagen können, es sei lange her, dass sie Barbaren gewesen.]

Louis Dumur, " Nietzsche et la « culture », Mercure de France, 1er février 1908.


Sur l’avenir de nos établissements d’ enseignement, 1874 [Conférences],

Préface : L’avenir de nos moyens et méthodes d’éducation est lié à l’avenir de la culture [Bildung]
nos méthodes modernes : méthodes anti-naturelles de formation [Bildung].
I [16 janvier 1872] : ridicule disproportion entre le nombre des hommes vraiment cultivés et l’énorme appareil de la culture [Bildung]
Deux courants dominent nos établissements d’enseignement :
- pulsion vers l’extension, à l’élargissement maximal de la culture [Bildung]
- pulsion vers la réduction, à l’affaiblissement de la culture elle-même
La culture, pour diverses raisons, doit être étendue aux milieux les plus vastes – voilà ce qu’exige une tendance. L’autre invite au contraire la culture à abdiquer ses ambitions les plus hautes, les plus nobles, les plus sublimes, et à se mettre avec modestie au service de n’importe quelle autre forme de vie, l’État par exemple.
La culture [Bildung] la plus universelle, c’est justement la barbarie.


II [6 février 1872] :
Le gymnasium enseigne non pour la culture [Bildung] mais seulement pour l’érudition ; il prend depuis peu l’allure de ne plus enseigner pour l’érudition, mais pour le journalisme.
C’est l’autonomie véritable qui ne peut s’exprimer qu’en maladresses, c’est l’individu pris exactement qui est réprimandé par le maître et rejeté au profit d’une moyenne décente.
La médiocrité uniformisée reçoit des louanges dispensées à contre-cœur : car c’est elle justement qui d’habitude ennuie fort le maître, et pour de bonnes raisons.
Une éducation correcte devrait réprimer la prétention ridicule à l’autonomie du jugement ;
le laisser-faire universel de ce qu’on appelle la « libre personnalité » ne peut être rien d’autre que le signe distinctif de la barbarie.
On vous pervertit méthodiquement à bredouiller par vous-mêmes, lorsqu’on devrait vous apprendre à parler, à esthétiser par vous-mêmes, lorsqu’on devrait vous mener à la ferveur devant l’œuvre d’art, à philosopher par vous-mêmes, lorsqu’on devrait vous forcer à écouter les grands penseurs.

III [27 février 1872] :
Il existe maintenant presque partout un nombre si excessif d’établissements d’enseignement d’un haut niveau qu'on y utilise toujours beaucoup plus de maîtres que la nature d'un peuple, même richement doué, ne peut en produire ; il arrive donc dans ces établissements un excès de gens qui n’ont pas la vocation, mais qui peu à peu, par leur nombre écrasant et avec l’instinct du similis simili gaudet [inspiré de asinus asinum fricat ?] déterminent l’esprit de ces établissements. [Es existirt jetzt fast überall eine so übertrieben große Anzahl von höheren Bildungsanstalten, daß fortwährend unendlich viel mehr Lehrer für dieselben gebraucht werden, als die Natur eines Volkes, auch bei reicher Anlage, zu erzeugen vermöchte; und so kommt ein Übermaß von Unberufnen in diese Anstalten, die aber allmählich, durch ihre überwiegende Kopfzahl und mit dem Instinkt des „similis simili gaudet“, den Geist jener Anstalten bestimmen.]

L’immense majorité des maîtres se retrouve assurée de son bon droit parce que ses dons sont dans un certain rapport harmonique au bas vol et à la médiocrité de leurs élèves. C'est de cette majorité que viennent les cris qui appellent à fonder toujours de nouveaux lycées et de nouveaux établissements de haut niveau [...] ces hérauts bruyants du besoin de culture se transforment soudain, dès qu'on les regarde de près, en adversaires zélés, voire fanatiques, de la vraie culture, c'est-à-dire de celle qui s'attache à la nature aristocratique de l'esprit : car ils pensent au fond que leur but est d'émanciper les masses des grands individus, au fond ils aspirent à bouleverser d'ordre sacré dans le royaume de l'intellect, la vocation de la masse à servir, son obéissance soumise, son instict de fidélité sous le sceptre du génie. [die ungeheure Mehrzahl der Lehrer fühlt sich wiederum, diesen Anstalten gegenüber, im Recht, weil ihre Begabungen zu dem niedrigen Fluge und der Dürftigkeit ihrer Schüler in einem gewissen harmonischen Verhältnisse stehen. Von dieser Mehrzahl aus erschallt der Ruf nach immer neuen Gründungen von Gymnasien und höheren Lehranstalten [...] jene lauten Herolde des Bildungsbedürfnisses verwandeln sich plötzlich, bei einer ernsten Besichtigung aus der Nähe, in eifrige, ja fanatische Gegner der wahren Bildung d.h. derjenigen, welche an der aristokratischen Natur des Geistes festhält : denn im Grunde meinen sie, als ihr Ziel, die Emancipation der Massen von der Herrschaft der großen Einzelnen, im Grunde streben sie darnach, die heiligste Ordnung im Reiche des Intellektes umzustürzen, die Dienstbarkeit der Masse, ihren unterwürfigen Gehorsam, ihren Instinkt der Treue unter dem Scepter des Genius.]

Donc, ce n’est pas la culture [Bildung] de la masse qui peut être notre but, mais la culture d'individus choisis, armés pou accomplir de grandes œuvres qui resteront. [Also, nicht Bildung der Masse kann unser Ziel sein: sondern Bildung der einzelnen ausgelesenen, für große und bleibende Werke ausgerüsteten Menschen].
l’exigence de l’excès de maîtres de culture vient d’une sphère ennemie de la culture ; les conséquences de cet excès ne profitent qu’à l’inculture
On craint la nature aristocratique de la vraie culture [Bildung]


Fragments posthumes 1872-1873,

P I 20b, été 1872 - début 1873 : 19 [39] : « Si l’humanité reportait sur l’éducation et les écoles ce qu’elle a mis jusqu’ici sur la construction des églises, si elle redirigeait l'intelligence, de la théologie vers l’éducation. » [Wenn die Menschheit, was sie bis jetzt auf den Bau von Kirchen, auf Erziehung und Schulen verwendet, wenn sie den Intellekt, den sie auf Theologie, jetzt auf Erziehung richtet.]

U II 1, printemps-automne 1873 : [66] : Nous n’avons pas de culture [Kultur], nous avons seulement une civilisation avec quelques modes culturelles, plus encore une barbarie.
U II 2, été-automne 1873 : [220] : La culture [Bildung] devient de jour en jour plus faible, parce que la hâte devient plus grande.
U II 3, automne 1873 - hiver 1873-1874 : 30 [6] : Les natures faibles ne doivent pas du tout être prises en compte dans le programme d’éducation ; elles n’auront jamais une grande importance, ni en bien ni en mal.


Schopenhauer éducateur (1874),


§ 2 : " Je me demandais ce qu'il dirait des deux maximes d'éducation qui sont en vogue de notre temps. L'une exige que l'éducateur ait tôt fait de reconnaître le point fort de ses élèves et dirige alors toutes les énergies, toutes les sèves et tout l'éclat du soleil sur celui-ci afin d'amener à maturité et à fécondité cette unique vertu. L'autre maxime veut au contraire que l'éducateur tire parti de toutes les forces existantes, les cultive et fasse règner entre elles un rapport harmonieux. Mais faudrait-il pour autant contraindre à la musique celui qui a une inclination avérée pour l'orfèvrerie ? " [ich überlegte mir, was er zu den beiden Maximen der Erziehung sagen würde, welche in unserer Zeit im Schwange gehen. Die eine fordert, der Erzieher solle die eigenthümliche Stärke seiner Zöglinge bald erkennen und dann alle Kräfte und Säfte und allen Sonnenschein gerade dorthin leiten, um jener einen Tugend zu einer rechten Reife und Fruchtbarkeit zu verhelfen. Die andre Maxime will hingegen, dass der Erzieher alle vorhandenen Kräfte heranziehe, pflege und unter einander in ein harmonisches Verhältniss bringe. Aber sollte man den, welcher eine entschiedene Neigung zur Goldschmiedekunst hat, deshalb gewaltsam zur Musik nöthigen?]

" De quoi ne se contente-t-on pas, même dans nos cercles les plus distingués et les plus instruits, en fait de précepteurs ! De quel ramassis de têtes biscornues et d'institutions vieilliotes ne se satisfait-on pas souvent sous le nom de lycées ! Quel établissement supérieur, quelle université nous satisfont, nous tous, quels dirigeants, quelles institutions, comparés à la difficulté de la tâche d'éduquer un homme en homme !" [Was genügt da nicht alles, selbst bei unsern vornehmsten und best unterrichteten Leuten, unter dem Namen der Hauslehrer, welches Sammelsurium von verschrobenen Köpfen und veralteten Einrichtungen wird häufig als Gymnasium bezeichnet und gut befunden, was genügt uns Allen als höchste Bildungsanstalt, als Universität, welche Führer, welche Institutionen, verglichen mit der Schwierigkeit der Aufgabe, einen Menschen zum Menschen zu erziehen !]

§ 6 : éducation rapide, juste assez approfondie, pour gagner vite beaucoup d’argent.
L’éducation n’a en vue que le profit.


Fragments posthumes 1874-1877,

 U II 5a, début 1874 - printemps 1874 : 32 [73] Éducation du philosophe

U II 8b,printemps-été 1875 : 5[20] : un jour viendra où il n’y aura plus aucune pensée donnée comme éducation [Es wird irgendwann einmal gar keinen Gedanken geben als Erziehung.]

[25] : Éduquer les éducateurs ! Mais les premiers  doivent s’éduquer eux-mêmes ! Et c’est pour eux que j’écris.

[64] : L’éducation est d’abord l’apprentissage du nécessaire, puis du changement et du variable.
Quelle est la puissance de l’homme sur les choses ? C’est la question de toute éducation.

U II 8b, printemps-été 1875 : 5[87] : « L’œuvre de toute éducation est de transformer des activités conscientes en d’autres plus ou moins inconscientes ; et l’histoire de l’humanité est en ce sens son éducation. » [Opposer à Karl Marx, « l’histoire n’est que l’histoire de la lutte des classes »].
[Es ist das Werk aller Erziehung, bewußte Thätigkeiten in mehr oder weniger unbewußte umzubilden: und die Geschichte der Menschheit ist in diesem Sinne ihre Erziehung. Der Philologe nun übt eine Menge Thätigkeiten so unbewußt: das will ich einmal untersuchen, wie seine Kraft, d.h. sein instinktives Handeln, das Resultat von ehemals bewußten Thätigkeiten ist, die er allmählich als solche kaum mehr fühlt: aber jenes Bewußtsein bestand in Vorurtheilen. Seine jetzige Kraft beruht auf jenen Vorurtheilen, z.B. die Schätzung der ratio wie bei Bentley, Hermann. Die Vorurtheile sind, wie Lichtenberg sagt, die Kunsttriebe des Menschen.]


U II 5b, été 1876 : 17[65] : dispensé à l’heure et toutes les matières pêle-mêle. [d'où ces jolis mots d'élèves français fin XXe siècle : " symétrie participiale ", " nombres chargés positivement ".]

17[67] : Les États sincèrement démocratiques doivent à tout prix fournir à tous l’instruction la plus élevée.

M I 1, septembre 1876 : [2] : toutes les écoles publiques sont appropriées aux natures médiocres

U II 5c, octobre-décembre 1876 : [82] : les professeurs abêtissent tout, les auteurs etc.

[105] : Un bon éducateur peut en arriver à se trouver dans le cas d’offenser gravement son élève simplement pour étouffer en germe une sottise qu’il va dire.

Mp XIV 1b, fin 1876 - été 1877 : [43] : précarité de toutes les formes d’enseignement
[44] : « L’instruction en classe n’est guère qu’un pis-aller pour le cas où l’individu ne peut pas être formé par un professeur particulier. » [Klassenerziehung eben nur ein Nothbehelf ist, wenn der einzelne Mensch durchaus nicht von einem einzelnen Lehrer erzogen werden kann]
[94] : L’humanité n’a pas encore dépassé l’éducation par le hasard

N II 2, printemps-été1877 : 22[46] : l’école doit enseigner la plus grande liberté en matière de religion, la pensée la plus sobre dans sa rigueur. [Die Schule soll die grösste Freiheit im Rel lehren, das nüchternste strenge Denken. Die Unklarheit und die gewohnten Neigungen werden sehr weite Grenzen ziehen.]


Humain, trop humain. Un livre pour les esprits libres (1878),

IV " De l'âme des artistes et écrivains ",
§ 200 Écrire et enseigner veut prudence. : Le professeur pense toujours au bien de ses disciples [Wer Lehrer ist, ist meistens unfähig, etwas Eigenes noch für sein eigenes Wohl zu treiben, er denkt immer an das Wohl seiner Schüler und jede Erkenntniss erfreut ihn nur, so weit er sie lehren kann.]
§ 203 : L’exercice de style latin était le plus précieux. [Die blose Darstellung bei gegebenem Inhalte war die Aufgabe des lateinischen Stils, für welchen die alten Lehrer eine längst verloren gegangene Feinheit des Gehörs besassen.]

V " Caractères de haute et basse civilisation ", § 228 Le caractère fort et bon.: les éducateurs voudraient transformer l’individu en copie.
§ 242 : Éducation miraculeuse.
L’intérêt pour l’éducation deviendra une grande force quand on abandonnera la croyance en un Dieu et en sa providence.
§ 259 : Une éducation virile. Éducation virile en Grèce.

V " Caractères de haute et basse civilisation "§ 265 : La raison à l’école. L'école n'a pas de tâche plus importante que d'enseigner la rigueur de la pensée, la prudence du jugement, la logique du raisonnement. Aussi doit-elle faire abstraction de tout ce qui ne saurait servir à ces opérations, par exemple de la religion. [Die Schule hat keine wichtigere Aufgabe, als strenges Denken, vorsichtiges Urtheilen, consequentes Schliessen zu lehren: desshalb hat sie von allen Dingen abzusehen, die nicht für diese Operationen tauglich sind, zum Beispiel von der Religion.]

C’est la raison à l’école qui a fait de l’Europe l’Europe : au Moyen-Âge elle était sur le chemin de redevenir une province et une annexe de l’Asie, – et donc de perdre le sens de la science dont elle était redevable aux Grecs. [— Die Vernunft in der Schule hat Europa zu Europa gemacht: im Mittelalter war es auf dem Wege, wieder zu einem Stück und Anhängsel Asiens zu werden, — also den wissenschaftlichen Sinn, welchen es den Griechen verdankte, einzubüssen.]

V, § 266 Que l'on sous-estime les résultats de l'enseignement du lycée. : la valeur que l’on méconnaît ordinairement : les professeurs parlent la langue abstraite de la grande culture [Cultur].

VI " L'homme en société ", § 372 Ironie.: Ironie comme moyen pédagogique [Ironie. — Die Ironie ist nur als pädagogisches Mittel am Platze, von seiten eines Lehrers im Verkehr mit Schülern irgend welcher Art: ihr Zweck ist Demüthigung, Beschämung, aber von jener heilsamen Art, welche gute Vorsätze erwachen lässt und Dem, welcher uns so behandelte, Verehrung, Dankbarkeit als einem Arzte entgegenbringen heisst.]

VII " Femme et enfant ", § 395 Enseigner et commander : " Il faut que l'éducation enseigne le commandement aux enfants de familles modestes aussi bien que l'obéissance à d'autres enfants. "
§ 409 : la formation des lycées fait des adolescents des copies de leurs professeurs

VIII, § 467 : enseignement médiocre dans les grands États.
§ 479 : la richesse permet de payer les meilleurs précepteurs.


Fragments posthumes, 1878,
N II 4, été 1878 : mentir sur ce que l’on sait en feignant de l’ignorer, dans l’intérêt d’autrui.


Opinions et sentences mêlées, 1879,

§ 181 : Éducation contorsion. Précarité de toutes les formes d’enseignement.
§ 268 : le récalcitrant fait plaisir.
§ 320 : école comme moyen de maintenir le peuple sous la dépendance des gouvernements des grands États
l’enseignement individuel on ne peut plus mal vu.


Le Voyageur et son ombre, 1879,

§ 70 : l’éducateur le plus maladroit : le fanatique de la morale.
§ 180 : Les professeurs au siècle des livres. Du fait que l’instruction que l’on se donne seul ou en association fraternelle se généralise, on doit presque pouvoir se passer du professeur sous sa forme aujourd’hui habituelle. Des amis férus de savoir, qui veulent s’assimiler ensemble une connaissance, trouvent à notre siècle de livres une voie plus courte et plus naturelle que ne le sont « école » et « professeur ». [Die Lehrer im Zeitalter der Bücher. — Dadurch dass die Selbst-Erziehung und Verbrüderungs-Erziehung allgemeiner wird, muss der Lehrer in seiner jetzt gewöhnlichen Form fast entbehrlich werden. Lernbegierige Freunde, die sich zusammen ein Wissen aneignen wollen, finden in unserer Zeit der Bücher einen kürzeren und natürlicheren Weg, als „Schule“ und „Lehrer“ sind.]

§ 266 : Les impatients.
L'homme en cours de formation est justement celui qui n'admet pas le devenir : il est trop impatient pour cela. L’adolescent ne veut pas attendre que son tableau des êtres et des choses se remplisse après un long temps d’études, de souffrances et de privations ; il en accepte donc en toute bonne foi un autre, qui existe déjà, achevé, et qu'on lui offfre, comme s'il devait lui fournir par anticipation les lignes et les couleurs de son tableau à lui ; il se jette dans les bras d’un philosophe, d’un poète, et le voilà obligé de travailler un certain temps à la corvée et de se renier lui-même. Il y apprend beaucoup ; mais un jeune homme en oublie souvent ce qu'il vaut surtout d'apprendre et de connaître, soi-même ; il restera sa vie durant un disciple.

§ 267 : Il n’y a pas d’éducateur
En tant que penseur, on ne devrait parler que de l’auto-éducation

§ 282 « Le professeur, mal nécessaire » : « Le moins possible de personnes entre les esprits productifs et les esprits affamés et réceptifs ! Car les intermédiaires adultèrent presque automatiquement la nourriture qu’ils transmettent ; et puis, en récompense de leurs bons offices, ils réclament pour eux-mêmes trop de choses, ainsi retirées aux esprits productifs, oriinaux, à savoir intérêt, admiration, temps, arent et le reste. – Donc, on regardera quoi qu’il en soit le professeur comme un mal nécessaire, à l’instar du commerçant, comme un mal qu’il faut rendre le plus petit possible.   […] on peut voir une raison capitale de notre misère intellectuelle dans la quantité excessive des professeurs : elle est cause que l’on apprend si peu et si mal. »


Fragments posthumes, 1879-1880,

N IV 2, juin-juillet 1879 : [19] : il faut, en répandant les moyens de s’instruire seul, élever le professeur au plus haut degré de qualification, le supprimer dans ses formes médiocres. Remplacer l’école par des associations d’amis férus de savoir.

N V I, début 1880 :
[8] : l’éducation courante est brutale
[26] : Le christianisme étant déraciné, notre jeunesse grandit sans éducation

N V 3, été 1880 : [302] : les philosophes satisfont l’orgueil des jeunes gens, comme les poètes – ils les détournent de la science.

N V 4, automne 1880 : le moins d’État possible ! Je n’ai pas besoin de l’État, je me serais donné sans cette contrainte traditionnelle une meilleure éducation


Aurore (1881),

I, § 13 : Pour l’éducation nouvelle du genre humain.
III, § 194 : le siècle dernier est supérieur au nôtre en ceci qu’il compta tant d’hommes éduqués isolément
§ 195 : la prétendue éducation classique
IV, § 297 : estimer celui qui pense différemment
§ 397 : amélioration de la procréation
V, § 443 : « Le défaut le plus répandu de notre type de formation et d’éducation : personne n'apprend, personne n'aspire, personne n'enseigne... à supporter la solitude. » ;
V, § 447 : Meister und Schüler. — Zur Humanität eines Meisters gehört, seine Schüler vor sich zu warnen.
§ 455 : une seconde nature
§ 540 : il faut pouvoir apprendre


Fragments posthumes, 1881-1882,

M III 1, printemps-automne 1881 : [41] : maximes de l’éducation du penseur indépendant
[105] : l’éducation, c’est apprendre à rebaptiser ou à sentir différemment.
[145] : La nouvelle éducation ; il faut que les premiers éducateurs s’éduquent eux-mêmes !
[297] : le fait d’Apprendre est originairement plus amer que le travail, et donc détesté

N V 7, automne 1881 : [10] : le nouveau problème : savoir si une partie des hommes ne devrait pas être éduquée aux dépens de l’autre en vue d’une race supérieure. Sélection ...

M III 6a, déc. 1881 - janv. 1882 : avoir une postérité : c’est la meilleure éducation ; parents éduqués par les enfants.


Gai Savoir (1882),

I, § 21 : si l’éducation réussit, alors chaque vertu de l’individu constituera une utilité collective et un désavantage personnel


Fragments posthumes, 1882-1885,

N V 9a. N VI 1a, juillet-août 1882 : Plus abstraite la vérité qu’on veut enseigner et plus ce sont d’abord les sens qu’il faut y attirer.

ZI 1, automne 1882 : [1], 150 : Qui est professeur dans l’âme ne prend au sérieux les choses qu’eu égard à ses élèves – jusqu’à lui-même.

Z I 4, été 1883 : [1] : ne s’instruit que celui qui agit.

W I 1, printemps 1884 : remplacer le professeur
Le spectacle des masses et de ceux qui enseignent aux masses rend sombre.

Z II 8, hiver 1884-1885 : pédagogue dans l’âme : ne prend toute chose au sérieux que par rapport à son élève.

N VII 1, avril-juin 1885 : [68] : à toutes les époques les conditions pour l’éducation d’un esprit puissant, astucieux, inexorable, étaient plus favorables qu’aujourd’hui.

W I 6a : juin-juillet 1885 : [7] : un éducateur ne dit jamais ce qu’il pense lui-même ; se situe par-delà bien et mal.


Par-delà bien et mal, 1886,

IV " Maximes et interludes ", § 128 : incliner les sens en faveur d’une vérité abstraite
V " Contribution à l'histoire naturelle de la morale ", § 194 : aucun parent ne se conteste le droit de soumettre l’enfant à ses idées et à ses principes
VI " Nous les savants ", § 203 : une grandiose entreprise d’éducation et de sélection
IX " Qu'est-ce qui est aristocratique ", § 264 : " Il suffit de connaître quelques traits du caractère des parents pour avoir le droit d'en déduire celui de l'enfant. "


Fragments posthumes, 1887-1888,

W II 1, automne 1887 : éducation en tant que dressage
Éducation : essentiellement le moyen de ruiner l’exception en faveur de la règle.

W II 2, automne 1887 : Culture [Kultur] signifie en effet apprendre à calculer, apprendre à penser causalement, apprendre à prévenir, apprendre à croire à la nécessité.

W II 5, printemps 1888 : impuissante, inconsistante jusqu’ici

W II 6a, printemps 1888 : instruction obligatoire : épuise les réserves d’une race

W II 7a : printemps-été 1888 : instruction : au profit des médiocres

W II 9c, octobre-novembre 1888 : je fais partie de ces éducateurs involontaires qui n’ont pas besoin de principes pédagogiques


Crépuscule des Idoles, 1889,

[8] Ce qui manque aux Allemands,
§ 3 : des natures plus pleines, plus riches, plus profondes, ne trouvent plus d’éducation, ni d’éducateurs à leur mesure. Ce dont notre culture souffre le plus, c’est d’une pléthore de tâcherons arrogants, d’humanités fragmentées.
§ 5 : « L'enseignement supérieur allemand, dans son ensemble, a perdu ce qui est l'essentiel : un but, et également le moyen de parvenir à ce but. Que l’éducation, que la culture générale soit une fin en soi – et non « le Reich » – et qu’à cette fin un éducateur soit nécessaire (et pas le professeur de lycée ou l’érudit universitaire), voilà ce qu’on a oublié … Ce qui manque, ce sont des éducateurs eux-mêmes éduqués, des esprits supérieurs et distingués, qui fassent leurs preuves en toute circonstances, par leurs parole et leur silence, qui soient de vraies cultures vivantes, muries et délectables – et non pas les rustres savants que le Lycée et l'Université offrent à la jeunesse comme " nourrices supérieures ".
[...]
" Éducation supérieure " et multitude innombrable, voilà bien une contradiction de principe. Toute éducation supérieure n’est destinée qu’aux exceptions.
[...]
Le fait que l'éducation supérieur ne soit plus un privilège – le démocratisme de la culture "générale" devenue "commune" et vulgaire...
[...]
Plus personne, dans l’Allemagne d’aujourd’hui, n’est libre de donner à ses enfants une culture raffinée : toutes nos " écoles supérieures " sont, sans exception, réglées sur la plus douteuse médiocrité, dans leur corps enseignant, leurs programmes, leur idéal pédagogique.
[…]
Nos lycées surpeuplés, nos professeurs de lycée accablés et abêtis, sont un vrai scandale ; pour défendre cet état de choses, ainsi que l'ont fait récemment les professeurs de Heidelberg, on peut avoir des motifs [Ursachen]... on ne saurait avoir de raisons [Gründe]. »
§ 6 : Il faut apprendre à voir, il faut apprendre à penser, il faut apprendre à parler et à écrire ;
[...] pouvoir suspendre sa décision.

[9] Divagations d’un "inactuel", § 40 : si l’on veut des esclaves, il faut être fou pour leur donner une éducation de maîtres.



ALBERT CAMUS AUX ÉTUDIANTS SUÉDOIS (1957) suivi de LES MOYENS JUSTIFIENT LA FIN



À l'ambassade de France
" Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. " Discours de Stockholm, 10 décembre 1957.

A / Albert Camus à Stockholm devant des étudiants suédois
B /  Lettre d'Albert Camus au directeur du "Monde", Paris, le 17 décembre 1957
C / LES MOYENS JUSTIFIENT LA FIN


A / Albert Camus à Uppsala devant des étudiants suédois (14 décembre 1957) :


   "Après avoir évoqué l’objection de conscience et le problème hongrois, de lui-même Camus lança l’invite non déguisée : « Je n’ai pas encore donné mon opinion sur l’Algérie, mais je le ferai si vous me le demandez. » Camus affirma la « totale et consolante liberté de la presse métropolitaine. Il n’y a pas de pression gouvernementale en France, mais des groupes d’influence, des conformistes de droite et de gauche. Croyez-moi, c’est ma conviction la plus sincère, aucun gouvernement au monde ayant à traiter le problème algérien ne le ferait avec des fautes aussi relativement minimes que celles du gouvernement français. »

   Un représentant du FLN à Stockholm demanda alors à Camus pourquoi il intervenait si volontiers en faveur des Européens de l’Est mais ne signait jamais de pétition en faveur des Algériens. À partir de ce moment le dialogue devint confus et dégénéra en un monologue fanatique du représentant du FLN, qui lança slogans et accusations, empêcha l’écrivain de prendre la parole, et l’insulta grossièrement. [...] Camus parvint enfin, non sans peine, à se faire entendre.
« Je n’ai jamais parlé à un Arabe ou à l’un de vos militants [du FLN] comme vous venez de me parler publiquement ... Vous êtes pour la démocratie en Algérie, soyez donc démocrates tout de suite et laissez-moi parler ... Laissez-moi finir mes phrases, car souvent les phrases ne prennent tout leur sens qu’avec leur fin. »
   Après avoir rappelé qu’il a été le seul journaliste français obligé de quitter l’Algérie pour avoir défendu la population musulmane, le lauréat Nobel ajouta :

« Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne signifie pas que j’ai cessé d’agir. J’ai été et suis toujours partisan d’une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et dans l’égalité. J’ai dit et répété qu’il fallait faire justice au peuple algérien et lui accorder un régime pleinement démocratique, jusqu’à ce que la haine de part et d’autre soit devenue telle qu’il n’appartenait plus à un intellectuel d’intervenir, ses déclarations risquant d’aggraver la terreur. Il m’a semblé que mieux vaut attendre jusqu’au moment propice d’unir au lieu de diviser. Je puis vous assurer cependant que vous avez des camarades en vie aujourd’hui grâce à des actions que vous ne connaissez pas. C’est avec une certaine répugnance que je donne ainsi mes raisons en public. J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère (1) ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. » Cette déclaration fut ponctuée d’ovations.
1. La mère d'Albert Camus était veuve d'un ouvrier agricole ; elle travaillait comme femme de ménage.

Propos recueillis par Dominique Birmann, Le Monde, 14 décembre 1957 [À l’occasion de la remise à Albert Camus de son Prix Nobel de littérature].


B /  Lettre d'Albert Camus au directeur du "Monde",
Paris, le 17 décembre 1957 :

" Monsieur le directeur,

À mon retour de Suède, je trouve dans "Le Monde" les articles de votre correspondant de Stockholm. Les déclarations qui m'y sont prêtées sont parfaitement exactes sauf une, que je voudrais vous demander la permission de préciser.

Je n'ai pas dit que nos gouvernements n'avaient commis que des fautes mineures dans leur manière de traiter le problème algérien. A la vérité, je pense le contraire. Mais à des questions mettant en cause la liberté d'expression des écrivains français, j'ai dit qu'elle était totale. A une autre question mettant en cause la liberté de notre presse, j'ai dit que les restrictions qui avaient pu être apportées à cette liberté par des gouvernements empêtrés dans la tragédie algérienne, avaient été jusqu'ici relativement mineures, ce qui ne signifie pas que j'approuve ces restrictions, même partielles. J'ai toujours regretté à ce sujet qu'il n'existe pas un ordre des journalistes qui veillerait à défendre la liberté de la presse contre l'État et à faire respecter, à l'intérieur de la profession, les devoirs que cette liberté comporte nécessairement.

Je voudrais encore ajouter à propos du jeune Algérien qui m'a interpellé, que je me sens plus près de lui que de beaucoup de Français qui parlent de l'Algérie sans la connaître. Lui savait ce dont il parlait et son visage n'était pas celui de la haine mais du désespoir et du malheur. Je partage ce malheur, son visage est celui de mon pays. C'est pourquoi j'ai voulu donner publiquement à ce jeune Algérien, et à lui seul, les explications personnelles que j'avais tues jusque-là et que votre correspondant a fidèlement reproduites d'autre part."

Albert Camus

Note en page 1406 du volume IV de la collection Bibliothèque de la Pléiade : cette lettre fut publiée le 19 décembre dans le quotidien.


Philippe Lançon, Libération, 2/1/2010 : Ce dégoût de la violence crée un malentendu peu après le prix Nobel. Lors d’une rencontre avec des étudiants suédois, un étudiant arabe lui reproche, à lui le natif d’Algérie, son silence sur ce qui s’y déroule. Camus, en vérité, s’est beaucoup exprimé. Opposé à l’indépendance, il souhaite une cohabitation équitable des deux populations. Il ne s’est tu que lorsque sa parole lui a semblé vaine et l’impasse politique de plus en plus claire. Par ailleurs, il déteste les pratiques du FLN et flaire sans doute, lui l’anarchiste civilisé, le sinistre appareil d’État qu’il deviendra. A l’étudiant, il répond : « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. » Dans le compte rendu du Monde, cette phrase devient : «Je crois à la Justice, mais je défendrai ma mère avant la Justice.» Puis la rumeur en fait ce qu’on n’a plus jamais cessé d’entendre : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. » Belle histoire de téléphone arabe à propos d’une phrase jamais dite, et dont la signification est tout autre : Camus n’opposait pas la justice à sa terre natale, mais dénonçait, en situation, le terrorisme."

   Cette précieuse lettre du 17 décembre 1957, relativement à la fameuse phrase sur la mère et la justice, confirme la version du quotidien Le Monde et dément celle de Philippe Lançon. Pierre Assouline expliqua parfaitement, dans son blog "La République des Livres" (lemonde.fr, 12 janvier 2010) comment Lançon avait pris un commentaire pour la version originale.

Albert Camus concluait :
" Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice ".

D’après Dominique Birmann, correspondant du Monde en Suède et seul journaliste présent dans la salle, des applaudissements nourris saluèrent la fin de la réponse de Camus. Son compte-rendu (en date du 14 décembre 1957) est repris par la presse internationale. Une phrase surtout : la dernière [citée ci-dessus].

Le journaliste devra même produire la bande de son enregistrement pour attester qu’elle a bien été prononcée.

Le traducteur de Camus, l’excellent Carl-Gustav Bjürström, qui était à ses côtés, en a rapporté l’atmosphère à Olivier Todd quand celui-ci préparait sa biographie de Camus (Paris : Gallimard, 1996). Il lui a précisé :
" Par la forme et par le fond, il a voulu dire : si c’est là ce que vous entendez par la justice, si c’est là votre justice, alors que ma mère peut se trouver dans un tramway d’Alger où on jette des bombes, alors je préfère ma mère à cette justice terroriste ".



L'auteur de L'Étranger, de L'Homme révolté et de La Peste.


 C / LES MOYENS JUSTIFIENT LA FIN

   L’obscurantisme ou « ignorantisme militant » décrit par Jean-Claude Milner, « mépris des savoirs que l’on ne maîtrise pas au nom de sa propre absence de savoir» (Jean-Claude Milner, De l’École, Paris : Le Seuil, 1984), , voudrait imposer la prévalence de l’utilité immédiate et de l’action/agitation sur la pensée.

   La sinistre maxime, d’abord jésuite (*), puis totalitaire, « la fin justifiera les moyens », porte ouverte à tous les fanatismes, s’oppose au seul principe moral qui pourrait valoir en politique, « les moyens justifient la fin » et cautionne un débat public informe (et en particulier les débats des cafés-philo) par l’argument anti-intellectualiste d’une urgence de l’action politique contre « l’injustice sociale ».
*. En fait, on peut remonter à l'Antiquité : Ovide : " Exitus acta probat," (L'issue justifie l’action), Héroïdes, II, 85.
François Arago, Biographie de Condorcet.

   On pouvait lire dans Glaive Rouge, organe de la Tchéka de Kiev : « Tout nous est permis car nous sommes les premiers du monde à brandir le glaive non pour asservir et réprimer, mais au nom de la liberté générale et de l’affranchissement de l’esclavage. » Voir aussi Léon Trotski, Leur Morale et la nôtre, Paris :  Pauvert, 1966 [Le Sagittaire, 1939] : « Qui veut la fin [la victoire sur Franco en Espagne] doit vouloir aussi les moyens [la guerre civile] avec son cortège d’horreurs et de crimes. »
   Déjà les Jésuites, selon Blaise Pascal : « Quand nous ne pouvons pas empêcher l'action, nous purifions au moins l'intention; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin. » (Les Provinciales, septième lettre, 1656, dont s'inspirera Molière dans Tartuffe, acte IV, scène 5). À contre courant, « L’horrible principe de : La fin justifie les moyens. » notait Alfred de Vigny dans son trop méconnu Journal d’un poète (janvier 1841).

Arago, Biographie de Condorcet.
   Ce que j’appelle ici « principe moral » fut ainsi formulé en 1963 par l'apôtre de la non-violence Martin Luther King (1929-1968) : « Les moyens que nous utilisons doivent être aussi purs que les buts que nous voulons atteindre. [" I have consistently preached that nonviolence demands that the means we use must be as pure as the ends we seek. I have tried to make clear that it is wrong to use immoral means to attain moral ends. (1)" (lettre du 16 avril 1963)] » Martin Luther King, Révolution non-violente/Why we can’t wait, 1963, chapitre V. D’où la condamnation évidente du terrorisme.
1. Luther-King ajoutait : « But now I must affirm that it is just as wrong, or perhaps even more so, to use moral means to preserve immoral ends. Perhaps Mr. Connor and his policemen have been rather nonviolent in public, as was Chief Pritchett in Albany, Georgia, but they have used the moral means of nonviolence to maintain the immoral end of racial injustice. As T. S. Eliot has said : " The last temptation is the greatest treason : To do the right deed for the wrong reason. " [Murder in the Cathedral] »


dimanche 18 septembre 2016

ANDRÉ GIDE FACE À LA RUMEUR DES « MAINS COUPÉES »


Voir aussi À VRAI LIRE

Les « mensonges conventionnels de la civilisation » furent analysés par Max Nordau (1849-1923) dans un ouvrage paru en 1883. C'est un vaste univers (religion, mœurs, journalisme, politique, etc.), différent toutefois de celui de la rumeur (du latin rumor, bruit qui court) ; la comparaison du traitement du terme par le Grand Robert et l'Oxford English Dictionary montre que les Anglo-Saxons sont plus sensibles au côté suspect de la rumour. Rumeur est aujourd'hui une des connotations de buzz :

• "1 a low, continuous humming or murmuring sound. 2 the sound of a buzzer or telephone. 3 an atmosphere of excitement and activity. 4 informal a thrill. 5 informal a rumour." (Compact English Oxford Dictionary).

   Il y a rumeurs fortes et rumeurs faibles. Rumeurs faibles, par exemple, les bruits courant sur telle ou telle personnalité. Également les fausses citations, fausses quant au texte, ou détournées quant à l'identité de l'auteur ; les manuels et dictionnaires de philosophie destinés aux élèves de Terminales n'en sont pas exempts ; la philosophie est pourtant le lieu où devrait se pratiquer et s'enseigner l'esprit critique. Par sa probité, André Gide demeure bien le " contemporain capital " que disait André Rouveyre (Les Nouvelles Littéraires, 1924) ; " un des meilleurs critiques de ce temps " selon Louis Le Sidaner, 1898-1985, dans La Nouvelle Revue Critique, avril 1937 (revue dont il fut directeur de publication).
« L'on t'a dit, tu t'es laissé dire, qu'il s'agissait d'abord de croire. Il s'agit d'abord de douter (Journal, 14 décembre 1934). 
Rumeurs fortes, les rumeurs de guerre, ou d'après-guerre, qui déchaînent les passions politiques. Avec méfiance, Gide rapporta celle selon laquelle les Allemands auraient coupé les mains d'enfants français au début de la guerre de 1914-1918.

   Dans une lettre à Robert F., le philosophe Jean Beaufret remarquait, à propos de la question des « chambres à gaz nazies » :
« les introuvables " enfants aux mains coupées " dont parle [André] Gide dans son Journal, sont dépassés. »(Annales d'Histoire Révisionniste, n° 3, automne-hiver 1987, pages 204-205.
Ceci cité par Sylvain Auroux et Yvonne Weil, Dictionnaire des auteurs et des thèmes de la philosophie, Paris : Hachette-Education, 1991, article " Heidegger ", page 177.


   Pour suivre cette affaire, que Marcel Proust évoqua brièvement dans Le Temps retrouvé, le mieux est de laisser la parole aux textes : le Journal de Gide, qui est sceptique, l'article de Jean Richepin qui court avec la rumeur, et la correspondance de Romain Rolland qui résiste à la rumeur, comme Gide :


- André Gide : « Mme [Misia] Edwards [pianiste] affirmait que nombre de ces petits avaient les mains tranchées, qu'elle les avait vus. D'autres avaient les yeux crevés et d'autres des blessures abominables.
La chose n'a jamais pu être vérifiée. » (Journal, 26 août 1914).

Éditions Paris Color.Carte postale illustrée signée F. Poulbot.
Merci à www.caricaturesetcaricature.com (2) et à Fabrice Picandet.

- Jean Richepin : « Qui de nous aurait l'abominable courage [...] d'emmener en captivité quatre mille adolescents de quinze à dix-sept ans, comme ils viennent de le faire dans le Cambrésis, renouvelant ainsi les plus inhumaines pratiques de l'esclavage, et de couper le poing droit à ces combattants futurs, comme ils l'ont fait ailleurs, et enfin de renvoyer des prisonniers mutilés, comme ils l'ont fait récemment en Russie, où l'on a vu revenir des Cosaques les yeux crevés, sans nez et sans langue. » (Le Petit Journal, 13 octobre 1914 ; article repris dans Proses de guerre (août 1914-juillet 1915), Paris : Flammarion, 1915)


- Romain Rolland, lettre à André Gide, 26 octobre 1914 : « Comment est-il possible qu'on laisse un Richepin écrire, dans Le Petit Journal, que les Allemands ont coupé la main droite à 4 000 jeunes garçons de 15 à 17 ans, et autres sottises scélérates ! Est-ce que de telles paroles ne risquent pas d'amener, de notre part, des cruautés réelles ? Depuis le commencement de la guerre, chaque trait de barbarie a été amplifié cent fois ; et naturellement il en a fait naître d'autres. C'est une suite de représailles. Jusqu'où n'iront-elles pas ? » (Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, Paris : Albin Michel, 1952, page 93).

« J’ai vu hier, à Verdun, une pauvre femme venant d’un village envahi de la Meuse et qui portait dans ses bras deux jeunes enfants. Les deux pauvres petits avaient chacun le poignet droit coupé. Quelles brutes ». Témoignage d’un soldat rapporté par L’Est Républicain (novembre 1914 ; cf http://www.estrepublicain.fr/actualite/2015/04/13/les-enfants-aux-mains-coupees).


- André Gide : « Un Américain est venu ces jours derniers au Foyer franco-belge nous aviser qu'il mettrait à la disposition de notre œuvre une somme importante si nous parvenions à le mettre en rapport direct avec un enfant mutilé par les Allemands.
Richepin, dans un article indigné, parlait de quatre mille enfants auxquels on aurait coupé la main droite. [...] Mme [Misia] Edwards cependant, à la fin du mois d'août (vérifier la date) m'avait parlé de l'arrivée, rue Vaneau [Paris, VIIe arrondissement], d'une procession d'enfants, tous garçons du même village, tous pareillement amputés.
Avant-hier je vais la trouver, lui disant de quelle importance serait pour nous une preuve certaine de ces monstruosités. Elle me dit alors qu'elle n'a pas vu ces enfants elle-même, qu'elle sait d'ailleurs qu'ils venaient du Cirque de Paris où on les avait préalablement envoyés. Elle m'invite à revenir déjeuner avec elle le lendemain (hier), me promettant, en attendant mieux, des photographies de ces mutilations.
Hier elle n'avait pu se procurer les photos [...] Cocteau est venu après déjeuner sans les photos, qu'il m'a promises pour demain soir ; en attendant, il m'a mené à la maison de santé de la rue de la Chaise [VIIe arrondissement] où nous pourrions parler à une dame de la Croix-Rouge qui avait soigné ces enfants. La dame de la Croix-Rouge n'était pas arrivée et, attendu au Foyer [franco-belge], j'ai dû quitter Cocteau avant d'avoir réussi à rien savoir de plus.
D'autre part, [Henri] Ghéon me dit que deux jeunes amputés, l'un de quinze, l'autre de dix-sept ans, sont soignés en ce moment à Orsay. Il doit m'apporter des informations complémentaires. » (Journal, 15 novembre 1914).


« Aucune de ces informations n'a pu être prouvée. » : Journal, mention non datée en marge des lignes qui précèdent sur le cahier manuscrit.


« Il [Ghéon] revient encore sur les mains coupées des petits enfants, alors qu'en vain nous avons cherché de toutes parts à remonter jusqu'à un fait prouvé, alors que toutes les enquêtes que nous avons menées au Foyer en vue d'obtenir l'énorme prime promise par l'Amérique à qui apporterait confirmation de ces atrocités n'ont abouti qu'à des démentis. » (Journal, 27 décembre 1915).


   Arthur Ponsonby (1871-1946) publia Falsehood in Wartime, 1928 ; une traduction de l'introduction fut publiée dans les Annales d'Histoire Révisionniste, n° 2, été 1987, pages 124-144 ; on trouvera dans cet ouvrage une des premières analyses de la désinformation, et l'évocation de cette rumeur qui se répandit dans plusieurs pays d'Europe.

Arthur Augustus William Harry Ponsonby, 1st Baron Ponsonby of Shulbrede
(16 February 1871 – 23 March 1946) was a British politician, writer, and social activist.


   D'après Louis-Lucien Klotz (1868-1930), la censure française évita in extremis à la fausse nouvelle de faire la « une » du Figaro : dans De la guerre à la paix, Paris : Payot, 1924, pages 33-34, on apprend en effet que deux savants, dont l'un membre de l'Institut, affirmaient dans l'article censuré avoir vu une centaine d'enfants aux mains coupées, sans dire où, ni quand ; la Censure voulut les rencontrer, mais ils s'esquivèrent.


   La disposition sceptique fondamentale de Gide, " moi, philosophe et écrivain " (2) est bien illustrée par cette confidence :
« Quoi que ce soit qu'on me raconte, je pense toujours, irrésistiblement, que cela ne s'est pas passé comme ça. » (Journal, 10 octobre 1942).
Jean de La Bruyère (1645-1696) écrivait déjà : « Le contraire des bruits qui courent des affaires ou des personnes, est souvent la vérité. » (Caractères, Jugements § 39.)

Je ne serais pas étonné que Gide ait eu en tête cette pensée de Montaigne :
« Ajouter de son invention, autant qu’il voit être nécessaire en son conte, pour suppléer à la résistance. »  (Essais, III, xi),
   Cette exigence de vérification méthodique, pointilleuse, cette probité, à l'œuvre dans l'affaire des « mains coupées », on la retrouve vingt ans plus tard appliquée à l'URSS pendant le voyage de 1936. Dans ses notes (Retour de l'U.R.S.S.), Gide se disait irrité de ce que les renseignements qu'il obtenait « ne parviennent à la précision que dans l'erreur ».


1. Sur cette question et son iconographie, on peut voir John HORN, " Les mains coupées : atrocités allemandes et opinion française en 1914 ", in Jean-Jacques Becker, Jay Winter, Gerd Krumeich, Annette Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau, dir., Guerre et cultures 1914-1918 , Paris : Armand Colin, 1994.


2. Lettre à Mahmoud Hesâbi : « Je confesse qu’après des années de réflexions sur ma théorie [l'unification des nations du monde] , vous, jeune homme iranien, êtes parvenu à changer ma pensée à moi, philosophe et écrivain français. Vous avez raison…Il faut que vous restiez Iraniens et nous restions Français et que chacun s’efforce d’atteindre ses propres désirs en vue de réaliser les ambitions de sa nation. »

Cabu (13 janvier 1938 - 7 janvier 2015), dessin de 2013.

mercredi 7 septembre 2016

INDEX NIETZSCHE (9/16) : LA JUSTICE (die Gerechtigkeit) suivi de LE TRAVAIL


Voir dans le Dictionnaire Nietzsche l'excellente entrée " Justice ", cc. 516a-520b par Blaise Benoit.


Fragments posthumes, 1871-1872,

P I 16b, printemps 1871 - début 1872 : 14[11] : " Le principe pédagogique correct ne peut être que celui de mettre la plus grande masse dans un rapport juste avec l’aristocratie spirituelle ; c’est là proprement la tâche de la culture (selon les trois possibilités hésiodiques). " [Denn auch die Geburtsaristokratie des Geistes muß eine ihr gemäße Erziehung und Geltung haben. Das richtige Erziehungsprincip kann nur sein, die größere Masse in das rechte Verhältniß zu der geistigen Aristokratie zu bringen: das ist die eigentliche Bildungsaufgabe (nach den drei Hesiodischen Möglichkeiten); die Organisation des Geniestaates — das ist die wahre platonische Republik.]

U I 4a, 1871 : 9[70] : Égalité de l’enseignement pour tous jusqu’à 15 ans. Car la prédestination au lycée par les parents, etc. est une injustice.


Naissance de la tragédie, (1872, 1874) :
§ 18 : « Rien n'est plus à craindre qu’une classe d'esclaves barbares qui ont appris à considérer leur existence comme une injustice et qui s'apprêtent non seulement à se venger, mais à venger l'ensemble des générations. »


De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie, 1874,
§ 6 :
‎" Peu d'esprits servent en vérité la vérité, car il en est peu qui aient la pure volonté d'être justes, et parmi ceux-là, moins nombreux encore ceux qui ont la force de l'être. Il ne suffit nullement, en effet, de le vouloir, et l'humanité n'a jamais souffert de maux plus terribles que lorsque l'instinct [Trieb] était servi par un jugement erroné ; aussi le bien public exigeraient-il plus que tout autre chose la propagation aussi large que possible de la bonne graine du jugement, afin qu'on sache toujours distinguer le fanatique du juge, le désir aveugle de juger de la force consciente d'être en droit de le faire. "


Fragment posthume, 1876-1877,
N II 3, fin 1876 – été 1877 : [43] : Le socialisme se fonde sur la résolution de poser les hommes égaux et d’être juste envers chacun : c’est la suprême moralité.


Humain, trop humain, 1878,

II, § 92 : Origine de la justice.
La justice [Gerechtigkeit] (l’équité [Billigkeit]) prend naissance entre hommes jouissant d’une puissance à peu près égale, comme l’a bien vu Thucydide [V, 87-11].

VIII, § 473 : Le socialisme au point de vue de ses moyens d'action.
Aussi [le socialisme] se prépare-t-il en secret à l’exercice souverain de la terreur, aussi enfonce-t-il le mot de « justice » comme un clou dans la tête des masses semi-cultivées, pour les priver complètement de leur bon sens (ce bon sens ayant déjà beaucoup souffert de leur demi-culture) et leur donner bonne conscience en vue de la méchante partie qu'elles auront à jouer.

IX, § 636 : « Une espèce toute différente de génie, celui de la justice [Gerechtigkeit] ; et je ne peux du tout me résoudre à l’estimer inférieur à quelque autre forme de génie que ce soit, philosophique, politique ou artistique. Il est de sa nature de se détourner avec une franche répugnance de tout ce qui trouble et aveugle notre jugement sur les choses ; il est par suite ennemi des convictions, car il entend faire leur juste part à tous les êtres, vivants ou inanimés, réels ou imaginaires – et  pour cela, il lui faut en acquérir une connaissance pure ; aussi met-il tout objet le mieux possible en lumière, et il en fait le tour avec des yeux attentifs. Pour finir, il rendra même à son ennemie, l’aveugle ou myope "conviction" (comme l’appellent les hommes : pour les femmes, son nom est "la foi"), ce qui revient à la conviction – pour l’amour de la vérité. »


Le Voyageur et son ombre, 1879,

§ 22 : L’équilibre est une notion importante dans la théorie ancienne du droit et de la morale ; l’équilibre est la base de la justice.

§ 81 : « Il est possible de saper la justice séculière, par la doctrine de la totale irresponsabilité et innocence de tout homme ; et on a déjà fait une tentative dans ce sens, en se fondant justement sur la doctrine contraire de la totale responsabilité et culpabilité de chaque homme. »


Fragment posthume, 1880,
N V 4, automne 1880 : [162] : « Reconnaître l’identité d’un homme et d’un autre –, cela devrait être le fondement de la justice ? Voilà une identité très superficielle. Pour ceux qui reconnaissent l’existence d’individus, la justice est impossible – ego. »


Aurore, 1881,

I, § 26. Les animaux et la morale. : L’origine de la justice, comme celles de l’intelligence, de la mesure, de la vaillance, – bref de tout ce que nous désignons du nom de vertus socratiques, est animale : conséquence de ces pulsions qui apprennent à chercher sa nourriture et à échapper à ses ennemis.
§ 78. La justice punitive.
§ 84. La philologie du christianisme. : " À quel point le christianisme éduque mal le sens de l’honnêteté et de la justice  on peut assez bien en juger à la lumière des écrits de ses savants : ils avancent leurs suppositions avec autant d'assurance que des dogmes, et l'interprétation d'un passage de la Bible les plongent rarement dans une perplexité honnête. "

V, § 432. Chercheurs et expérimentateurs.  : " Nous devons procéder par tâtonnement avec les choses, nous montrer tantôt bons, tantôt mauvais à leur égard et les traiter successivement avec justice, passion et froideur. "


Gai Savoir, 1882,

IV, § 289 : Aux navires ! — [...] [Ce qui fait défaut, c’est] Une nouvelle justice. Et un nouveau mot d’ordre ! Et de nouveaux philosophes ! La Terre morale aussi est ronde ! La Terre morale aussi a ses antipodes ! (traduction GF/Wotling/2007).

§ 329 : Loisir et oisiveté. — Il y a une sauvagerie tout indienne, particulière au sang des Peaux-Rouges, dans la façon dont les Américains aspirent à l’or ; et leur hâte au travail qui va jusqu’à l’essoufflement — le véritable vice du nouveau monde — commence déjà, par contagion, à barbariser la vieille Europe et à propager chez elle un manque d’esprit tout à fait singulier. On a maintenant honte du repos : la longue méditation occasionne déjà presque des remords. On réfléchit montre en main, comme on dîne, les yeux fixés sur le courrier de la Bourse, — on vit comme quelqu’un qui craindrait sans cesse de « laisser échapper » quelque chose. « Plutôt faire n’importe quoi que de ne rien faire » — ce principe aussi est une corde propre à étrangler tout goût supérieur. Et de même que toutes les formes disparaissent à vue d’œil dans cette hâte du travail, de même périssent aussi le sentiment de la forme, l’oreille et l’œil pour la mélodie du mouvement. La preuve en est dans la lourde précision exigée maintenant partout, chaque fois que l’homme veut être loyal vis-à-vis de l’homme, dans ses rapports avec les amis, les femmes, les parents, les enfants, les maîtres, les élève, les guides et les princes, — on n’a plus ni le temps, ni la force pour les cérémonies, pour la courtoisie avec des détours, pour tout esprit de conversation, et, en général, pour tout otium. Car la vie à la chasse du gain force sans cesse l’esprit à se tendre jusqu’à l’épuisement, dans une constante dissimulation, avec le souci de duper ou de prévenir : la véritable vertu consiste maintenant à faire quelque chose en moins de temps qu’un autre. Il n’y a, par conséquent, que de rares heures de loyauté permise : mais pendant ces heures on est fatigué et l’on aspire non seulement à « se laisser aller », mais encore à s’étendre lourdement de long en large. C’est conformément à ce penchant que l’on fait maintenant sa correspondance ; le style et l’esprit des lettres seront toujours le véritable « signe du temps ». Si la société et les arts procurent encore un plaisir, c’est un plaisir tel que se le préparent des esclaves fatigués par le travail. Honte à ce contentement dans la « joie » chez les gens cultivés et incultes ! Honte à cette suspicion grandissante de toute joie ! Le travail a de plus en plus la bonne conscience de son côté : le penchant à la joie s’appelle déjà « besoin de se rétablir », et commence à avoir honte de soi-même. « On doit cela à sa santé » — c’est ainsi que l’on parle lorsque l’on est surpris pendant une partie de campagne. Oui, on en viendra bientôt à ne plus céder à un penchant vers la vie contemplative (c’est-à-dire à se promener, accompagné de pensées et d’amis) sans mépris de soi et mauvaise conscience. — Eh bien ! autrefois, c’était le contraire : le travail portait avec lui la mauvaise conscience. Un homme de bonne origine cachait son travail quand la misère le forçait à travailler. L’esclave travaillait accablé sous le poids du sentiment de faire quelque chose de méprisable : — le « faire » lui-même était quelque chose de méprisable. « Seul au loisir et à la guerre il y a noblesse et honneur » : c’est ainsi que parlait la voix du préjugé antique ! » (Merci à Jean-Baptiste Morizur).

V, § 377 : Nous, sans patrie" Nous ne considérons tout simplement pas comme souhaitable que le royaume de la justice et de l'harmonie soit fondé sur Terre (parce que ce serait dans tous les cas le royaume de la médiocratisation). " (traduction GF/Wotling 2007).


Par-delà Bien et Mal, 1886,

I, § 9 : Vous voulez vivre « en accord avec la nature » ? Ô nobles Stoïciens, comme vous vous payez de mots ! Imaginez un être pareil à la nature, prodigue sans mesure, indifférent sans mesure, sans desseins ni égard, sans pitié ni justice, fécond, stérile et incertain tout à la fois, concevez l’indifférence elle-même en tant qu’elle est une puissance, comment pourriez-vous vivre en accord avec cette indifférence ? Vivre n’est-ce pas justement vouloir être autre chose que cette nature ?

VII, § 219 : l’intellectualité supérieure est la quintessence de la justice et de cette bienveillante sévérité qui se sait chargée de maintenir l’ordre des rangs dans le monde, parmi les choses mêmes – et pas seulement parmi les hommes.


La Généalogie de la morale, 1887,

Avant-propos, § 4 : voyez encore ce que j’ai écrit dans Le Voyageur et dans Aurore sur l’origine de la justice comme compromis entre puissances à peu près égales (l’équilibre étant la condition de tout contrat, donc de tout droit).

II, § 8 : la justice [Gerechtigkeit] au premier stade : bonne volonté des hommes à puissance à peu près égale de s’accommoder les uns des autres, de retrouver l’ "entente" par un compromis.
§ 11 : le sentiment réactif est la toute dernière conquête de l’esprit de justice

III, § 14 : Représenter tout au moins la justice, l’amour, la sagesse, la supériorité – voilà l’ambition de ces "inférieurs", de ces malades.



Fragment posthume, 1888,
W II 5, printemps 1888 : [30] : quand le socialiste, avec une belle indignation, réclame "justice", "droit", "droits égaux", il est seulement sous l'effet de sa culture insuffisante, qui ne sait comprendre pourquoi il souffre.


Le Crépuscule des Idoles (1889),
Divagations d’un "inactuel", § 48 : « La doctrine de l’égalité ! Mais c’est qu’il n’y a pas de poison plus toxique : c’est qu’elle semble prêchée par la justice même, alors qu’elle est la fin de toute justice … " Aux égaux, traitement égal, aux inégaux, traitement inégal ", telle serait la vraie devise de la Justice. Et ce qui en découle : " Ne jamais égaliser ce qui est inégal ". » [Cf Aristote, Les Politiques, livre III, chapitre 9, 1280a]


L’Antéchrist, 1894,
§ 57 : « L’injuste [Unrecht] n’est jamais dans des droits inégaux, il est dans la prétention à des droits "égaux". »


LE TRAVAIL


Fragments posthumes, 1870-1871,

U I 2b, fin 1870 – avril 1871: [16] : Les Hellènes pensent au sujet du travail comme nous au sujet de la procréation. Les deux passent pour honteux, mais ce n’est pas pour cela qu’on en déclarerait les produits honteux.
La "dignité du travail" est un fantasme moderne de la plus sotte espèce. C’est un rêve d’esclaves. […]
Seul le travail accompli par un sujet à la volonté libre a de la dignité. Aussi un véritable travail de civilisation demande-t-il une existence fondée et libre de soucis. À l’inverse : l’esclavage appartient à l’essence d’une civilisation.

Mp XII 1c, début 1871: [1] : Que trouver d’autre dans la détresse travailleuse de ces millions d’hommes que la pulsion de continuer à végéter à n’importe quel prix


Cinq préfaces … 3. L’État chez les Grecs (1872) :
« Nous autres modernes [Neueren] avons sur les Grecs l'avantage de posséder deux concepts qui nous servent en quelque sorte de consolation face à un monde où tous se conduisent en esclaves et où pourtant le mot " esclave " fait reculer d'effroi : nous parlons de la " dignité de l'homme " et de la " dignité du travail ". »
« Tous s'échinent à perpétuer misérablement une vie de misère, et sont contraints par cette effroyable nécessité à un travail exténuant, qu'ensuite l'homme, ou plus exactement l'intellect humain, abusé par la "volonté", regarde, ébahi, par moments, comme un objet digne de respect. Or, pour que le travail puisse revendiquer le droit d'être honoré, encore serait-il nécessaire qu'avant tout l'existence [Dasein] elle-même, dont il n'est pourtant qu'un instrument douloureux, ait un peu plus de dignité et de valeur que ne lui en ont accordées jusqu'ici les philosophies et les religions qui ont pris ce problème au sérieux. Que pouvons-vous trouver d’autre dans la nécessité du travail de ces millions d’hommes, que l’instinct [Trieb] d’exister à tout prix, ce même instinct tout-puissant qui pousse des plantes rabougries à étirer leurs racines sur la roche nue ! […] »

« Les Grecs n'ont pas besoin de pareilles hallucinations conceptuelles : chez eux, l'idée que le travail est un avilissement s'exprime avec une effrayante franchise, et une sagesse plus secrète qui parle plus rarement, mais qui est partout vivante, ajoute à cela que l'être humain est, lui aussi, un vil et pitoyable néant, le "rêve d'une ombre" [Pindare, Pythique, VIII, 99]. Le travail est un avilissement car l’existence n’a pas de valeur en soi ; mais même lorsque cette existence se pare du rayonnement trompeur des illusions de l'art et semble alors avoir réellement acquis une valeur en soi, l'affirmation que le travail est un avilissement n'en gardera pas moins sa validité. […] Nous possédons maintenant le concept général qui doit recouvrir les sentiments qu'éprouvent les Grecs à l'égard du travail et de l'esclavage ; ils considéraient l'un et l'autre comme un avilissement nécessaire — à la fois nécessité et avilissement — face auquel on éprouve de la honte. […] L’esclavage appartient à l’essence d’une civilisation […] S’il devait s’avérer que les Grecs ont péri à cause de l’esclavage, il est bien plus certain que c’est du manque d’esclavage que nous périrons. » Cf Oscar Wilde : “ The fact is, that civilisation requires slaves.  The Greeks were quite right there.  Unless there are slaves to do the ugly, horrible, uninteresting work, culture and contemplation become almost impossible.  Human slavery is wrong, insecure, and demoralising.  On mechanical slavery, on the slavery of the machine, the future of the world depends. ”
The Soul of Man under Socialism, 1891.

Fragment posthume, 1876,
U II 5c, octobre-décembre 1876 : [21] : « Dans les classes riches, l’excès de travail apparaît comme une impulsion intérieure à exagérer son activité, chez les ouvriers, c’est une contrainte extérieure. »

Humain, trop humain, 1878,
IX, § 611 : « La renaissance perpétuelle des besoins nous accoutume au travail […] Pour échapper à l’ennui, l’être humain, ou bien travaille au delà de ce qu’exigent ses besoins normaux, ou bien il invente un jeu. »

Opinions et sentences mêlées, 1879,
§ 260 " Ne Prendre pour amis que des travailleurs " : « L’oisif est dangereux à ses amis; comme il n’a pas assez à faire, il parle de ce que font et ne font pas ses amis, finit par s’en mêler et se rendre importun: ce pourquoi il faut sagement ne lier amitié qu’avec des travailleurs. »

Le Voyageur et son ombre, 1879,
§ 170 "L'art au siècle du travail" : « Nous avons la conscience morale d’un siècle au travail ; cela ne nous permet pas de donner à l’art nos meilleures heures, nos matinées, quand bien même cet art serai le plus grand et le plus digne. Il est pour nous affaire de loisir, de délassement : nous lui consacrons ce qui nous reste de temps, de force. »

§ 286. La valeur du travail. « Si l'on voulait déterminer la valeur du travail d'après la quantité de temps, de zèle, de bonne et de mauvaise volonté, de contrainte, d'inventivité ou de paresse, de probité ou d'hypocrisie que l'on y consacre, jamais cette évaluation ne pourrait être juste ; car c'est toute la personne qu'il faudrait mettre sur la balance, ce qui est impossible. [...] Il ne dépend pas de l’ouvrier de décider s’il travaillera, ni comment il travaillera. Les seuls points de vue, larges ou étroits, qui ont fondé l’estimation du travail sont ceux de l’utilité. [...] L'exploitation [Ausbeutung] du travailleur, on le comprend maintenant, fut une sottise, un gaspillage aux dépens de l'avenir, une menace pour la société. Voilà que déjà on a presque la guerre : et en tout cas, pour maintenir la paix, signer des contrats et obtenir la confiance, les frais seront désormais très grands, parce que la folie des exploitants aura été si grande et si durable. »

Fragment posthume, 1880,
N V 4, automne 1880 : [106] : « Le succès majeur du travail, c’est d’interdire l’oisiveté aux natures vulgaires, et même, par ex., aux fonctionnaires, aux marchands, aux soldats, etc. L’objection majeure contre le socialisme, c’est sa volonté de donner des loisirs aux natures vulgaires. Le vulgaire oisif est à charge à lui-même et au monde. »

Aurore, 1881,

III, § 173 : « Dans la glorification du "travail", dans les infatigables discours sur la "bénédiction du travail", je vois la même arrière pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous: à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail […] qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. »

Le Gai Savoir, 1882,
I, § 42 "Travail et ennui" : «Chercher du travail en vue du salaire — voilà en quoi presque tous les hommes sont égaux dans les pays civilisés: pour eux tous, le travail n’est qu’un moyen, non pas le but en soi; aussi bien sont-ils peu raffinés dans le choix du travail, qui ne compte plus à leurs yeux que par la promesse du gain, pourvu qu’il en assurent un appréciable. Or il se trouve quelques rares personnes qui préfèrent périr plutôt que de se livrer sans joie au travail; ce sont des natures portées à choisir et difficiles à satisfaire qui ne se contentent pas d’un gain considérable, dès lors que le travail ne constitue pas lui-même le gain de tous les gains. À cette catégorie d’hommes appartiennent les artistes et les contemplatifs de toutes sortes, mais aussi ces oisifs qui passent leur vie à la chasse, en voyages ou dans des intrigues et des aventures amoureuses. Tous ceux-là veulent le travail et la nécessité pour autant qu’y soit associé le plaisir, et le travail le plus pénible, le plus dur s’il le faut. Au demeurant, ils sont d’une paresse résolue, dût-elle entraîner l’appauvrissement, le déshonneur, et mettre en danger la santé et la vie. Ils ne craignent pas tant l’ennui que le travail sans plaisir: ils ont même besoin de s’ennuyer beaucoup s’ils veulent réussir dans leur propre travail.»
III, § 188: Travail. – Combien proches à présent, même au plus oisif d’entre nous, le travail et l’ouvrier! La politesse royale des paroles " nous sommes tous des ouvriers ! " n’eût encore été qu’indécence et cynisme sous Louis XIV.
IV, § 329 : « Le travail attire toujours plus toute la bonne conscience de son côté: la propension à la joie se nomme déjà "besoin de repos" et commence à se ressentir comme un motif d'avoir honte. […] Eh bien ! Autrefois cela était renversé : le travail portait le poids de la mauvaise conscience. Un homme de bonne origine cachait son travail, quand la nécessité le contraignait au travail. L’esclave travaillait sous la pression du sentiment de faire quelque chose de méprisable en soi: – le "faire" lui-même était quelque chose de méprisable. » [Die Arbeit bekommt immer mehr alles gute Gewissen auf ihre Seite: der Hang zur Freude nennt sich bereits „Bedürfniss der Erholung“ und fängt an, sich vor sich selber zu schämen. [...] Nun! Ehedem war es umgekehrt: die Arbeit hatte das schlechte Gewissen auf sich. Ein Mensch von guter Abkunft verbarg seine Arbeit, wenn die Noth ihn zum Arbeiten zwang. Der Sclave arbeitete unter dem Druck des Gefühls, dass er etwas Verächtliches thue: — das „Thun“ selber war etwas Verächtliches]

Par-delà bien et mal  (1886),

III, § 58 : le sentiment aristocratique selon lequel le travail dégrade en avilissant le corps et l’esprit. […] hommes chez qui l’habitude du travail a détruit, de génération en génération, les instincts religieux.
IX, § 259 : « De nos jours on s’exalte partout, fût-ce en invoquant la science [allusion à Marx], sur l’état futur de la société où " le caractère profiteur " n’existera plus : de tels mots sonnent à mes oreilles comme si on promettait d’inventer une forme de vie qui s’abstiendrait volontairement de toute fonction organique. L’ "exploitation" [Ausbeutung] n’est pas le propre d’une société vicieuse ou d’une société imparfaite et primitive: elle appartient à l’essence du vivant dont elle constitue une fonction organique primordiale, elle est très exactement une suite de la volonté de puissance, qui est la volonté de la vie. – À supposer que cette théorie soit nouvelle, en tant que réalité c’est le fait premier de toute l’histoire : ayons donc l’honnêteté de le reconnaître ! – »

L'Antéchrist (1889, 1895),
§ 57 : « Ceux que je hais le plus ? la canaille socialiste, les apôtres tchandala, qui minent l'instinct, le plaisir, la modération du travailleur satisfait de sa modeste existence, ceux qui rendent le travailleur envieux, qui lui enseignent la vengeance ... »