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samedi 4 juin 2022

DIX PRINCIPES DE LOGIQUE CLASSIQUE (et deux APPENDICES)



Montaigne, Essais, II, 1, exemplaire de Bordeaux, 1588.
" Distingo, est le plus universel membre de ma logique. "


Arthur Schopenhauer, portrait en 1815 par Ludwig Sigismund Ruhl

   Note que l'on pourra à juste titre qualifier de " très sommaire ", mais je n'ai encore rencontré aucune tentative de faire un point à la fois synthétique et vulgarisateur sur les principes à retenir et l'ordre dans lequel les prendre. Toute suggestion ou documentation sera donc la bienvenue.
Pascal : «  Toute notre dignité consiste dans la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever, non de l’espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser. Voilà le principe de la morale. » (Pensées, 347, L 200)
« Afin d'éviter toutes les erreurs, on n'a besoin que d'appliquer les règles les plus vulgaires des logiciens avec beaucoup de constance et de rigueur. »
 (Leibniz, Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, 1ère partie)
Méthode et règles cartésiennes ; art de penser ; lois de la pensée.
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Descartes phénoménologue : « 9. Ce que c’est que penser
Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser. »
Principes de la philosophie (1644), partie I, § 9.
Au sens strict, penser (avec plus ou moins de logique ) s'oppose à sentir ainsi qu'à croire.

KANT : « Que la logique ait suivi depuis les temps les plus anciens ce chemin sûr [celui de la science], le fait qui le montre est que, depuis Aristote, elle n'a pas eu besoin de faire un pas en arrière, si l'on veut bien ne pas compter pour améliorations l'élimination de quelques subtilités superflues, une détermination plus claire de l'exposé, toutes choses qui touchent plus à l'élégance qu'à la sûreté de la science. Il est encore remarquable à son propos que, jusqu'ici, elle n'a pu faire un seul pas en avant, et qu'ainsi, selon toute apparence, elle semble close et achevée. » Critique de la raison pure, Préface de la seconde édition, 1787, traduction Delamarre/Marty, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade. [Daß die Logik diesen sicheren Gang schon von den ältesten Zeiten her gegangen sei, läßt sich daraus ersehen, daß sie seit dem Aristoteles keinen Schritt rückwärts hat tun dürfen, wenn man ihr nicht etwa die Wegschaffung einiger entbehrlicher Subtilitäten, oder deutlichere Bestimmung des Vorgetragenen als Verbesserungen anrechnen will, welches aber mehr zur Eleganz, als zur Sicherheit der Wissenschaft gehört. Merkwürdig ist noch an ihr, daß sie auch bis jetzt keinen Schritt vorwärts hat tun können, und also allem Ansehen nach geschlossen und vollendet zu sein scheint.]


I / Principe de non-contradiction et d'identité ou, plus simplement, d’incompatibilité : La proposition : « A et non A » est fausse pour toute proposition A. Énoncé par Aristote, Métaphysique, IV, page 1005b, lignes 19-20. Non A désigne la négation de A ; la logique classique employait le terme contradictoire ; non A, négation de A, est fausse quand A est vrai, et inversement.
En termes plus simples, ce principe affirme qu'une proposition soumise à la logique ne peut être à la fois vraie et fausse.
Leibniz : " La première des vérités de raison est le principe de contradiction ou, ce qui revient au même, le principe d'identité, ainsi qu'Aristote l'a remarqué justement. " (Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, traduit du latin par Paul Schrecker).
En logique algébrisée, si a est la fonction de vérité de la proposition A (a = 1 pour A vrai, et 0 pour A faux ; avec a² = a), alors la fonction de vérité de non-A est 1 - a, et celle de A et non-A est a(1 - a) = a - a² = 0.

Paradoxes associés  : « Je mens ».
Bertrand Russell : L'ensemble des ensembles n'appartenant pas à eux-mêmes appartient-il à lui-même ? Si on répond oui, alors, comme par définition les membres de cet ensemble n'appartiennent pas à eux-mêmes, il n'appartient pas à lui-même : contradiction. Mais si on répond non, alors il a la propriété requise pour appartenir à lui-même. Formellement, si l'on pose :

y ∈ y ⇔ y ∉ y, donc chacune des possibilités, y ∈ y et y ∉ y, mène à une contradiction.

Forme imagée, paradoxe du barbier. Un barbier se propose de raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes, et seulement ceux-là. Le barbier doit-il se raser lui-même ?


II / Principe d’apodicité ou d’incomplétude : Le point de départ d’une démonstration n’est pas démontrable. Énoncé par Aristote, Métaphysique, IV, vi, page 1011a, ligne 13.
Une démonstration est donc une relation de vérité entre deux propositions ; si... alors...


Les deux principes suivants concernent les relations entre le genre et l'espèce (les deux premiers des cinq universaux selon Porphyre de Tyr (3e siècle) : le genre, l’espèce, la différence spécifique, le propre, l’accident).




III / Principe de spécification ou de division : Variété de l’homogène sous des espèces inférieures. " Distingo [sic] est le plus universel membre de ma Logique. " (Montaigne, Essais, II, i, page 335 de l'édition Villey/PUF). Kant, Critique de la raison pure, Appendice à la Dialectique transcendantale, De l'usage régulateur des idées de la raison pure.


Voir aussi Platon, Philèbe, 13-16 et Politique, 262ab.

Ce principe, encore appelé distinguo interne (ou analyse), et celui qui le suit (distinguo externe ou synthèse), sont attachés à la distinction et aux liens de l’unité et de la multiplicité. Selon Kant, qui leur adjoint le principe de la continuité des formes, ce sont des principes transcendantaux de la raison, car portant sur la façon de connaître en général, et non sur une connaissance particulière. On accuse légitimement de "confusion" ceux qui ignorent ce principe de spécification.
Ce principe s'apparente au second précepte de Descartes.
Discours de la méthode, deuxième partie.


IV / Principe d’homogénéité, de rassemblement ou de généralisation : Homogénéité du divers sous des genres plus élevés. Énoncé par Platon, Lois, XII, page 965cd. Repris par Kant, Critique de la raison pure, Appendice à la " Dialectique transcendantale ", De l'usage régulateur des idées de la raison pure.
Schopenhauer :

...
« Le divin Platon et l'étonnant Kant unissent leurs voix impressionnantes pour recommander une règle, comme méthode de toute philosophie, et même de tout savoir en général. On doit, disent-ils, satisfaire à deux lois, celle de l'homogénéité [généralisation] et celle de la spécification, dans la même mesure et non à l'une au détriment de l'autre. » (Arthur Schopenhauer, De la Quadruple racine du principe de raison suffisante, chapitre premier,  Introduction, § 1 " La méthode ", 1813-1847).
Le sociologue Edgar Morin, qui donc n'inventait rien, dans " Réforme de la pensée" : « Le principe de simplicité impose de disjoindre et de réduire. Le principe de complexité enjoint de relier, tout en distinguant.  »
Illustration du principe de généralisation par Montaigne : " Quelque diversité d’herbes qu’il y ait, tout s’enveloppe sous le nom de salade. " Essais, I, 46.
Ce slogan de la correction politique, " pas d'amalgame ", refuse les connexions légitimes, mais qui dérangent un confort pseudo-intellectuel.


V / Principe du tiers exclu : De deux propositions contradictoires, l’une doit être vraie, l’autre fausse. Aristote, De l’interprétation, VII. La proposition « A ou non A » est vraie pour toutes les interprétations de A. Ce principe, encore appelé ‘loi de bivalence’, est en même temps l’axiome d’existence d'une proposition contradictoire pour toute proposition.

Selon une des lois d'Augustus De Morgan, non(A ou non A) = non A et A, ce qui est faux d'après le premier principe ;
donc A ou non A est vraie.

En logique algébrisée, A ou B a pour fonction de vérité a + b - ab.
Pour A ou non A : a + 1 - a - a(1 - a) = 1 - a + a² = 1, donc vrai.


VI / Principe de raison suffisante (PRS) ou de causalité :

« Rien ne peut se produire sans cause ; il n’arrive rien qui n’ait pu arriver. » Cicéron, La Divination, II, xxviii, 61 : "Nihil enim fieri sine causa potest; nec quicquam fit, quod fieri non potest." Reformulé par plusieurs auteurs :

Francis Bacon (1561-1626) : « Il n’y a rien de si petit qui dans l’ordre de la nature se fasse sans cause » (De l’Accroissement des sciences, II, xiii, Premier exemple).

Baruch Spinoza (1632-1677) : « À toute chose on doit assigner une cause ou raison, tant du fait qu’elle existe que du fait qu’elle n’existe pas » (Éthique, I, proposition. XI).

Leibniz (1646-1716) : « Aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pour qu’il en soit ainsi et pas autrement » (Monadologie, § 32).

Christian von Wolff ou Wolf (1679-1754) : « Il n’est rien sans sa raison d’être » (Ontologie, § 70).

Selon Arthur Schopenhauer (De la Quadruple racine du principe de raison suffisante, chapitre VIII, § 52, 2e édition, 1847), la signification générale de ce principe de raison suffisante est que
" toujours et partout aucune chose n’existe que par l'intermédiaire d'une autre [immer und überall Jegliches nur vermöge eines Andern ist] " ;
il juge indispensable de le diviser en quatre branches :
le rapport de succession temporelle,
le rapport de contiguïté spatiale,
l’inférence logique,
la causalité des phénomènes physiques et biochimiques.


VII / Principe d’analogie : « Il faut assigner les mêmes causes aux effets naturels de même genre, autant que faire se peut. » Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, III, " Règles qu’il faut suivre ", 2.

En droit, cela donne le principe de parallélisme des formes : un acte issu d'une procédure ne peut être modifié ou abrogé qu'en suivant cette procédure.


VIII / Principe (ou règle) d’élimination (modus ponens) : Si A implique B (équivalent à " B ou non-A ") et si A, alors B.
Diogène Laërce, Vie, doctrine et sentences des philosophes illustres, VII [Stoïciens], § 80 : « Si le premier, le second ; or le premier ; donc le second ». On peut y associer la règle pascalienne enjoignant de substituer mentalement la définition à la place des définis (De l'Art de persuader).

" Ne perdons jamais de vue la grande règle de définir les termes. " Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article " Alexandre ".

" Si seulement, au lieu de s'indigner, on cherchait à savoir de quoi l'on parle. Avant de discuter, l'on devrait toujours définir. " André Gide, Journal, " Feuillets 1918 ".


IX / Principe (ou règle) du syllogisme :

Si A implique B (B ou non-A) et si B implique C (C ou non-B), alors A implique C (C ou non-A). Aristote, Topique, I, i, 100a25.

Rabelais en donne un exemple plaisant :

" Il n'est (dit Gargantua) point besoin torcher cul, sinon qu'il y ait ordure ; ordure n'y peut être si on n'a chié ; chier donc nous faut devant que le cul torcher. " (Gargantua, XIII).

Louis Couturat, 1868-1914, distinguait, après Aristote, le syllogisme catégorique (tout a est b, et tout b est c, donc tout a est c) et le syllogisme hypothétique (si tout a est b, et si tout b est c, alors tout a sera c).

Paradoxe associé : « Le jambon fait boire, le boire désaltère, par quoi le jambon désaltère. » (Montaigne, Essais, I, 26)


X / Principe de cohérence transitive des choix :

Si A est préféré à B, et B à C, alors A sera préféré à C. Valable uniquement pour un individu ou un groupe de deux. Lors de choix effectués par un groupe de trois personnes ou plus, ce principe de cohérence peut se trouver violé par le choix résultant des préférences des  membres du groupe : c’est le paradoxe de Condorcet, un des aspects de l’irrationalité des foules, approfondi par Kenneth J. Arrow.


Appendices :

I / Christianisme et marxisme :

  Le marxisme introduisit un dualisme logique : la dialectique, qui admet et promeut le contradictoire, l’identité des contraires, le raisonnement circulaire, et que Lénine appelait, a-t-on dit, " l'algèbre de la révolution ", est opposée à la logique classique qui exigeait et exige toujours la non-contradiction.

  En 1947, le stalinien Jean Kanapa opposa le « rationalisme des Facultés de philosophie, confit, desséché et momifié, simple précepte épistémologique » au « rationalisme total, vivant, dialectique ». Mais Staline finit par être obligé, vers 1950, de réintroduire l'enseignement universitaire de cette logique classique. En France, Jean Toussaint Desanti tenta de promouvoir la "science prolétarienne" contre la "science bourgeoise".

  Le dualisme logique prend en sociologie la forme du constructionnisme (construction sociale de la réalité) dont un des partisans, Philippe Corcuff, essaye désespérément d'élaborer une logique autre que celle du raisonnement classique en introduisant un " raisonnement circulaire " (" Entre malentendus sociologiques et impensé politique ", Le Débat, n° 103, janvier-février 1999, page 117), qui rejoint la " logique " hégélienne de l'identité de l'identité et de la différence, et, avant Hegel, le second Pascal, celui du manuscrit inachevé publié sous le titre Pensées.

  On rejoint la circularité chrétienne chère notamment aux papes Jean-Paul II et Benoît XVI : la foi en Dieu fondée sur le témoignage de Dieu, la vérité de la Révélation réservée à ceux qui croient en Dieu, la raison et la foi qui ne peuvent se contredire car [sic] elles viennent toutes deux de Dieu (Voir les §§ 9, 15 et 43 de la Lettre encyclique de Jean-Paul II, Fides et Ratio [La foi et la raison], 15 octobre 1998).

  Philippe de Lara relevait que
" Si grandioses que soient ces tentatives, elles butent sur le mur du non-sens. " (" Nouvelle sociologie ou vieille philosophie ", Le Débat, n° 103, janvier-février 1999, pages 121-129 ; la vieille philosophie en question étant la dialectique hégéliano-marxiste.)

   Pour maintenir à tout prix l'erreur marxiste ou néo-marxiste, il faudrait changer le critère d'appréciation, ici, rien de moins que la logique ... L’idée que l’on a de ce qui doit être fausse alors la vision que l’on a de ce qui estLe réel passe en jugement devant l'irréel.

Maurice Merleau-Ponty soutenait pourtant que le marxisme ne critique la pensée formelle
« qu’au profit d’une pensée prolétarienne [souligné par Cl. C.] plus capable que la première de parvenir à l’"objectivité", à la "vérité", à l’"universalité", en un mot de réaliser les valeurs du libéralisme. » (Humanisme et terreur, Paris : Gallimard, 1947, deuxième partie, chapitre I).

II / Des associations ont considéré comme raciste cette réplique d'Éric Zemmour : 

« Pourquoi [quand on est noir ou arabe] on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C'est comme ça. C'est un fait. » ; phrase rapportée par la presse sous la forme : « Les Français issus de l'immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C'est un fait » (6/3/2010, dans l'émission de Thierry Ardisson).

La formule des probabilités conditionnelles qui relaxe immédiatement Zemmour de l'accusation de racisme, la voici (d'après un article de Jean-Michel Claverie) :

U : univers des possibles
p : probabilité d'un événement E (sous hypothèse d'équiprobabilité) ; p(E) = card(E)/card(U)
I : un individu est immigré (E = I)
T : un individu est trafiquant (E = T)

p(T/I) est la probabilité de l'événement T sachant que l'événement I est réalisé.

p(T/I) = [p(I/T)x p(T)]/p(I)

Ceci d'après les deux manières de calculer p(I∩T), probabilité de "I et T", qui est aussi p(T∩I)

Application numérique :

Si l'on prend :

p(I/T) = 0,5
p(T) = 1/10 000
p(I) = 0,1

alors p(T/I), la probabilité qu'un immigré soit trafiquant, n'est égale qu'à 1/2 000.


Le même traitement mathématique est applicable à la phrase de Dieudonné qui dit que les plus grands escrocs sont pratiquement tous juifs, ce qui ne veut pas dire que les juifs sont pratiquement tous de grands escrocs.

" La plupart des trafiquants sont noirs et arabes " a été lu à l'envers comme signifiant " la plupart des noirs et arabes sont trafiquants ". On comprendra peut-être mieux sur cet exemple :

" la plupart des prisonniers sont des hommes " [exact, 96 %] ne signifie pas " la plupart des hommes sont en prison ".

Mais la correction politique ignore la théorie élémentaire des ensembles, qui apparemment n'est pas enseignée dans les écoles de journalerie (pas plus que la logique).