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mardi 21 avril 2015

INDEX NIETZSCHE (8/16) : L’ÉGALITÉ (Die Gleichheit)

Fragments posthumes, 1871-1877,
U I 4a, 1871 : [70] : Égalité de l’enseignement pour tous jusqu’à 15 ans. Car la prédestination au lycée par les parents, etc. est une injustice.

Mp XIV 1b, 1876-1877 : [25] : On reproche au socialisme de ne pas tenir compte de l’inégalité de fait entre les hommes ; toutefois ce n’est pas là un reproche, mais bien une caractéristique, car le socialisme décide de négliger cette inégalité et de traiter les hommes en égaux […] c’est dans cette décision de passer outre que réside sa force exaltante.


Humain, trop humain, 1878,

VI, § 300 : Les deux sortes d’égalité. La recherche d'égalité peut être exprimée soit par le désir d'abaisser tous les autres à son niveau, ou de s'élever au niveau de tous. [Die Sucht nach Gleichheit kann sich so äussern, dass man entweder alle Anderen zu sich hinunterziehen möchte (durch Verkleinern, Secretiren, Beinstellen) oder sich mit Allen hinauf (durch Anerkennen, Helfen, Freude an fremdem Gelingen).]


Le Voyageur et son ombre, 1879,

§ 263 : Le chemin de l’égalité.

Quelques heures d’escalade en montagne font d’un coquin et d’un saint deux êtres passablement égaux. La fatigue est le plus court chemin pour aller à l’égalité et à la fraternité – et la liberté enfin nous est donnée de surcroît par le sommeil.

§ 285 : « Il n’y a jamais eu deux lots réellement égaux, et quand il en aurait, jamais l’envie de l’homme pour son voisin ne croirait à leur égalité. »


Fragments posthumes, 1880,

N V 4, automne 1880 : [49] : la puissance pousse à reconnaître la différence

La soumission veut instaurer l’égalité.

[162] : « Reconnaître l’identité d’un homme et d’un autre –, cela devrait être le fondement de la justice ? Voilà une identité très superficielle. Pour ceux qui reconnaissent l’existence d’individus, la justice est impossible – ego. »

[163] : « Si l’on souhaite des hommes ordinaires et égaux, c’est parce que les faibles redoutent l’individu fort et préfèrent un affaiblissement général à un développement dirigé vers l’individuel. Je vois dans la morale actuelle un artifice flatteur pour dissimuler l’affaiblissement général : tout comme le christianisme voulait affaiblir et ramener à l’égalité les hommes forts et intelligents. »

N V 6, fin 1880 : 7[303] : La science ne peut prouver ni que tous sont égaux, ni qu’un comportement fondé sur ce principe soit utile à la longue. [Die Wissenschaft kann weder beweisen, daß alle M gleich sind, noch daß ein Verfahren nach diesem Grundsatz auf die Dauer nützlich ist.]


Le Gai Savoir, 1882,
I, § 18 : "habitués comme nous le sommes à la doctrine de l'égalité des hommes, si ce n'est à l'égalité elle-même." [gewöhnt wie wir sind an die Lehre von der Gleichheit der Menschen, wenn auch nicht an die Gleichheit selber.]


Fragments posthumes, 1881,
M III 1, printemps-automne 1881 : [132] : la différence règne dans les plus petites choses, dans les spermatozoïdes, les ovules – l’égalité est un grand délire.


W I 1, printemps 1884 : [298] : Du rang. La terrible conséquence de l’ "égalité" – finalement chacun croit avoir le droit d’accéder à tout problème. Toute hiérarchie [Rangordnung] est perdue.

W I 6a, juin-juillet 1885 : [14] : Ce siècle veut que chacun se jette à plat ventre devant le plus grand des mensonges – ce mensonge s’appelle "égalité des hommes" – et que l’on révère exclusivement les vertus égalitaires et niveleuses. Il est donc foncièrement hostile à la naissance de philosophes tels que je les conçois.


Par-delà bien et mal, 1886,

III " Le phénomène religieux ", § 62 : « Des hommes pas assez aristocratiques pour apercevoir la hiérarchie des êtres et l'abîme entre un homme et un autre, voilà les hommes qui, avec leur "égalité devant Dieu", ont régné jusqu'à nos jours sur le destin de l'Europe. »

VII " Nos vertus ", § 219 : « Les jugements moraux et les condamnations morales constituent la vengeance favorite des esprits bornés à l'encontre de ceux qui le sont moins ; ils y trouvent une sorte de dédommagement pour avoir été mal partagés par la nature ; enfin, c'est pour eux une occasion d'acquérir de l'esprit et de s'affiner : la méchanceté rend intelligent. Ils se réjouissent au fond de leur coeur de penser qu'il existe un plan où les individus comblés des biens et des privilèges de l'esprit demeurent leurs égaux : ils luttent pour l' "égalité de tous devant Dieu" et, ne fût-ce que pour cela, ils ont besoin de croire en Dieu. »


Le Crépuscule des Idoles (1889),
Divagations d’un "inactuel", § 37 : « L’égalité, une vague assimilation de fait, qui ne fait que s’exprimer dans la doctrine de l’égalité des droits, relève essentiellement de la décadence : le fossé entre un homme et un autre, entre une classe et une autre, la multiplicité des types, la volonté d’être pleinement soi, de se distinguer, ce que j’appellerai la passion de la distance, voilà ce qui me semble propre à toute époque forte. »

§ 48 : « La doctrine de l’égalité ! Mais c’est qu’il n’y a pas de poison plus toxique : c’est qu’elle semble prêchée par la justice même, alors qu’elle est la fin de toute justice … "Aux égaux, traitement égal, aux inégaux, traitement inégal", telle serait la vraie devise de la Justice. Et ce qui en découle : " Ne jamais égaliser ce qui est inégal". »


L’Antéchrist, 1888,
§ 57 : « L’injustice n’est jamais dans l’inégalité des droits, elle est dans la prétention à des droits "égaux". »
[L'égalité des droits est pré-chrétienne, fondamentale mais incomplète puisqu'elle excluait les esclaves (tout comme l'égalité de 1789 excluait les femmes) : « Périclès : Parce que notre régime sert les intérêts de la masse des citoyens et pas seulement ceux d’une minorité, on lui donne le nom de démocratie […] Nous sommes tous égaux devant la loi […] nous nous gouvernons dans un esprit de liberté […] nous obéissons aux lois. » Thucydide, vers -460 / -400, La Guerre du Péloponnèse, II, 37-39.]


Fragments posthumes, 1887-1888,

W II 3, nov. 1887 - mars 1888 : [341] : dans un troupeau l’égalité peut primer [sur la liberté] ; […] dans le socialisme il n’y aura pas de convoitise.

W II 5, printemps 1888 : [30] : quand le socialiste, avec une belle indignation, réclame "justice", "droit", " droits égaux", il est seulement sous l'effet de sa culture insuffisante, qui ne sait comprendre pourquoi il souffre.

W II 6a, printemps 1888 : 15[30], 2 : « Une autre idée chrétienne non moins folle s’est encore transmise dans la chair de la modernité : l’idée de l’égalité des âmes devant Dieu. On y trouve le prototype de toutes les théories de l’égalité des droits : c’est en religion que l’on a d’abord appris à l’Humanité à ânonner le dogme de l’égalité, on lui en a ensuite tiré une morale : et, quoi d’étonnant si l’homme finit par le prendre au sérieux, par le mettre en pratique ! je veux dire en politique, en démocratie, en socialisme, en pessimisme de l’indignation … » [Ein anderer christlicher nicht weniger verrückter Begriff hat sich noch weit tiefer ins Fleisch der Modernität vererbt: der Begriff von der Gleichheit der Seelen vor Gott. In ihm ist das Prototyp aller Theorien der gleichen Rechte gegeben: man hat die Menschheit den Satz von der Gleichheit erst religiös stammeln gelehrt, man hat ihr später eine Moral daraus gemacht: und was Wunder, daß der Mensch damit endet, ihn ernst zu nehmen, ihn praktisch zu nehmen! will sagen politisch, demokratisch, socialistisch, entrüstungs-pessimistisch…]
 
 

dimanche 19 avril 2015

INDEX NIETZSCHE (13/16) : LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, NAPOLÉON


Frédéric Nietzsche, la Révolution française, et Napoléon



INDEX NIETZSCHE 2/16) : "DIEU", LA RELIGION
Voir aussi dans le Dictionnaire Nietzsche l'entrée " Révolution française ", cc. 776b-778a par Balise Benoit.
* * * * *


Le Voyageur et son ombre, 1879,

§ 221 : « La dangerosité des Lumières C’est un ensemble de traits quasi déments, histrioniques, bestialement cruels, voluptueux, et surtout d’une sentimentalité toujours prête à se griser d’elle-même, qui constituent le fonds proprement révolutionnaire et qui, avant la Révolution, s’étaient incarnés dans la personne et le génie de Rousseau : or, l’être qu’ils définissent trouva encore, avec un enthousiasme perfide, à poser la philosophie des Lumières sur sa tête fanatique ; et celle-ci se mit à resplendir comme transfigurée par ce nimbe, ces mêmes Lumières qui lui étaient étrangères au fond et qui, agissant d’elles-mêmes, auraient comme un brillant rayon tranquillement traversé les nuées, longtemps satisfaites de réformer les individus seulement, en sorte qu’elles auraient aussi réformé, quoique très lentement, les mœurs et les institutions des peuples. Mais dès lors, lié à un phénomène violent et brutal, la philosophie des Lumières se fit elle-même violente et brutale. Le danger qu’elle représente en est devenu presque plus grand que l’élément utile d’émancipation et d’éclaircissement qu’elle a introduit dans le vaste mouvement révolutionnaire. Qui comprendra cela saura aussi de quelle confusion il s’agit de la tirer et de quelle salissure la purifier, afin de continuer ensuite l’œuvre des Lumières, pour elle-même, et d’étouffer en germe la Révolution, après coup, de faire qu’elle n’ait pas été. » [Die Gefährlichkeit der Aufklärung. — Alles das Halbverrückte, Schauspielerische, Thierisch-Grausame, Wollüstige, namentlich Sentimentale und Sich-selbst-Berauschende, was zusammen die eigentlich revolutionäre Substanz ausmacht und in Rousseau, vor der Revolution, Fleisch und Geist geworden war, — dieses ganze Wesen setzte sich mit perfider Begeisterung nochdie Aufklärung auf das fanatische Haupt, welches durch diese selber wie in einer verklärenden Glorie zu leuchten begann: die Aufklärung, die im Grunde jenem Wesen so fremd ist und, für sich waltend, still wie ein Lichtglanz durch Wolken gegangen sein würde, lange Zeit zufrieden damit, nur die Einzelnen umzubilden: sodass sie nur sehr langsam auch die Sitten und Einrichtungen der Völker umgebildet hätte. Jetzt aber, an ein gewaltsames und plötzliches Wesen gebunden, wurde die Aufklärung selber gewaltsam und plötzlich. Ihre Gefährlichkeit ist dadurch fast grösser geworden, als die befreiende und erhellende Nützlichkeit, welche durch sie in die grosse Revolutionsbewegung kam. Wer diess begreift, wird auch wissen, aus welcher Vermischung man sie herauszuziehen, von welcher Verunreinigung man sie zu läutern hat: um dann, an sich selber, das Werk der Aufklärungfortzusetzen und die Revolution nachträglich in der Geburt zu ersticken, ungeschehen zu machen.]


Le Gai Savoir, 1882 (1887 pour la préface et le cinquième livre),

V, § 350. À l'honneur des homines religiosi. : " Le protestantisme est déjà un soulèvement populaire au profit des honnêtes, des sincères, des superficiels (le Nord fut toujours plus débonnaire et plus plat que le Sud) ; mais ce fut la Révolution française qui plaça définitivement et solennellement le sceptre dans la main de « l’homme bon » (de la brebis, de l’âne, de l’oie, et de tout ce qui est incurablement plat et braillard et mûr pour la maison de fous des « idées modernes »). " [erst die französische Revolution hat dem „guten Menschen“ das Scepter vollends und feierlich in die Hand gegeben (dem Schaf, dem Esel, der Gans und Allem, was unheilbar flach und Schreihals und reif für das Narrenhaus der „modernen Ideen“ ist).]

V, § 362. Notre croyance en une virilisation de l'Europe.
C'est à Napoléon (et nullement à la Révolution française qui cherchait la « fraternité » entre les peuples et les universelles effusions fleuries) que nous devons de pouvoir pressentir maintenant une suite de quelques siècles guerriers, qui n'aura pas son égale dans l'histoire, en un mot, d'être entrés dans l'âge classique de la guerre, de la guerre scientifique et en même temps populaire, de la guerre faite en grand (de par les moyens, les talents et la discipline qui y seront employés). Tous les siècles à venir jetteront sur cet âge de perfection un regard plein d'envie et de respect : - car le mouvement national dont sortira cette gloire guerrière n'est que le contrecoup de l'effort de Napoléon et n'existerait pas sans Napoléon. C'est donc à lui que reviendra un jour l'honneur d'avoir refait un monde dans lequel l'homme, le guerrier en Europe, l'emportera, une fois de plus, sur le commerçant et le « philistin » ; peut-être même sur la « femme » cajolée par le christianisme et l'esprit enthousiaste du XVIIIe siècle, plus encore par les « idées modernes ». Napoléon, qui voyait dans les idées modernes et, en général, dans la civilisation, quelque chose comme une ennemie personnelle a prouvé, par cette hostilité, qu'il était un des principaux continuateurs de la Renaissance : il a remis en lumière toute une face du monde antique, peut-être la plus définitive, la face de granit. Et qui sait si, grâce à elle, l'héroïsme antique ne finira pas quelque jour par triompher du mouvement national, s'il ne se fera pas nécessairement l'héritier et le continuateur, au sens positif, de Napoléon : lui qui voulait, comme on sait, l'Europe unie pour qu'elle fût la maîtresse du monde. » [Unser Glaube an eine Vermännlichung Europa’s. — Napoleon verdankt man’s (und ganz und gar nicht der französischen Revolution, welche auf „Brüderlichkeit“ von Volk zu Volk und allgemeinen blumichten Herzens-Austausch ausgewesen ist), dass sich jetzt ein paar kriegerische Jahrhunderte auf einander folgen dürfen, die in der Geschichte nicht ihres Gleichen haben, kurz dass wir in’s klassische Zeitalter des Kriegs getreten sind, des gelehrten und zugleich volksthümlichen Kriegs im grössten Maassstabe (der Mittel, der Begabungen, der Disciplin), auf den alle kommenden Jahrtausende als auf ein Stück Vollkommenheit mit Neid und Ehrfurcht zurückblicken werden: — denn die nationale Bewegung, aus der diese Kriegs-Glorie herauswächst, ist nur der Gegen-choc gegen Napoleon und wäre ohne Napoleon nicht vorhanden. Ihm also wird man einmal es zurechnen dürfen, dass der Mann in Europa wieder Herr über den Kaufmann und Philister geworden ist; vielleicht sogar über „das Weib“, das durch das Christenthum und den schwärmerischen Geist des achtzehnten Jahrhunderts, noch mehr durch die „modernen Ideen“, verhätschelt worden ist. Napoleon, der in den modernen Ideen und geradewegs in der Civilisation Etwas wie eine persönliche Feindin sah, hat mit dieser Feindschaft sich als einer der grössten Fortsetzer der Renaissance bewährt: er hat ein ganzes Stück antiken Wesens, das entscheidende vielleicht, das Stück Granit, wieder heraufgebracht. Und wer weiss, ob nicht dies Stück antiken Wesens auch endlich wieder über die nationale Bewegung Herr werden wird und sich im bejahenden Sinne zum Erben und Fortsetzer Napoleon’s machen muss: — der das Eine Europa wollte, wie man weiss, und dies als Herrin der Erde. —]

Fragments posthumes, 1885,

W I 6a, juin-juillet 1885 : 37[9] : « Ici comme ailleurs, le siècle prochain marchera sur les brisées de Napoléon, le premier en date et le plus moderne des hommes des temps nouveaux. Pour les tâches des siècles prochains, la “vie publique” et les Parlements sont les organisations les plus inadéquates. » [hierin, wie in anderen Dingen, wird das nächste Jahrhundert in den Fußtapfen Napoleons zu finden sein, des ersten und vorwegnehmendsten Menschen neuerer Zeit. Für die Aufgaben der nächsten Jahrhunderte sind die Arten „Öffentlichkeit“ und Parlamentarismus die unzweckmäßigsten Organisationen.]

Par-delà bien et mal, 1886,

II « L’esprit libre », § 38 : « Comme il en advint encore récemment, dans toute la lumière des temps nouveaux, de la Révolution française, cette farce sinistre et superflue (1) si on la regarde de près, mais que les nobles et enthousiastes spectateurs de l’Europe entière, qui la suivirent si longuement et si passionnément de loin, interprétèrent au gré de leurs indignations ou de leurs enthousiasmes jusqu’à ce que le texte disparût sous l’interprétation, de même il se pourrait qu’une noble postérité travestît encore une fois le sens de tout le passé et par là en rendit peut-être la vue supportable. – Ou plutôt, n’est-ce pas déjà chose faite ? Ne fûmes-nous pas nous-mêmes cette « noble postérité » ? Et ce passé, dans la mesure où nous sommes conscients d’un tel phénomène, n’est-il pas du même coup aboli ? » [Wie es zuletzt noch, in aller Helligkeit der neueren Zeiten, mit der französischen Revolution gegangen ist, jener schauerlichen und, aus der Nähe beurtheilt, überflüssigen Posse, in welche aber die edlen und schwärmerischen Zuschauer von ganz Europa aus der Ferne her so lange und so leidenschaftlich ihre eignen Empörungen und Begeisterungen hinein interpretirt haben, bis der Text unter der Interpretation verschwand: so könnte eine edle Nachwelt noch einmal die ganze Vergangenheit missverstehen und dadurch vielleicht erst ihren Anblick erträglich machen. — Oder vielmehr: ist dies nicht bereits geschehen? waren wir nicht selbst — diese „edle Nachwelt“ ? Und ist es nicht gerade jetzt, insofern wir dies begreifen, — damit vorbei ?]

1. Autres qualifications ou métaphorisations :
Une conquête (Portalis, Jaurès)
Une épidémie de l’esprit (Sénac de Meilhan)
Une conversion totale du gouvernement d’un peuple (Chateaubriand)
Un retour du factice au réel (Victor Hugo)
Un simple déménagement (Goncourt)
Un bloc (Clémenceau)
Les vacances de la vie (André Malraux)
Un bloc de contradictions (B. Charbonneau)
Un problème qui se donne pour une solution (J. Julliard)



III « Le phénomène religieux », § 46 : « En tout temps ce ne fut pas la foi, mais le détachement de la foi, cette insouciance mi-stoïque mi-souriante à l'endroit du sérieux de la foi qui indigna les esclaves et les dressa contre leurs maîtres.La philosophie « éclairée » indigne : l’esclave veut de l’absolu, il ne comprend que ce qui est tyrannique, en morale comme ailleurs, il aime comme il hait, profondément, jusqu’à la douleur, jusqu’à la maladie ; ses souffrances nombreuses et cachées se révoltent contre le goût aristocratique qui semble nier la souffrance. Le scepticisme à l’égard de la souffrance, simple attitude, au fond, de la morale aristocratique, n’a pas peu contribué à susciter la dernière grande révolte d’esclaves qui a commencé avec la Révolution française. » [Die „Aufklärung“ empört: der Sklave nämlich will Unbedingtes, er versteht nur das Tyrannische, auch in der Moral, er liebt wie er hasst, ohne Nuance, bis in die Tiefe, bis zum Schmerz, bis zur Krankheit, — sein vieles verborgenes Leiden empört sich gegen den vornehmen Geschmack, der das Leiden zu leugnen scheint. Die Skepsis gegen das Leiden, im Grunde nur eine Attitude der aristokratischen Moral, ist nicht am wenigsten auch an der Entstehung des letzten grossen Sklaven-Aufstandes betheiligt, welcher mit der französischen Revolution begonnen hat.]

V « Contribution à l’histoire naturelle de la morale », § 191 : « L'instinct, ou comme disent les chrétiens la "foi", ou comme je dis, moi, le "troupeau" l'a emporté jusqu'ici en matière de morale. Il faudrait faire une exception pour Descartes, le père du rationalisme (et par conséquent le grand-père de la Révolution), qui ne reconnaissait pas d'autre autorité que celle de la raison ; mais la raison n'est qu'un instrument, et Descartes était superficiel. » [in Dingen der Moral hat bisher der Instinkt, oder wie die Christen es nennen, „der Glaube“, oder wie ich es nenne, „die Heerde“ gesiegt. Man müsste denn Descartes ausnehmen, den Vater des Rationalismus (und folglich Grossvater der Revolution), welcher der Vernunft allein Autorität zuerkannte: aber die Vernunft ist nur ein Werkzeug, und Descartes war oberflächlich.]

V, § 199 : « Quel bienfait pour ces Européens, pour ce bétail humain, quelle délivrance d’un malaise qui devenait intolérable, que l’apparition d’un maître absolu : c’est ce que montrèrent pour la dernière fois sur une vaste échelle les répercussions du phénomène napoléonien : l’histoire de ces répercussions est pour ainsi dire celle du plus haut bonheur auquel ce siècle ait pu atteindre dans ses meilleurs moments et dans ses hommes les plus remarquables. » [Welche Wohlthat, welche Erlösung von einem unerträglich werdenden Druck trotz Alledem das Erscheinen eines unbedingt Befehlenden für diese Heerdenthier-Europäer ist, dafür gab die Wirkung, welche das Erscheinen Napoleon’s machte, das letzte grosse Zeugniss: — die Geschichte der Wirkung Napoleon’s ist beinahe die Geschichte des höheren Glücks, zu dem es dieses ganze Jahrhundert in seinen werthvollsten Menschen und Augenblicken gebracht hat.]

VII « Nos vertus », § 239 : « Depuis la Révolution française l'influence de la femme a diminué en Europe à mesure qu'elle obtenait plus de droits et formulait plus de prétentions : et « l'émancipation de la femme », pour autant qu'elle est le vœu et l'œuvre des femmes elles-mêmes (et non pas seulement des imbéciles de l'autre sexe), se révèle comme un des symptômes les plus remarquables du graduel affaiblissement, du dépérissement des instincts les plus essentiellement féminins.» [Seit der französischen Revolution ist in Europa der Einfluss des Weibes in dem Maasse geringer geworden, als es an Rechten und Ansprüchen zugenommen hat; und die „Emancipation des Weibes“, insofern sie von den Frauen selbst (und nicht nur von männlichen Flachköpfen) verlangt und gefördert wird, ergiebt sich dergestalt als ein merkwürdiges Symptom von der zunehmenden Schwächung und Abstumpfung der allerweiblichsten Instinkte.]

VIII, « Peuples et patries », § 245 : « Sa musique [de Beethoven] baigne dans le clair-obscur d'un deuil éternel et d'une éternelle espérance qui déploie ses ailes, — la lumière même qui baigna l'Europe lorsqu'elle rêva avec Rousseau, dansa avec la Révolution autour de l'arbre de la liberté et pour finir adora presque Napoléon. » [seiner Musik liegt jenes Zwielicht von ewigem Verlieren und ewigem ausschweifendem Hoffen, — das selbe Licht, in welchem Europa gebadet lag, als es mit Rousseau geträumt, als es um den Freiheitsbaum der Revolution getanzt und endlich vor Napoleon beinahe angebetet hatte.]

IX, « Qu’est-ce qui est aristocratique ? », § 258 : Quand une aristocratie, comme celle de la France au début de la Révolution, rejette ses privilèges dans un geste de dégoût sublime et tombe victime des visées extravagantes de son sens moral, on doit parler de corruption : ce geste ne fut au fond que le dernier acte d'une corruption séculaire, qui l'avait amenée à se démettre graduellement de ses prérogatives seigneuriales pour se contenter d'être une fonction de la monarchie (elle ne fut plus, à la fin, que sa parure). [Wenn zum Beispiel eine Aristokratie, wie die Frankreichs am Anfange der Revolution, mit einem sublimen Ekel ihre Privilegien wegwirft und sich selbst einer Ausschweifung ihres moralischen Gefühls zum Opfer bringt, so ist dies Corruption].


La Généalogie de la morale (1887),

I « " Bon et méchant ", " bon et mauvais " [„Gut und Böse“, „Gut und Schlecht“] »,
§ 16 : « Dans un sens plus décisif, plus radical encore, la Judée triomphe une fois de plus de l’idéal classique avec la Révolution française : la dernière noblesse politique de l’Europe, celle du XVIIe et du XVIIIe siècle français, s’écroule sous la poussée des instincts populaires du ressentiment – jamais sur Terre on n'avait connu allégresse plus grande, enthousiasme plus tapageur. Au milieu de ce vacarme se produisit la chose la plus inattendue, la plus énorme : avec une magnificence jusqu'alors inconnue, l'idéal antique lui-même se présenta en chair et en os au regard et à la conscience de l'humanité, – et de nouveau, mais plus fortement, plus simplement, de façon plus insistante que jamais, face au vieux mot d'ordre mensonger du ressentiment publiant le privilège de la majorité, face à la volonté de bassesse, d'humiliation et de nivellement de déclin de l'homme, retentit le mot d'ordre contraire, effrayant et enchanteur, du privilège de la minorité. Comme une dernière flèche montrant l'autre chemin apparut Napoléon, le plus singulier, le plus tardif des hommes, et avec lui le problème incarné de l'idéal aristocratique en soi — considérez bien quel problème c'est là : Napoléon, cette synthèse de l'inhumain et du surhomme...» [In einem sogar entscheidenderen und tieferen Sinne als damals kam Judäa noch einmal mit der französischen Revolution zum Siege über das klassische Ideal: die letzte politische Vornehmheit, die es in Europa gab, die des siebzehnten und achtzehntenfranzösischen Jahrhunderts brach unter den volksthümlichen Ressentiments-Instinkten zusammen, — es wurde niemals auf Erden ein grösserer Jubel, eine lärmendere Begeisterung gehört! Zwar geschah mitten darin das Ungeheuerste, das Unerwartetste: das antike Ideal selbst trat leibhaft und mit unerhörter Pracht vor Auge und Gewissen der Menschheit, — und noch einmal, stärker, einfacher, eindringlicher als je, erscholl, gegenüber der alten Lügen-Losung des Ressentiment vom Vorrecht der Meisten, gegenüber dem Willen zur Niederung, zur Erniedrigung, zur Ausgleichung, zum Abwärts und Abendwärts des Menschen die furchtbare und entzückende Gegenlosung vom Vorrecht der Wenigsten ! Wie ein letzter Fingerzeig zum andren Wege erschien Napoleon, jener einzelnste und spätestgeborne Mensch, den es jemals gab, und in ihm das fleischgewordne Problem des vornehmen Ideals an sich — man überlege wohl, was es für ein Problem ist: Napoleon, diese Synthesis von Unmensch und Übermensch…]


Fragments posthumes, 1887-1888

« L'espèce supérieure fait défaut, c'est-à-dire celle dont la fécondité et la puissance inépuisables maintiennent la croyance en l'homme. (Que l'on songe à ce que l'on doit à Napoléon : presque tous les espoirs supérieurs de ce siècle.) » (Fragments posthumes, automne 1887, 9[44].
« Napoléon. le lien intime et nécessaire entre l'homme supérieur et l'homme redoutable. L'" homme ", rétabli ; le tribut mérité de mépris et de crainte restitué à la femme. La " totalité ", comme santé et activité supérieure; la ligne droite, le grand style dans l'action découverts à nouveau; l'instinct le plus puissant qui affirme la vie elle-même, l'instinct de domination. » (Fragments posthumes, automne 1887, 10[5].
« Napoléon, la passion pour de nouvelles possibilités de l'âme, l'élargissement de l'âme dans l'espace... » (Fragments posthumes, été 1888, 16[34].

L’Antéchrist, 1888,

§ 11 : « Kant n’a-t-il pas vu dans la Révolution française le passage de la forme inorganique de l’État à sa forme organique ?
§ 62 : « Le ver du péché, par exemple : c'est de cette misère-là que le christianisme a enrichi l'humanité ! – " L'égalité des âmes devant Dieu ", ce faux-semblant, ce prétexte offert aux rancunes de toutes les âmes viles, cette notion explosive, qui finalement s’est faite Révolution, idée moderne et principe du déclin de toute l'organisation sociale, – c'est de la dynamite chrétienne ... Les bienfaits "humanitaires" du christianisme ! Arriver à produire à partir de l'humanitas une auto-contradiction, un art de s'auto-avilir, une volonté de mensonge à tout prix, une aversion et un mépris pour tous les instincts bons et francs ! » [„Humanitäre“ Segnungen des Christenthums! Aus der humanitas einen Selbst-Widerspruch, eine Kunst der Selbstschändung, einen Willen zur Lüge um jeden Preis, einen Widerwillen, eine Verachtung aller guten und rechtschaffnen Instinkte herauszuzüchten! —]

Le Crépuscule des Idoles, 1888,
« Divagations d'un " inactuel " », § 44, Ma conception du génie : « [...] Prenons le cas de Napoléon. La France de la Révolution, et plus encore de l'époque prérévolutionnaire, aurait, par elle-même, produit le type exactement opposé à celui de Napoléon : et elle a effectivement produit ce type. Et comme Napoléon était autre, héritier d'une civilisation plus robuste, plus immuable, plus antique que celle qui était en train de se disloquer et de s'évanouir en France, c'est lui qui y devint le maître, c'est lui qui était d'emblée le maître unique. Les grands hommes sont nécessaires, l'époque où ils apparaissent est accidentelle. »
§ 48. Ce que j'entends par progrès. : « Napoléon était un cas de " retour à la nature " au sens où je l'entends [une montée] (par exemple in rebus tacticis, et, plus encore, comme le savent les militaires, en stratégie). — Mais Rousseau, à quoi voulait-il au fond revenir, celui-là ? Rousseau, le premier homme moderne, un idéaliste et une canaille en une personne : il avait besoin de " dignité " morale pour soutenir son propre regard. [...] Je hais Rousseau jusque dans la Révolution : elle est l'expression dans l'Histoire mondiale de ce doublet d'idéaliste et de canaille  La farce  sanglante que fut le déroulement de cette Révolution, son " immoralité " me touche peu : ce que je hais, c'est sa moralité rousseauiste, — les soi-disants " vérités " de la Révolution, par lesquelles ses effets se font encore sentir, gagnant à sa cause tout le plat et le médiocre. La doctrine de l'égalité !... » [Napoleon war ein Stück „Rückkehr zur Natur“, so wie ich sie verstehe (zum Beispiel in rebus tacticis, noch mehr, wie die Militärs wissen, im Strategischen). — Aber Rousseau — wohin wollte der eigentlich zurück? Rousseau, dieser erste moderne Mensch, Idealist und canaille in Einer Person; der die moralische „Würde“ nöthig hatte, um seinen eignen Aspekt auszuhalten [...] — Ich hasse Rousseau noch in der Revolution: sie ist der welthistorische Ausdruck für diese Doppelheit von Idealist und canaille. Die blutige farce, mit der sich diese Revolution abspielte, ihre „Immoralität“, geht mich wenig an: was ich hasse, ist ihre Rousseau’sche Moralität — die sogenannten „Wahrheiten“ der Revolution, mit denen sie immer noch wirkt und alles Flache und Mittelmässige zu sich überredet. Die Lehre von der Gleichheit!…]