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mardi 24 janvier 2023

DFHM : Manchette à mouchard en passant par masculin, mignon et monosexie


MANCHETTE

La connotation homosexuelle dont l’origine n’est pas connue avec certitude n’a été pratiquement rencontrée qu’au XVIIIe siècle. Le polémiste protestant Agrippa d'Aubigné nous fournit une piste :
Tragiques, II " Princes ".


Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :

Il se peut aussi que manchette soit dérivé de manche dans le sens que lui donne Mirabeau : « Les Sodomistes pensaient apparemment comme un grand seigneur moderne. Un valet de chambre de confiance lui fit observer que du côté qu’il préférait, ses maîtresses étaient conformées comme des ganymèdes, qu’on ne pouvait trouver au poids de l’or ; qu’il pouvait … des femmes. " Des femmes ", s’écria le maître, " eh ! c’est comme si tu me servais un gigot sans manche " »
H. G. Mirabeau, Erotika Biblion, 1783.

On rencontre cette connotation dans les rapports de la police parisienne à partir de 1726 ; j'en ai fait une publication séparée :

« Il m’a conté la manière dont il avait été arrêté aux Tuileries pour le fait de la manchette, et qu’on en arrêtait aussi à la Demie-Lune et sous les arcades de la place Royale. » (6 janvier 1726)
« Lui ayant dit que j’avais été portier aux Jacobins pendant trois ans, il m’a dit : puisque c’est comme ça, je ne puis pas me fier à vous parce qu’on m’a dit qu’il y avait un jeune homme qui avait été portier aux Jacobins qui faisait arrêter ceux qui étaient de la manchette. » (2 juillet 1727)
« Ils ont tous deux été trois ou quatre fois cet été dernier au Lion d’Argent à la Courtille, où il y avait beaucoup de monde de la manchette, que toute la conversation ne roulait que sur cela, la plupart des hommes qui s’y trouvaient se traitaient de « Madame » et prenait toutes les manières des femmes en faisant comme elles des révérences ; c’est ce qui les a détournés d’y aller. » (16 janvier 1748)
« Il a été rapporté au magistrat que le 29 octobre [1747] Caron s’est trouvé dans une assemblée de gens de la manchette au nombre de vingt qui s’est tenue chez un marchand de vin à l’enseigne du Fer à Cheval à la Courtille, et que tous ont eu affaire les uns avec les autres soit dans ce cabaret soit après en être sortis. » (23 janvier 1748)
Archives de la Bastille, 10256, 257, 259.

Vers sur Deschauffour faits en 1726 :
« L’ordre de la manchette en lui perd son vrai père,
Aux gitons de Paris il tenait ordinaire.
Tout le monde le pleure, et l’église et l’épée. »
De B… [Bois]-Jourdain, Mélanges historiques, satiriques et anecdotiques [...] contenant des détails ignorés ou peu connus sur les événements et les personnes marquantes de la fin du règne de Louis XIV, des premières années de celui de Louis XV, et de la Régence, Paris : Chèvre et Chanson, 1807, tome 2, page 337.

« Leurs discours ressemblent à leurs mœurs, ils ont un langage à part ; plein d’affèterie, ils s’appellent entre eux Frères, Gitons et Ganymèdes. Ces noms bizarres sont leurs noms d’amitié. Ils ont parmi eux un Ordre de Chevalerie dont on ignore l’origine et les prérogatives ; ils tiennent tous à si grand honneur de le porter, qu’il n’y a que les misérables qui ne l’aient pas, on l’appelle Ordre de La Manchette. »
Godard de Beauchamps, Histoire du prince Apprius [Priapus], 1728. (les anagrammes ont été éclaircis)


Dans les Journal et Mémoires du marquis René-Louis d’Argenson, ami de Voltaire, il est question, à la date du 29 mai 1740, d’un certain de Vilaines, « célèbre dans l’ordre de la Manchette », « jouant un grand rôle dans le parti de la Manchette » (tome 3, page 87 de l’édition Vve Jules Renouard, 1859).

Marquis d'Argenson, 29 mai 1740 :

" Ce personnage [Vilaines] est par sa nature porté à l'intrigue, utile à ses amis, et le fond de cette vue est un goût naturel de se mêler d'intrigues de cour. Il est célèbre dans l'ordre de la Manchette. Ce désordre de jeunesse porte à l'amitié et conduit au cœur tendre pour ses amis, quoique le désordre y cesse avec les violentes arsées (sic) qui font le b[ougre]. Celui-ci se trouve grand ami du cardinal de Tencin, que les jésuites lui ont donné pour ami, et il le sert avec jugement, selon le temps.

Ledit Tencin, après avoir tiré si grand parti qu'il a fait du cardinal de Fleury, a considéré d'où venait le vent et où il allait; il a trouvé qu'il allait précisément au sieur Bachelier, et a pénétré que le fond de ce crédit venait des conseils de M. Chauvelin, et qu'il ne pouvait conduire autre part.
[...]
Pour cet effet, il [le cardinal de Tencin] se sert de gens tous désavouables, et tel est de Vilaines jouant un grand rôle dans le parti de la Manchette, ayant vu Courcillon, Deschauffours et même Chausson1. Il est le maître de quelques jeunes gens, secrets sectateurs de cette non conformité, il est bien reçu aux Jésuites, et commande à quantité d'évêques; il va dicter et recevoir des dictées de politique chez la de Tencin, sœur du cardinal, il a de l'esprit, ce qui paraît par une grande facilité à parler de toutes sortes de choses, depuis la politique jusqu'aux marionnettes. Il est homme du monde, il y a toujours été reçu sur cette universalité, et comme homme de bonne compagnie. Ainsi il joint à ses amis de parti quantité de vieux amis, de tous partis indifférents. Il a servi, il a des procès, il est garçon commode, enfin il est dévot, car tous ces pauvres b[ougres]. meurent le c[ul] dans un bénitier. "

1. " Deschauffours avait été brûlé pour crime de sodomie, le 24 mai 1726. Chausson, que d'Argenson appelle Sauchon, avait eu le même sort vers 1674. Si l'on veut juger des progrès que cette hideuse démoralisation avait faits jusque dans les rangs de la jeune noblesse, il faut lire les révélations que renferme à ce sujet le procès-verbal d'un interrogatoire écrit de la main du lieutenant de police d'Argenson : Mss de la Bibliothèque du Louvre. "

Journal et mémoires du marquis d'Argenson, tome 3 / publiés pour la première fois d'après les manuscrits autographes de la Bibliothèque du Louvre, pour la Société de l'histoire de France, par E. J. B. Rathery. Auteur : Argenson, René-Louis de Voyer (1694-1757 ; marquis d'). 1859-1867. Contributeur : Rathery, Edmé-Jacques-Benoît (1807-1875). Société de l'histoire de France. Éditeur scientifique.

« Il y a grande brouillerie dans le ménage du jeune électeur [de Bavière, Maximilien III Joseph] et de l'électrice saxonne : ce prince avant son mariage était de la manchette; il s'est remis au goût régulier, et a pris une maîtresse. » (d'Argenson, Journal et mémoires, tome 5, 6 juillet 1748, page 235.



Jean-Jacques Rousseau utilisa l’expression chevalier de la manchette dans ses Confessions :

« Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des Chevaliers de la manchette, et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur, que j’avais peine à la cacher. »
1ère partie, livre II.

Une des expressions du marquis d’Argenson fut reprise dans l’un des écrits anonymes de la période révolutionnaire, et d’abord dans son titre, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, ou Députation de l’Ordre de la Manchette :
« Que peut aujourd’hui l’abbé Viennet [député à la Convention, père d’un écrivain célèbre] pour l’Ordre de la Manchette ? Rien sans doute ; mais l’ordre lui doit beaucoup de prosélytes : c’est lui qui, par le moyen de son théâtre bourgeois, a perverti Dumay, commis au Domaine ; Cotte, commis d’architecte ; Mandron le jeune, tapissier ; Michu, de la comédie italienne, lui doit son avancement dans l’Ordre. »


Littré donne ces définitions : « Un marquis de la manchette, un homme qui tend la main, un mendiant. Les chevaliers de la manchette, les pédérastes. »

L’explication du sens homosexuel pourrait alors être dans le geste de la main vers le sexe du partenaire. Mais R. H. Van Gulik apporte une autre piste en signalant qu’en Chine ancienne l’expression « manche coupée » était devenue une désignation littéraire de l’amour masculin après que l’empereur Ai-ti ait coupé la manche de son vêtement pour éviter de réveiller son favori endormi à ses côtés.

On rencontre encore parfois le mot, par exemple dans le polar historique d’Alice Yvernat :
« Il n’avait pas l’impression d’être comme ceux de la manchette. Lui, il aimait vraiment. Et qu’y a-t-il de commun entre un amour véritable et la débauche à laquelle certains se livraient ? »
Les Billets indiscrets, chapitre 7, Paris : L’Embarcadère, 2005.

MANIÉRÉ

« Le général Bigeard avait exprimé une volonté : que ses cendres fussent, à sa mort, répandues au-dessus de Diên Biên Phu. Le Vietnam, dont les autorités ont toujours été aussi humaines que les gars du 25e RIC étaient maniérés, a refusé. »
François Miclo, " Général, nous voilà ! Bigeard aux Invalides ", Causeur.fr, 28 novembre 2011.

MANUÉLISER

« [En septembre 1743] M. de Villars porta la main dans la culotte de lui déclarant [Jean-Baptiste Mars], qu’il manuélisa en lui faisant des reproches de ce qu’il n’avait pas l’érection, de ce qu’il n’agissait pas réciproquement avec la même liberté avec lui duc de Villars qui, pendant qu’il touchait d’une main lui déclarant, se manuélisait de l’autre, et parvint seul à l’éjaculation. »
Archives de la Bastille 1, 11536.

MARCHER

Donner dans les relations masculines.

« Axiome : tout Saint-Malo marche. » (Dans la Correspondance Gide/Ghéon).

Julien Green : « [Robert] Levesque nous dit qu'à Rome tout le monde " marche ", que les hommes font l'amour cinq ou six fois par jour, qu'un garçon comprend dès le premier coup d'œil et consent toujours. »
Journal intégral 1919-1940, 13 avril 1935, Paris : Robert Laffont, 2019.

« Il a été groom au Lido pendant quelque temps et me dit que Cartonnet est connu pour faire de l'œil aux gigolos qu'il préfère de beaucoup aux femmes, et qu'il aime surtout se faire baiser. Ce même Cartonnet " marcherait pour de l'argent ". » Journal... 2 octobre 1936.

MARI

« Mari : très facilement employé dans le milieu gay pour désigner son copain du moment. »
www.tasante.com 2002.

La loi Taubira " mariage pour tous " de 2013 a bouleversé la situation...

MASCULIN

« De combien de mots masculins
A-t-on fait des mots féminins
[...]
Sans que l'abbé de Boisrobert
Ce premier chansonnier de France,
Favori de son éminence,
Cet admirable patelin,
Aimant le genre masculin,
S'opposât de tout son courage
À cet efféminé langage. »
Gilles Ménage, Le Parnasse alarmé ou Requête des dictionnaires, 1649, page 8.

À la mort de l’archevêque d’Albi Séroni, on fit circuler ces vers irrespectueux :

« Pleurez, pleurez jeunes garçons
Un prélat si fort débonnaire
Qui retranchait de vos leçons
Deux des genres de la Grammaire :
De même qu’en pays latin,
Il n’usait que du masculin. »
Recueil Maurepas, BnF, mss fr. 12640, année 1685, tome 25, p. 399.

De même après l’expulsion des Jésuites :

« Vous ne savez pas le latin :
Ne criez pas au sacrilège
Si on ferme votre collège
Car vous mettez au masculin
Ce qu’on ne met qu’au féminin. »
Chansonnier Clairambault-Maurepas, année 1762.

MALÉDICTION, MAUDIT cf RACE MAUDITE

MAUVAIS GENRE

Caricature d'Abel Faivre, Le Rire, septembre 1907.


MÉNAGE, MÉNAGE MASCULIN

« Quel beau ménage ils faisaient à la turquesque. Aussi les petits enfants criaient tout haut que Quelus et Maugiron étaient bardaches […] peu après faisant un nouveau ménage. »
La Vie et faits notables de Henri de Valois, 1589.

« À peine arrivée dans la rue, toute la société [les amis lettrés de Sautelet] s’est mise à parler du ménage masculin de Fiévée et Th. Leclerq. On a beaucoup jasé sur ce sujet. »
Delécluze, Journal, 12 avril 1826.

MÉTIER

Métier eut une connotation homosexuelle à partir du XIIe siècle chez des auteurs comme Gautier de Coincy et dans des œuvres anonymes telles que l’Eneas, le Lai de Lanval et l’histoire de Gille de Chyn.

« Il transfigure cette abomination brutale des Sodomites que l’Écriture condamne si aigrement, et la fait évanouir à ce que bougrerie ne soit pas estimée péché. Ce que je crois il ne fait pas sans cause. Car je pense bien qu’il a pratiqué le métier suivant le privilège de son ordre. »
Jean Calvin, Épître contre un cordelier détenu à Rouen, Recueil des opuscules, 1566, page 719.

« Ci-dessous gît un pauvre prêtre,
Plaintif que Bougoin son maître
Lui fit faire plus d’un métier.
L’esprit revient et lui reproche
Qu’il virait en été la broche,
Et l’hiver il était portier.
Agrippa d’Aubigné, Les Aventures du baron de Fæneste, III, 16.

Virer la broche et portier sont des métaphores fugaces auxquelles je n'ai pas cru devoir consacrer une notice.

« Cet honnête homme fut mis par force au métier. »
Agrippa D’Aubigné, Confession catholique du sieur de Sancy, I, 7.

Il y a cinq ou six mois qu’on a mis à la Bastille un nommé Deschauffours qui était un particulier dans Paris, grand bougre de son métier, bel homme et bien fait. Cet homme connaissait beaucoup de monde dans le grand et dans le médiocre, car en général ce n’est pas l’amusement petit-bourgeois. »
Barbier, Journal, mai 1726, BnF, mss fr. 10286, f° 9.

Résurgence inattendue en 1914 :

Francis Carco : « La franchise du môme sidérait la Caille. Le « métier » lui plaisait vraiment, il avait ça dans le sang, et c'était plus comme les Titine et les Bambou qui se forçaient aux pires boulots... Lui aussi, la Caille, il s'y était forcé !... Mais ce qui l'asseyait, c'était chez le frangin de Bambou c'te facilité pour des mœurs contre nature qui, à lui, pour la même raison qu'elles le remuaient, le débectaient horriblement... »
Jésus-la-Caille, Paris : Mercure de France, 1914, deuxième partie, VIII.

METTRE

« Vous ne savez pas le latin :
Ne criez pas au sacrilège
Si l’on ferme votre collège
Car vous mettez au masculin
Ce qu’on ne met qu’au féminin. »
Chansonnier Clairambaut-Maurepas, année 1762.

« Tous les conquérants, ils doivent, c'est bien naturel, mettre les conquis! c'est la loi des plus vives Espèces !… »
Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

« Regarde comme ils sont heureux tes "Français de race" d'avoir si bien reçu les Romains... d'avoir si bien tâté leur trique... si bien rampé sous les fourches... si bien orienté leurs miches... si bien avachi leurs endosses. Ils s'en congratulent encore à 18 siècles de distance!.. Toute la Sorbonne en jubile!... Ils en font tout leur bachot de cette merveilleuse enculade! Ils reluisent rien qu'au souvenir!... d'avoir si bien pris leur pied... avec les centurions bourrus... d'avoir si bien pompé César... d'avoir avec le dur carcan, si étrangleur, si féroce, rampé jusqu'à Rome, entravés pire que les mulets, croulants sous les chaînes... sous les chariots d'armes... de s'être bien fait glavioter par la populace romaine... Ils s'esclaffent encore tout transis, tout émus de cette rétrospection... Ah! qu'on s'est parfaitement fait mettre!... Ah! la grosse! énorme civilisation!... On a le cul crevé pour toujours... Ah! mon popotas!... fiotas! fiotum!... Ils s'en caressent encore l'oigne... de reconnaissance... éperdue... Ah! les tendres miches!... Dum tu déclamas!... Roma!... Rosa! Rosa!... Tu pederum!... Rosa! Rosa! mon Cicéron! »
Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

Blague racontée dans les années 1950 : " Jean Marais vient voir Cocteau à son domicile. Un domestique le reçoit et demande : - C'est pour le maître ? - Non, juste pour le voir. "

La formule insultante " allez vous faire mettre ", " va te faire mettre " n'est pas encore tombée en désuétude.

MFL

Sigle d’un groupe de la fin des années 1970, transposé du MLF, et signifiant Mouvance folle lesbienne ; un groupe d’hommes, contrairement à ce que l’on pourrait croire.

MFLGBT

Sigle assez ridicule correspondant à : Marche des fiertés lesbienne, gay, bi et transgenre

M. G.

Abbréviation de mœurs grecques ou de mauvais genre dans la correspondance de Marcel Proust.

« l’air m. g. «  (29 février 1904) ; « M. est bien m. g. » (février 1905).

MIGNARD, MIGNARDER

« Un gros prieur son petit fils baisait
Et mignardait au matin en sa couche. »
Clément Marot, Épigramme 168, vers 1530

« Il [Zola] s’étend sur les salauderies qui ont lieu dans les collèges de province et qui ont un coin de brutalité que ne présentent pas les branlades mignardes des collèges parisiens. »
Edmond de Goncourt, Journal, 18 avril 1883.

MIGNON

D’origine incertaine, peut-être de minet, chat, ou de l’espagnol niño, garçon. L’adjectif chez Rabelais (Gargantua, chapitre 54) et Du Bellay est dénué de nuance péjorative, mais sans doute aussi de toute connotation homosexuelle.

L’emploi comme substantif fut noté par Pierre de L’Estoile en juillet 1576 :

« Mignons. Le nom de Mignons commença, en ce temps, à trotter par la bouche du peuple, auquel ils étaient fort odieux, tant pour leurs façons de faire qui étaient badines et hautaines, que pour leurs fards et accoutrements efféminés et impudiques, mais surtout pour les dons immenses et libéralités que leur faisait le Roi, que le peuple avait opinion être la cause de leur ruine, encore que la vérité fut que telles libéralités, ne pouvant subsister en leur épargne un seul moment, étaient aussitôt transmises au peuple qu’est l’eau par un conduit. » (origine probable de la théorie du ruissellement).

Ces favoris d’Henri III furent aussi appelés « ganymèdes effrontés », « compagnons de mignétise », et par un ligueur « beaux petits fouille-merde ». On faisait des reproches au Roi :

« Il s’allie avec ses mignons
Ainsi que font les hannetons. »
(De L’Estoile, décembre 1581)

Dans des sonnets dits « peu chrétiens », Ronsard formula les mêmes accusations :

« Le Roi, comme l’on dit, accole, baise et lèche,
De ses poupins mignons le teint frais, nuit et jour ;
Eux, pour avoir argent lui prêtent, tour à tour,
Leurs fessiers rebondis, et endurent la brêche.
[…]
Avec vos mignons consommez le loisir
Qui est dû, selon droit, à la chose publique.
[…]
Les culs plus que les cons sont maintenant ouverts ;
Les mignons de la Cour y mettent leurs lancettes. »
(BnF, mss fr. NA 6888, pp. 136-137)

Chez Montaigne, mignon signifie le plus souvent ami ou favori, mais la connotation d’homosexualité existe dans cette paraphrase de Diogène Laërce :
 
« Archelaus le physicien, duquel Socrate fut le disciple et le mignon selon Aristoxenus. »
(Essais, II, xii, page 556 de l’édition Villey/PUF/Quadrige ; DL, Vie..., II, 19 ; mignon correspond ici au grec παιδικά, garçon aimé).
Le terme se trouve dans les traductions d’ouvrages grecs, par exemple celles de Diogène Laërce et de la Bibliothèque d’Apollodore.

Agrippa d’Aubigné ne laissa aucun doute sur les mœurs des Mignons qu’il disait « putains de la Cour » :
Tragiques, 1616, II " Princes.

Furetière définissait plus délicatement :
« Favori, en matière d’amitié, ou d’amour. Du temps de Henri III, les favoris s’appelaient mignons ; et ce terme emportait quelque chose qui n’est pas fort honnête. »

Michelet crut pouvoir innocenter ce petit monde :

« Puisque ce mot de mignons est arrivé sous ma plume, je dois dire pourtant que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’accordèrent à lui donner. »
(Histoire de la France au XVIe siècle. La ligue et Henri IV, chapitre 5.

Vers sur le musicien Lully, composés en 1681 ou 1685 :

« La vieille Cortain se fâche
Que Brunet soit mon mignon ;
Elle est une vieille vache,
Il est un joli bardache ;
Elle a le con lâche et profond,
Il a le cul petit et rond. »
BnF, mss fr. 12688, page 284 (recueil Clairambault, tome 3)

De Pierre Bayle (1647-1706) : " Antinous, mignon de l'empereur Hadrien " dans l'article " Antinous " du Dictionnaire historique et critique. Autre emploi à l'article " Arcésilas ".

Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1706 (rien en 1680) :


Fénelon évoqua en 1712 les « infâmes mignons » d’Henri III dans ses Dialogues des morts (§§ 67-68).

« La duchesse de La Ferté a dit qu’on remarquait dans l’histoire que la galanterie des rois roulait, l’un après l’autre, sur les hommes et sur les femmes, qu’Henri II et Charles IX aimaient les femmes, et Henri III les mignons ; Henri IV aimait les femmes. Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes et qu’à présent le tour des mignons était revenu. »
Mathieu Marais, Journal et Mémoires, août 1722.

« Le propre jour que le maréchal de Villeroy est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de La Trémouille, premier gentilhomme du Roi, lui servait plus que de gentilhomme, et avait fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est bientôt devenu public, et l’on a envoyé le duc à l’Académie avec son gouverneur pour apprendre à régler ses mœurs. Le Roi a dit que c’était bien fait. Voilà donc le tour des mignons et l’usage de la Cour de Henri III. »
Id., ibid., 27 juin 1724.

" Les dames ont fait les diables ; elles l[le prince de Ligne]'ont fait suivre et surprendre dans un vilain cabaret à Paris, avec quatre ou cinq de ses mignons. "
Lettre de Mathieu Marais au président Louis Bouhier, 24 juillet 1730.

René-Louis d'Argenson :
Journal et Mémoires, volume VIII, année 1754, page 210.

« Il [un Monsignor romain] voulut m’apprendre les catégories d’Aristote et fut sur le point de me mettre dans la catégorie de ses mignons : je l’échappai belle. »
Voltaire, Histoire des Voyages de Scarmentado.

« On parle de l’affaire Coin, du théâtre où paraissaient des femmes qu’on insultait, qu’on débinait et que remplaçaient des hommes nus ; de David, chef de bureau au Ministère de la Guerre, qui fournissait les mignons de la Garde en si grand nombre que le gouvernement a cru à une conspiration militaire et que c’est pour cela que la police est intervenue. »
Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 10 octobre 1864.

« Lapin : enfant ou adolescent vicieux qui remplit dans les collèges le rôle des mignons de Henri III, ou celui d'Alcibiade près de Socrate. »
Hector France, Dictionnaire de la langue verte, 1907, réédition Nigel Gauvin, 1990.

L'écrivain Yvan Audouard distinguait trois sortes d'homosexuels au café de Flore :
" Les " grands mignons " qui [s'étaient] fait un nom en littérature, et [que le patron] estim[ait] ; les " petits mignons " qui [étaient] bien élevés, qui n'affich[ai]ent pas leurs sentiments, et qu'il absol[vait] ; enfin les " vilains mignons " qui [faisaient] profession de l'être et auxquels il continu[ait] de botter périodiquement les fesses ".
" Yvan Audouard vous présente le troisième sexe comme si vous en étiez " , France Dimanche, nº 120, 19 décembre 1948, page 7. [Cité dans Geoffroy Huard, Au-delà de la libération gay - Le monde homosexuel à Paris de l’après-guerre au Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire.]

" On voit très bien que Monsieur Philippot s'empare des leviers de commande, place ses hommes, ses mignons, partout, et il fait un pression constante évidemment sur Marine Le Pen et le pauvre bureau politique ; elle ne doit pas laisser des apparatchiks s'emparer de l'appareil ; c'est Philippot ou Le Pen, un des deux, il faut que les choses soient claires (...) On n'a pas forcément raison parce qu'on est un jeune con. ". (Jean-Marie Le Pen, 11 mai 2015)

« Interrogé sur le caractère "homophobe" de certains de ses propos sur les "mignons" de Florian Philippot, il a expliqué qu'il ne " condamnait pas les homosexuels à titre individuel mais quand ils chassent en meute oui ". C'est-à-dire selon lui " quand de conserve ils manœuvrent d'une certaine manière et se conduisent comme des hétérophobes et des gens qui détestent ceux qui ne sont pas comme eux ".
" M. Philippot et ses amis recrutent plutôt dans leur milieu socio-culturel, si j'ose dire, et ont sur leurs amis une influence d'un type différent de celui qui gouverne généralement les relations entre les hommes ordinaires ", a-t-il dit. " Quand les gens se servent de leur particularité, je la dénonce ", a-t-il ajouté.  » (lepoint.fr, 13 mai 2015).

On a donc là un des termes de l'Ancien Régime monarchique ayant le mieux survécus à la modernité.

MIGNON DE COUCHETTE

Sens hétérosexuel au XVIIe siècle seulement :

« Le voilà, le beau-fils, le mignon de couchette,
Le malheureux tison de ta flamme secrète »
Molière, Sganarelle, acte unique, scène VI.

De Pierre Bayle (1647-1706), l'expression mignon de couchette dans l'article " Jules III " de son Dictionnaire historique et critique.

« Le Créateur nous a fait l’un pour l’autre.
Qui voudra donc aller contre la loi
Du tout-puissant ? Ce ne sera pas moi.
Que l’on m’amène un mignon de couchette
Beau, fait au tour (*), un Adonis enfin ;
D’autre côté, telle quelle soubrette :
Je plante là mon ange masculin,
Et je m’en vais cajoler ma grisette. »
Jean-Baptiste Rousseau, Contes et épigrammes, 1724, « La fourmi ».
* : Je retrouve " fait au tour " dans le Journal intégral de Green, 18 avril 1932, page 412.

« Et Jocko son barbier, marquis de la pincette
Et Monsieur de Maki son mignon de couchette. »
Germain Nouveau, Le Maron travesti.

MIGNONISME

« Les Crétois ont été les premiers à ériger le mignonisme en système. »
Combes-Dounous, annotations des Dissertations de l’orateur grec Maxime de Tyr, 1802.

MIGNONNEMENT

Selon Agrippa d’Aubigné, « marcher mignonnement » faisait partie des lois de la Cour royale (Tragiques, 1616, II " Princes ").

MINET

Terme d'affection ou de mépris ; possède une  connotation homosexuelle que l'Académie n'a pas notée.

" Fig. Jeune homme, jeune fille, à l'existence facile et oisive, aux ^préoccupations frivoles. "
Dictionnaire de l'Académie française, 9e édition.

« J'ai pas peur des petits minets
Qui mangent leur ronron au Drugstore
Ils travaill'nt tout comme les castors
Ni avec leurs mains, ni avec leurs pieds. »
Jacques Dutronc, Les playboys, 1966.

« Dans chaque club, les garçons se tiennent sur la scène très éclairée par petits groupes de quatre ou six ; ils portent la tenue distincte de l'établissement et de sa spécialité, minimale et sexy : maillot 1900 à bretelles ou cycliste pour les athlètes, boxers shorts, strings pour les minets ou pseudo-voyous, les follassons ont droit à des mini-jupes. »
Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie, Paris : Robert Laffont, 2005.

MISER

Aphérèse de sodomiser.

« C’est le destin des Français de se faire miser dans le cours des âges. »
Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre.

« Ils connaissaient les tantes et les pédés par ce qu’en disait Théo, par ce qu’ils en disaient eux-mêmes, s’interpelant en riant, avec ces phrases : "Il en est, de la pédale qui craque !… Tu les prends en long, en large ou en travers ? Va te faire miser, eh ! Va voir chez tonton, tu gagneras mieux ta croûte !…" Mais ces expressions, vite lancées, ne leur représentaient rien de précis. »
Jean Genet, Querelle de Brest, 1947.

MODE

« L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. »
Molière, Dom Juan, V, 2, Dom Juan à Sganarelle.
De Madame, princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV : « Quand on a raconté à Mme Cornuel la vie dévergondée des dames du faubourg (car on les appellent ainsi pace qu’elles habitent toutes au faubourg St Germain), elle a dit : "Mon Dieu, ne les blâmez pas, vous verrez que c’est une mission qu’on aura envoyée là, pour ramener les jeunes hommes du vice à la mode". Cette dame a maintenant 87 ans. »
Lettre à Sophie de Hanovre, 1er février 1693.
« Ce vice, qui s’appelait autrefois le beau vice, parce qu’il n’était affecté qu’aux grands seigneurs, aux gens d’esprit ou aux Adonis, est devenu si à la mode qu’il n’est pas aujourd’hui d’ordre de l’État depuis les ducs jusqu’aux laquais et au peuple qui n’en soit infecté. Le commissaire Foucault, mort depuis peu, était chargé de cette partie et montrait à ses amis un gros livre où étaient inscrits tous les noms de pédérastes notés à la police ; il prétendait qu’il y en avait à Paris presque autant que de filles, c’est-à-dire environ 40 000. »
Mémoires secrets …, 13 octobre 1783.

MŒURS

Dans cette disposition et les suivantes (articles 187-2, 416, 416-1 du CP, art. 2-6 du CPP), mœurs a une connotation homosexuelle 
Loi Badinter/Delebarre 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social.

Voir Appendices de 1985

MOLLESSE

Du grec malakia et du latin mollitia. La mollesse est décrite et souvent stigmatisée par de nombreux auteurs anciens : Alcuin d'York, Augustin, Célius Aurélien, Cyprien de Carthage, Démosthène, Horace, Juvénal, Pétrone, Philon d'Alexandrie, Salvien, Sénèque le Jeune, Sénèque le Père, Tacite, Tite-Live, et Vincent de Beauvais (au sens de masturbation) ; sans parler de tous ceux qui citèrent la 1ère Épître aux Corinthiens de l'apôtre Paul.

Jean Benedicti, La Somme des péchés..., 1587, 1601. Pour cet auteur, la sodomie n’est le fait que de l’actif, les bardaches, patients, ne commettant que le péché de mollesse.



Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :

Pierre Saint-Amand : " Dans un passage de son essai sur le théâtre, Mercier reviendra sur l’affectation du personnage [le petit-maître]. Il mentionnera « le ton apprêté de leur mollesse […] ». C’est ici le terme homophobe qui désigne le plus directement l’effémination du fat, l’adoption des postures du sexe opposé (68).
68. La mollesse est associée depuis l’Antiquité à l’homosexualité passive. Voir Marie-Jo Bonnet, Les relations amoureuses entre les femmes, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 61. Les molles, dans les écrits de l’Antiquité recherchent des satisfactions sexuelles anormales ; ils représentent l’absence de toute puissance virile. Voir David M. Halperin, One Hundred Years of Homosexuality, New York, Routledge, 1990, p. 22-24. Halperin a raffiné son analyse de la mollitia dans un autre livre. Il s’agirait pour lui d’un des modèles du pré-homosexuel. Il étudie cette catégorie intéressante de l’inversion de l’identité sexuelle (masculine). Voir How to Do the History of Homosexuality, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 121-130. Sur la notion de mollesse, pour le contexte français, je renvoie à l’étude de Christophe Martin, « La fontaine de Salmacis. Hantise de la mollesse et construction de la masculinité chez Rousseau », dans Masculinités en révolution, de Rousseau à Balzac, dir. Daniele Maira et Jean-Marie-Roulin, Saint-Étienne, PUSE, 2013, p. 31-48. "
Suite libertine. Vies du XVIIIe siècle, chapitre « Le Théâtre des Beaux », Paris : Classiques Garnier, 2021.

MÔME

Vidocq mettait pour ce mot : « adolescent, joli garçon. » Ce terme d’argot prit ensuite le sens de

« petit garçon livré à la pédérastie »
Anonyme [Pierre Joigneaux ?], L’Intérieur des prisons, 1846.

« On m’a même proposé des mômes, ô mon ami. Mais j’ai refusé. »
Gustave Flaubert, lettre à Camille Rogier, 11 mars 1851.

« Enfants, on les appelle mômes ou gosselins, adolescents ce sont des cousines, plus âgés, ce sont des tantes. »
Larchey, « Dictionnaire des excentricités du langage », Revue anecdotique des excentricités contemporaines, n°5, septembre 1859.

Charles Perrier releva dans l’argot de la prison centrale de Nîmes les mots girond et môme, avec le sens de prostitué ; en vieillissant, le môme devenait une tante ou une copaille (Les Criminels, tome 2, 1905).

« S’ils aiment tant la femme, pourquoi, et surtout dans ce monde ouvrier où c’est mal vu, où ils se cachent par amour-propre, ont-ils besoin de ce qu’ils appellent un môme ?
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, « La Prisonnière »

Selon un observateur, dans un pénitencier guyanais,

« Les homosexuels du type actif s’appellent les hommes, ceux du type passif les mômes […] Pour un forçat, l’épithète de môme est la plus grosse injure après celle de bourricot. »
Dr L. Rousseau, Un Médecin au bagne, chapitre VII, 1930.

MONOSEXIE, MONOSEXUALITÉ, MONOSEXUÉMONOSEXUEL

Le concept d’une sexualité ne s’exerçant qu’à l’intérieur de l’ensemble des êtres d’un seul sexe fut représenté à l’aide des préfixes mono et uni. L’utopiste Charles Fourier avait imaginé, avant 1837, le néologisme monosexie :

« On voit dès à présent que les femmes dans leur état de liberté de perfectibilité comme celles de Paris, ont beaucoup de penchant au saphisme. Les journaux de Paris se sont plaints quelquefois que ce goût se généralisait parmi les jeunes personnes de la capitale ; ce sexe est plus que l’autre enclin à la monosexie. »
" Le saphisme en harmonie ", Le Nouveau monde amoureux, tome VII.

Monosexie est donc, avec homoïousien et unisexualité, un précurseur de la série des termes allemands en homo- ; « monosexual » est un des termes utilisés par Kertbeny dans la lettre de 1868. On peut regretter que ce terme monosexie, moins lourd que d’autres (mais aussi moins clair), n’ait eu aucun succès. Quelques auteurs ont suggéré l’emploi de monosexuel et monosexualité ; on en trouvait encore des traces dans l’ouvrage de Paul Reboux, Sens interdits, 1951.


Michel Foucault : « Il y a deux âges d’or de la problématisation de l’homosexualité comme monosexualité, c’est-à-dire des rapports entre hommes et hommes, et hommes et garçons. Le premier, c’est celui de la période grecque, hellénistique qui se termine en gros au cours de l’Empire romain. Les derniers grands témoignages en sont : le dialogue de Plutarque, les dissertations de Maxime de Tyr et le dialogue de Lucien. »
« Entretien avec Jean Pierre Joecker, M. Overd et Alain Sanzio », Masques, n° 13, printemps 1982.


" Nombreux sont ceux parmi les opposants au texte qui évoquent à son sujet une « révolution anthropologique » fondamentale et irréversible au travers de l’instauration possible pour les enfants d’un double lien de filiation monosexué. " Erwan Binet, RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (N° 344), ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, 17 janvier 2013, III, B.

" Le terme « homoparentalité » est assez ambigu : les relations homosexuelles qu’entretiennent les personnes avec qui vit l’enfant ne concernent que les adultes ; elles ne concernent en rien l’enfant et moins encore les liens juridiques qui unissent les adultes à ce dernier. On devrait donc sans doute davantage parler de « parentalité monosexuée », reposant sur l’indifférence sexuée, plutôt que de parentalité homosexuelle qui se fonderait sur la sexualité partagée par le couple alors qu’il s’agit bien de la question de la parentalité exercée par deux personnes de même sexe. Pour autant, le terme « homoparentalité » est aujourd’hui entré dans le débat public et parfaitement compris de tous. " Ibid., IV, A, 1.


" Si l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes de même sexe permettra l’établissement, dans les deux cas qui viennent d’être mentionnés [adoption d'un enfant par le conjoint et adoption conjointe], d’une double filiation monosexuée, le régime de l’adoption simple comme de l’adoption plénière n’emporte pas de mensonge sur les origines de celui-ci. " Ibid, IV, C.

D’autres enfin témoignent d’une opposition à l’établissement – notamment dans le cadre de l’adoption – d’un double lien de filiation monosexuée, en ce qu’il contredirait l’altérité sexuelle au fondement du modèle reproductif naturel. Ibid, Annexe N° 3.

MOUCHARD

« On m’a traité de mouchard.
Mouchard veut dire : homme qui ne pense pas comme nous.
Synonyme au XVIIIe siècle : pédéraste. »
Charles Baudelaire, Pauvre Belgique.

Nous n’avons pu vérifier l’affirmation relative au XVIIIe siècle ; mais au début du règne de Louis XV on appelait mouches les provocateurs qui approchaient les gens de la manchette pour lier conversation, puis les faire arrêter.

Jules Choux donnait en 1881, dans Le Petit citateur - Notes érotiques et pornographiques

« en être : être mouchard ou pédéraste ; quelquefois tous les deux ; ce qui s’appelle joindre l’utile à l’agréable. » Ouvrage réédité par la BnF.


samedi 30 juillet 2022

NOTES SUR LE MARXISME (1/2)




I – Effets secondaires néfastes sur la probité intellectuelle
II - Prémonitions et mises en garde (avant Frédéric Nietzsche)
III - Engagements, égarements ; matériaux d'un sottisier politique
IV - Reculs critiques et autocritiques
V - Et après ?
VI – Définitions positives du marxisme



I – Effets secondaires malfaisants sur la probité intellectuelle la plus élémentaire :


GIDE : « Ce qui m’effraie, c’est que cette religion communiste comporte, elle aussi, un dogme, une orthodoxie, des textes auxquels on se réfère, une abdication de la critique … C’est trop. » André Gide (1869-1951), Journal, 13 août 1933.

Carte postale de la série " Les écrivains du monde pour la défense de l'URSS "
éditée en 1933 en l'honneur d'André Gide. (Merci à Philippe Brin)

SARTRE : « Pendant des années l’intellectuel marxiste crut qu’il servait son parti, en violant l’expérience, en négligeant les détails gênants, en simplifiant grossièrement les données et surtout en conceptualisant l’événement avant de l’avoir étudié. »
Jean-Paul Sartre (né en 1905 à Paris XVIe - mort le 15 avril 1980 à Paris XIVe), Questions de méthode, 1, " Marxisme et existentialisme ", 1957. [À rapprocher de l’inestimable avertissement kantien :
« des pensées sans contenu sont vides ; des intuitions sans concepts sont aveugles. [Gedanken ohne Inhalt sind leer, Anschauungen ohne Begriffe sind blind.] », Critique de la raison pure, I Théorie transcendantale des éléments, 2e partie " Logique transcendantale ", introduction, I " De la logique en général ", traduction Delamarre/Marty, Paris : Gallimard 1980, Collection " Bibliothèque de la Pléiade "].
BESANÇON : « Le système est bouclé sur lui-même puisque tout essai de réfutation révèle [à lire avec des guillemets] l’influence de la bourgeoisie, par conséquent la lutte des classes telle que le marxisme lui-même l’a définie. »
Alain Besançon (né en 1932 à Paris VIe, décédé à Paris le 9 juillet 1923), Les Origines intellectuelles du léninisme, Paris : Calmann-Lévy, 1977, XII.

FOUCAULT : « Pendant longtemps, la philosophie, la réflexion théorique ou la "spéculation" ont eu à l’histoire un rapport distant et peut-être un peu hautain. On allait demander à la lecture d’ouvrages historiques, souvent de très bonne qualité, un matériau considéré comme "brut" et donc comme "exact" ; et il suffisait alors de le réfléchir, ou d’y réfléchir, pour lui donner un sens et une vérité qu’il ne possédait pas par lui-même. Le libre usage du travail des autres était un genre admis. Et si bien admis que nul ne songeait à cacher qu’il élaborait du travail déjà fait ; il le citait sans honte.

Les choses ont changé, me semble-t-il. Peut-être à cause de ce qui s’est passé du côté du marxisme, du communisme, de l’Union soviétique. Il ne paraissait plus suffisant de faire confiance à ceux qui savaient et de penser de haut ce que d’autres avaient été voir là-bas. Le même changement qui rendait impossible de recevoir ce qui venait d’ailleurs a suscité l’envie de ne plus recevoir tout fait, des mains des historiens, ce sur quoi on devait réfléchir. Il fallait aller chercher soi-même, pour le définir et l’élaborer, un objet historique nouveau. C’était le seul moyen pour donner à la réflexion sur nous-mêmes, sur notre société, sur notre pensée, notre savoir, nos comportements, un contenu réel. C’était inversement une manière de n’être pas, sans le savoir, prisonnier des postulats implicites de l’histoire. C’était une manière de donner à la réflexion des objets historiques au profil nouveau.

On voyait se dessiner entre philosophie et histoire un type de relations qui n’étaient ni la constitution d’une philosophie de l’histoire ni le déchiffrement d’un sens caché de l’histoire. Ce n’était plus une réflexion sur l’histoire, c’était une réflexion dans l’histoire. Une manière de faire faire à la pensée l’épreuve du travail historique ; une manière aussi de mettre le travail historique à l’épreuve d’une transformation des cadres conceptuels et théoriques. Il ne s’agit pas de sacraliser ou d’héroïser ce genre de travail. Il corresponde à une certaine situation. C’est un genre difficile qui comporte beaucoup de dangers, comme tout travail qui fait jouer deux types d’activités différents. On est trop historien pour les uns et, pour les autres, trop positiviste. Mais, de toute façon, c’est un travail qu’il faut faire soi-même. Il faut aller au fond de la mine ; ça demande du temps ; ça coûte de la peine. Et quelquefois on échoue. Il y a en tout cas une chose certaine : c’est qu’on ne peut pas dans ce genre d’entreprise réfléchir sur le travail des autres et faire croire qu’on l’a effectué de ses propres mains ; ni non plus faire croire qu’on renouvelle la façon de penser quand on l’habille simplement de quelques généralités supplémentaires. Je connais mal le livre [de Jacques Attali] dont vous me parlez. Mais j'ai vu passer depuis bien des années des histoires de ceci ou de cela - et vous savez, on voit tout de suite la différence entre ceux qui ont écrit entre deux avions et ceux qui ont été se salir les mains. Je voudrais être clair. Nul n'est forcé d'écrire des livres, ni de passer des années à les élaborer, ni de se réclamer de ce genre de travail. Il n'y a aucune raison d'obliger à mettre des notes, à faire des bibliographies, à poser des références. Aucune raison de ne pas choisir la libre réflexion sur le travail des autres. Il suffit de bien marquer, et clairement, quel rapport on établit entre son travail et le travail des autres. Le genre de travail que j'évoquais, c'est avant tout une expérience - une expérience pour penser l'histoire de ce que nous sommes. Une expérience beaucoup plus qu'un système. Pas de recette, guère de méthode générale. Mais des règles techniques : de documentation, de recherche, de vérification. Une éthique aussi, car je crois qu'en ce domaine, entre technique et éthique, il n'y a pas beaucoup de différences. D'autant moins peut-être que les procédures sont moins codifiées. Et le principal de cette éthique, c'est avant tout de respecter ces règles techniques et de faire connaître celles qu’on a utilisées. »
Michel Foucault (1926-1984), « À propos des faiseurs », Libération, 21 janvier 1983, entretien avec Didier Éribon.



BOUVERESSE : « Pour n’avoir pas vu le goulag là où il crevait les yeux de tout le monde, un certain nombre d’intellectuels se croient obligés depuis quelque temps de le détecter partout où il n’est pas, en particulier dans l’exercice normal du droit de critique, qui devrait constituer justement, en matière intellectuelle, la plus fondamentale des libertés. »
Jacques Flavien Bouveresse (né dans le Doubs en 1940 - décédé le 9 mai 2021 à Paris XIIe), Le Philosophe chez les autophages, II, Paris : Minuit, 1984.



« Si l’on regarde ce qu’a produit la période durant laquelle on a pensé que la philosophie était de la " lutte de classes dans la théorie " [allusion à Louis Althusser], ou quelque chose de ce genre, il n’y a pas de quoi être fier: cela a produit essentiellement de la pseudo-science, de la mauvaise philosophie, et de la politique imaginaire. »
Jacques Bouveresse, « Entretien avec Christian Delacampagne », Le Monde, 25-26 juin 1995.


* * * * *

Cette malhonnêteté intellectuelle des marxistes, des staliniens, ce manque de probité, a muté en une police de la parole exercée par la correction (au double sens de rectification et de punition) politique sur les propos dits réactionnaires, antisémites et racistes d'abord, puis dit révisionnistes, puis dit homophobes, puis dits islamophobes, xénophobes ou nationalistes.


II - Prémonitions et mises en garde (avant Frédéric Nietzsche) :

CICÉRON  : « [La République] tombée aux mains d’hommes moins désireux de modifier l’État que de le détruire. »
Cicéron, Des devoirs, II, 1.

SÉNÈQUE : « Nous ne vivons pas sous un roi, que chacun dispose de lui-même.[…] Qui suit un autre, il ne suit rien. Il ne trouve rien, voire il ne cherche rien. »
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius [Ad Lucilium epistulae morales], XXXIII, 4, 10 [pour les deux dernières phrases, c'est la traduction de Montaigne].

MONTAIGNE : « Le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. […] amender les défauts particuliers par une confusion universelle et guérir la maladie par la mort […] Toutes grandes mutations ébranlent l'État, et le désordonnent. » MontaigneEssaisIII, ix, page 958 de l'édition Villey/PUF/Quadrige.

MONTESQUIEUDe l'Esprit des lois



PORTALIS : « Nous appelons esprit révolutionnaire, le désir exalté de sacrifier violemment tous les droits à un but politique, et de ne plus admettre d’autre considération que celle d’un mystérieux et variable intérêt d’État. » Jean-Étienne-Marie Portalis, 1746-1807, emprisonné sous la Terreur, Discours préliminaire sur le projet de Code civil.
Voilà une bonne définition du totalitarisme ; le KGB soviétique, que le quotidien Le Monde appelait Comité d'État pour la Sécurité, était en réalité un Comité pour la Sécurité de l'État [Комитет государственной безопасности].

HUGO :
« Communisme. Une égalité d’aigles et de moineaux, de colibris et de chauves-souris, qui consisterait à mettre toutes les envergures dans la même cage et toutes les prunelles dans le même crépuscule, je n’en veux pas […] Communisme. Rêve de quelques uns et cauchemar de tous. »
Victor Hugo, Dossier " Idées ça et là ", VI, publié par Henri Guillemin (1903-1992) en 1951 dans Pierres.
MILL :
« Forcer des populations non préparées à subir le communisme, même si le pouvoir donné par une révolution politique permet une telle tentative, se terminerait par une déconvenue […] L’idée même de conduire toute l’industrie d’un pays en la dirigeant à partir d’un centre unique est évidemment si chimérique, que personne ne s’aventure à proposer une manière de la mettre en œuvre. […] Si l’on peut faire confiance aux apparences, le principe qui anime trop de révolutionnaires est la haine. » John Stuart Mill  (1806-1873), Essays on Economics and Society, Chapters on Socialism, 1879, « The difficulties of Socialism ».

MARX : « Toutes les révolutions ont perfectionné cette machine [le pouvoir gouvernemental] au lieu de la briser. »
Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852, VII.
Depuis : « Jusqu’à présent, il n’est pas une révolution qui, en fin de compte, n’ait abouti à un renforcement de la mécanique administrative. » (LénineL'État et la révolution, 1917, II).
Et : « Il n’y a pas de " jusqu’à présent " qui tienne : la petite phrase reste vraie et ce que Lénine écrivait en 1917, il pourrait le récrire encore. », André GideJournal, Feuillets II, Été 1937.

III - Engagements, égarements ; matériaux pour un sottisier politique

HENRI BARBUSSE (1873-1935) : « J'estime que cette perversion d'un instinct naturel, comme bien d'autres perversions, est un indice de la profonde décadence sociale et morale d'une certaine partie de la société actuelle. À toutes les époques les signes de décadence se sont manifestés par des raffinements et des anomalies dans la sensation, dans l’impression et dans le sentiment. La complaisance avec laquelle certains écrivains mettent leur talent délicat au service de questions de cette espèce, alors que le vieux monde est en proie à des crises économiques et sociales formidables, et s’achemine inéluctablement vers le gouffre ou vers la révolution, ne fait pas honneur à cette phalange décadente d’intellectuels. Elle ne peut que renforcer le mépris que la saine et jeune puissance populaire éprouve pour ces représentants de doctrines maladives et artificielles, et tout cela hâtera, je l'espère, l'heure de la colère, et de la renaissance. »
Réponse au questionnaire sur la préoccupation homosexuelle en littérature, Les Marges, n° 141, 15 mars 1926. [En 1930, dans son ouvrage Russie, Barbusse traitait Proust, Cocteau et Gide de « littérateurs de fin d’Empire ».]

ARAGON : " Il s'agit de préparer le procès monstre
d'un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d'ouvriers et soldats
Constituez le tribunal révolutionnaire
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons

Je chante le Guépéou (*) qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre Dieu Chiappe et la Marseillaise
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation des banques
Vive le Guépéou contre les manœuvres de l'Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type
Caballero Boncour Mac Donald Zoergibel
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du prolétariat. "
Louis Aragon (né à Paris XVIe en 1897 - décédé le 24 décembre 1982 à Paris VIIe), " Prélude au temps des cerises " dans Persécuté-Persécuteur, Paris : Denoël, 1931.
* Guépéou (ou GPU, ГПУ en alphabet cyrillique) était le sigle de Gossoudarstvénnoïe polititcheskoié oupravlénié (en russe : Государственное политическое управление, ; en français : Direction Politique de l’État).


Cité dans



MAXIME GORKI (1868-1936) :
« Dans le pays que le prolétariat dirige virilement et avec succès, l'homosexualité [гомосексуализм] qui déprave la jeunesse est considéré comme un crime social et puni comme tel, tandis que dans le pays "cultivé" des grands philosophes, des grands savants et des grands musiciens, il se manifeste librement et impunément. On a déjà composé un slogan sarcastique : "Exterminez les homosexuels – le fascisme disparaîtra. »
La Culture et le peuple, " Humanisme prolétarien ", 1934. [Œuvres complètes, tome XXVII, page 238 ; texte publié par ailleurs en article dans la presse soviétique (Izvestia-Известия,  Pravda-Правда) de l’époque ; traduit par Cl. C.]

La Culture et le peuple, " Du vieil homme et de l'homme nouveau " (1932),
Paris : Éditions sociales internationales, 1938, page 221.

Maurice Thorez, L'Humanité, 3 septembre 1936, page 2.


SARTRE : « La morale de [André] Gide est un des mythes qui marquent le passage de la grande propriété bourgeoise – possession concrète de la maison, des champs, de la terre, luxe intime – à la propriété abstraite du capitalisme. »
Jean-Paul Sartre, Les Carnets de la drôle de guerre, 1983, V, mardi 20 décembre 1939.


EDGAR MORIN (NAHOUM) (1947) : « Il y a des génies qui devancent l'histoire. Ils restent des décades ignorés, méconnus. Et puis l'histoire les rattrape. Et puis l'histoire les dépasse. Et pourtant l'heure où ils sont dépassés, l'heure où ils perdent leurs vertus est l'heure même de la gloire officielle, de la grande canonisation littéraire.
André Gide a reçu le Prix Nobel. Couronnement pleinement justifié s'il s'était agi d'honorer ce style admirable, se purifiant sans cesse, de l'auteur des « Nourritures terrestres », de la « Porte étroite », de la « Symphonie pastorale », des « Caves du Vatican », des « Faux Monnayeurs », ou l'immense influence libératrice sur la jeunesse que fut celle de Gide de 1923 à 1936.
Mais que reste-t-il de ce Gide-là ? Qu'est aujourd'hui le Gide couronné et le Gide officiel ?
Ma foi l'anticommunisme de Gide, depuis le retour de l'U.R.S.S. ne lui a pas subitement ôté son talent. Gide écrit toujours aussi admirablement. Mais depuis dix ans, l'anticommunisme a souillé le caractère universel du « message » gidien. Depuis 1936, il y a un Gide figé, amer, frivole. Un Gide qui, en 1947, n'a plus derrière lui ce qu'il a eu pendant vingt ans : la jeunesse. Un Gide qui ne sait plus enseigner la ferveur, mais la peur, mais un refus, un rejet.
Il est toujours triste de ne pouvoir admirer pleinement, comme on le désire. Il est toujours triste de dénoncer l'imposture de celui qui a su dénoncer tant d'impostures. Il est triste de voir s'être desséché ce qui fut l'une des belles consciences du siècle. Mais quoi ! La canonisation a commencé. Les voilà qui s'agitent avec leurs couronnes, ceux qui ont mis vingt ans à découvrir les « Nourritures », ceux qui ont hurlé après Corydon, ceux qui ont crié au scandale après le « Voyage au Congo ». La bourgeoisie commence à embaumer et maquiller – comme s'il était déjà mort – celui qui laisse dire et ne proteste plus – celui qui avait écrit pourtant en 1935 :
« Chaque homme porte en soi de quoi lutter contre soi-même et le combat restera toujours actuel, entre la pesanteur de la matière inerte et l'élan de l'esprit, entre l'invitation à la paresse et l'exigence de la ferveur. » [Discours prononcé par André Gide sur la Place Rouge le 20 juin 1936, pour les funérailles de Gorki ]
Il n'y a plus de combat depuis douze ans. Gide ne cherche plus. Il est d'accord avec ce qui est. Adapté. Et en échange : adopté.

*

Comment donc situer Gide ? Le moment des Prix Nobel est le moment de l'éclipse de son influence réelle. Cette éclipse durera-t-elle ? L'œuvre de Gide se débrouillera avec la postérité. Cela ne nous regarde pas. Ce qui nous regarde, c'est d'expliquer pourquoi Gide n'est plus le maître des ferveurs et des révoltes de la jeunesse.
Mais tout d'abord, il faut rappeler pourquoi et comment il eut une grande influence libératrice. Il faut se souvenir de la querelles des « peupliers », du refus de la mythologie barrésienne : « La Terre et les morts ». Il faut se souvenir du « Familles, je vous hais » à l'époque où la pesante hypocrisie des familles bourgeoises étouffait les jeunes gens. Il faut se souvenir de la révolte contre l'oppression colonialiste : « Voyage au Congo », « Retour du Tchad », épanouissement de cette révolte, l'adhésion au communisme... « Les Nouvelles nourritures » où il était dit : « C'est dans l'abnégation que chaque affirmation s'achève. Tout ce que tu résignes en toi prendra vie. Tout ce qui cherche à s'affirmer se nie ; tout ce qui se renonce s'affirme. La possession parfaite ne se prouve que par le don. Tout ce que tu ne sais pas donner te possède... [Morin coupe ici deux phrases des Nourritures terrestres : « Sans sacrifice il n'est pas de résurrection. Rien ne s'épanouit que par offrande. » Note de Fabrice Picandet]. Ce que tu prétends protéger en toi s'atrophie. » On ne dit pas cela dans les académies, même en Suède. C'est à nous de le dire.
Et aujourd'hui, 25 ans après, jour du Prix Nobel, Gide déclare à l'Associated Press, en faisant allusion au communisme, et pour s'opposer : « Je suis farouchement individualiste. » Mais a-t-il oublié que cet individualisme est celui-là même qui « cherchant à s'affirmer se nie » et que disant cela, il n'est plus un grand individu ? Et le voilà desséché, recroquevillé et bien attablé devant de petits problèmes : faisant des gloses sur tel vers d'Iphigénie, ou agitant des considérations distinguées sur tel point de grammaire, ou bien frémissant de peur devant le monde, lui qui auparavant frissonnait d'inquiétude. Oui, « Ce que tu prétends protéger en toi s'atrophie. » C'est ce Gide que porte universellement au Panthéon la cohorte des atrophiés.

*

À l'époque où elle exerça son heureuse influence, l'œuvre de Gide n'était pas, comme aiment le dire les conformistes, une œuvre de décadence. Au contraire, c'était un « appel direct » pour le « retour aux joies naturelles ». C'était une réaction contre l'univers artificiel du symbolisme qui s'était lui-même nommé décadence.
Bien sûr, il est faux, et [mot illisible], de vouloir chercher en Gide une pensée organisatrice et créatrice. Gide fut un révolutionnaire de la sensibilité. Mais il ne fut nullement révolutionnaire de l'intelligence. Les vues générales de Gide, dans son « Journal », appuyées de métaphores botaniques, sont d'une grande pauvreté. Gide devait obscurément sentir cette faiblesse. Il fut heureux de s'opposer à l'intellectualisme, et de dire un jour, à propos de Dostoïevski : « Ce qui s'oppose à l'amour, ce n'est point tant la haine que la rumination du cerveau. » D'où la promotion des valeurs de pure sensibilité : « ferveur, inquiétude ». D'où une philosophie « gidienne » qui si on voulait la réduire à quelques concepts serait une banalité ridicule.
D'où aussi les multiples métamorphoses de Gide, ses perpétuelles adhésions à des doctrines et des fois contradictoires ; d'où son impuissance à comprendre rationnellement ce qu'était l'U.R.S.S., d'où peut-être l'abdication finale actuelle dans les jeux frivoles de la linguistique, dans les discours vides où seule sa magnifique voix grave éveille encore quelque résonance, tandis que les pharisiens désormais applaudissent; d'où aussi le fait que l'œuvre de Gide est une œuvre essentiellement poétique « parlant de l'âme à l'âme » mais en rien une œuvre qui enseigne à penser.
D'autre part de le message Gidien a épuisé son [mot illisible] parce que depuis cette guerre les problèmes de la jeunesse, les problèmes de l'homme qui cherche une vérité ont fondamentalement changé. Le message Gidien était une « recherche de la vraie vie », problème essentiel des intellectuels de l'entre-deux guerres, qui se sentant isolés du peuple, isolés des conditions dramatiques de la vie humaine, étaient avides, eux qui tournaient dans leur univers [un mot illisible] et paisible, d'intensité, d'aventure.
Gide proposa le premier l'aventure des instincts, des passions, le mépris des conventions et des traditions. Il a dit le premier : « vivez sans remords de vivre ».
Ce fut un point de départ nécessaire.... Beaucoup se perdirent, mais beaucoup trouvèrent une issue.
Aujourd'hui, après cette guerre mondiale, le problème des hommes de littérature n'est plus de vivre. La vie nous a emporté dans ses remous énormes ; guerre, [un mot illisible], la plus prodigieuse des aventures. Nous [deux mots illisibles] par notre expérience [un mot illisible]. Le problème de la littérature est désormais : la conscience. Prendre conscience du vécu, du réel. Là Gide n'est plus d'aucun secours. Grand écrivain mais nullement penseur, nullement maître de conscience. Au contraire : esprit faux – et qui le reconnaît d'ailleurs.
Aujourd'hui l'œuvre de Gide n'a plus d'efficacité, de prolongements sinon purement esthétiques.
Gide n'a pu, depuis quinze ans, se transformer une fois de plus, ouvrir un chemin nouveau. Au contraire, il a fait marche arrière. Il rentre dans le sein des familles bourgeoises. « Après [Arthur] Kœstler, tu liras les Retouches au retour d'U.R.S.S. mon petit chéri. » — « Oui, maman. » Dommage pour l'humanité. Dommage pour Gide. Sa vieillesse n'est pas l'épanouissement goethéen. C'est quelque chose qui se dessèche. Emportez ces cendres, [un mot illisible]. »
Edgar Morin [Edgar Nahoum], « " Familles, je vous haïssais" » ANDRÉ GIDE et le PRIX NOBEL », Action Hebdomadaire de l'indépendance français, n°164, 19-25 novembre 1947. Fac-simile sur Gidiana.

* * * * *

ARAGON/MONOD : « Aux yeux de [Trofim Denissovitch] Lyssenko [1898-1976], des mitchouriniens, des kolkhosiens et sovkhosiens de l’U.R.S.S., du Parti bolchevik, de son Comité central, et de Staline, la victoire de Lyssenko est effectivement, comme le reconnaît avec stupeur le Dr Jacques Monod (1), une victoire de la science, une victoire scientifique, le refus le plus éclatant de politiser les chromosomes. » Louis Aragon, « De la libre discussion des idées », Europe, octobre 1948.

1. « Ce qu'il s'agit de comprendre, c'est comment Lyssenko a pu acquérir assez d'influence et de pouvoir pour subjuguer ses collègues, conquérir l'appui de la radio et de la presse, l'approbation du comité central et de Staline en personne, au point qu'aujourd'hui la " Vérité " dérisoire de Lyssenko est la vérité officielle, garantie par l'État, que tout ce qui s'en écarte est " irrévocablement banni " de la science soviétique (" Pravda ", cité d'après " Soviet news " [publication de l'ambassade soviétique à Londres] du 27 août [1948] et que les opposants qui contre lui défendaient la science, le progrès, les vrais intérêts de leur patrie sont honteusement chassés, cloués au pilori comme " esclaves de la science bourgeoise " et pratiquement accusés de trahison.
Tout cela est insensé, démesuré, invraisemblable. C'est vrai pourtant. Que s'est-il passé ? » — Jacques Monod, Combat, 15 septembre 1948.

ANONYME« Le véritable marxiste, enfin, ne se juge marxiste qu'à partir du moment où il lui semble pouvoir mériter l'épithète enthousiasmante de " stalinien ". » " Présentation ", La Nouvelle Critique - Revue du marxisme militant, n° 1, décembre 1948, page 11.


La Nouvelle Critique Revue du marxisme militant.
" La revue est créée en 1948 par le Parti communiste français.
N° 1, décembre 1948

Jean Kanapa (né en 1921 dans le Val-d'Oise - décédé le 5  septembre 1978 à Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, agrégé de philosophie en 1943, classé 4e sur 15) en a été le rédacteur en chef jusqu'en 1959, puis Jacques Arnault lui succède. Dirigée à partir de 1967 par le journaliste Francis Cohen, elle cesse de paraître en février 1980.
Créée pour diffuser dans les milieux intellectuels ce que le Parti communiste français présente comme les analyses marxistes liées à son combat politique, ce qu'affiche son sous-titre « revue du marxisme militant », elle se distingue de ce point de vue de La Pensée, autre revue du PCF.
À partir du début des années 1960 elle devient un des lieux des débats qui s'ouvrent parmi les intellectuels communistes. Cette ouverture - qui va croissant dans les années 1970 - et des problèmes financiers conduisent à la disparition de la revue en 1980. " (avec PANDOR.u-bourgogne.fr)
Organisme responsable de l'accès intellectuel : Maison des Sciences de l'Homme de Dijon. (USR UB-CNRS 3516).

DESANTI : « La science prolétarienne est aujourd'hui la véritable science [...] Les nouveaux et modernes Galilée s'appellent Marx, Engels, Lénine et Staline. »
Jean [-Toussaint] Desanti, né en 1914 à Ajaccio (Corse-du-Sud) - décédé le 20 janvier 2002 à Paris Xe, ENS-Ulm (1935), agrégé de philosophie (1942, classé 2e sur 8), dans l’ouvrage collectif Science bourgeoise et science prolétarienne, Paris : LNC, 1950.

Conclusion de l'article " Descartes et les petits bourgeois ",
n° 17 de juin 1950 de La Nouvelle Critique.
Voir plus loin Gorki (1929) et Althusser (1976).

" La supériorité soviétique, c'est la supériorité de ce qui naît sur ce qui meurt, du nouveau sur l'ancien, de la suppression totale de l'exploitation de l'homme par l'homme, de la science marxiste-léniniste-stalinienne. C'est la supériorité du Parti qui, sur des bases scientifiques, guide le prolétariat opprimé, aliéné, vers la transformation révolutionnaire de la société, puis vers l'édification de la société sans classes où l'homme est un dieu pour l'homme. "
Jean Kanapa, 1921-1978, agrégé de philosophie, directeur de La Nouvelle Critique Revue du marxisme militant.
Conclusion de " L'ART ET SA MORALE ou Supériorité du cinéma soviétique ", dans le n° 27 de juin 1951 de la NC.
On voit à quel point un agrégé de philosophie pouvait se laisser abuser sur la notion de science.


SARTRE : « Le citoyen soviétique possède, à mon avis, une entière liberté de critique.»
Jean-Paul Sartre, Libération, 15 juillet 1954.

" Le marxisme [...] philosophie indépassable de notre temps. "
Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris : Gallimard, 1960.

Raymond Aron : " En 1977, ce qui me frappait et domina la première partie du Plaidoyer [Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, 1977], c'était le dialogue entre les dissidents soviétiques et la gauche plus ou moins marxiste de l'Occident. Le marxisme demeure la philosophie indépassable de notre époque, répète Sartre lors même qu'il rompt avec le parti communiste. À celui qu'il appelle avec ironie le maître à penser de 1' Occident, Alexandre Soljenitsyne répond : « Le marxisme est tombé si bas qu'il est devenu simplement un objet de mépris ; pas une personne sérieuse dans notre pays, pas même les élèves dans les écoles, ne peut parler du marxisme sans sourire. » (Mémoires, IV, 6, Paris : R. Laffont, 2010).

« Un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais. »
Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes, octobre-novembre 1961 (repris en 1964 dans Situations IV). [L'existentialisme n'était pas un humanisme …]


SOLLERS (né en 1936) : " Dès la parution en 1971 du livre Les Habits neufs du président Mao, Simon Leys est critiqué par les membres de la revue Tel Quel, dont Philippe Sollers est un des principaux animateurs. Simon Leys qualifiait ces contradicteurs de « maoïstes mondains ». Ce n'est que vingt-sept ans plus tard que Philippe Sollers reconnaîtra la justesse des analyses de Simon Leys :
« Il n’y a, me semble-t-il, dans l’œuvre monumentale de Simon Leys rassemblée aujourd’hui sous le titre Essais sur la Chine, qu’une erreur, d’ailleurs secondaire et cocasse, celle qui met sur le même plan, à deux ou trois reprises, l’auteur de ces lignes et des personnages aussi considérables que Nixon, Kissinger ou Alain Peyrefitte. Je rougis de cette promotion injustifiée due à mon « maoïsme » de jeunesse [Sollers avait quand même 35 ans en 1971], sur lequel je me suis expliqué cent fois en vain (mais il faudrait refaire chaque année son autocritique, on le sait). Trente ans [sic] ont passé, et la question reste fondamentale. Disons-le donc simplement : Leys avait raison, il continue d’avoir raison, c’est un analyste et un écrivain de premier ordre, ses livres et articles sont une montagne de vérités précises, on va d’ailleurs le louer pour mieux s’en débarrasser, ce qui n’est pas mon cas, curieux paradoxe. » (Philippe Sollers, Le Monde, 3 avril 1998). " (avec fr.wikipedia.org)

CHÂTELET : « Il faut s’y résoudre : pour "dépassé" qu’il soit dans la tête de ceux qui ne l’entendent point, le marxisme demeure la référence décisive dont se réclament deux des plus puissants États, aujourd’hui [U.R.S.S., Chine populaire] ; il inspire les luttes de nombreuses couches sociales – ouvrières, agricoles, intellectuelles – des pays industrialisés. »
François Châtelet [beau-frère de Lionel Jospin, né à Paris XVIe en 1925, décédé à Garches (Hauts-de-Seine) le 26 décembre 1985], Introduction au Manifeste du Parti communiste, Paris : LGF, 1973.


LOUIS ALTHUSSER, né en 1918 à Birmandreis (Algérie) - décédé le 22 octobre 1990 à La Verrière (Yvelines), ENS-Ulm (1939) ; agrégé de philosophie (1948), classé 2e sur 15) : « Ceux qui ont pu s'imaginer que je fus converti au communisme par Hélène [Rytmann] doivent savoir que ce fut par [Pierre] Courrèges.  » L’Avenir dure longtemps suivi de Les faits, X, Paris : Stock,  1992. Réédité par Flammarion en collection Champs-essais en 2013.

« Comme tout "intellectuel", un professeur de philosophie est un petit bourgeois. Quand il ouvre la bouche, c’est l’idéologie petite-bourgeoise qui parle: ses ressources et ses ruses sont infinies. »
Positions (1964-1975), Paris : Éditions sociales, 1976, " La philosophie comme arme de la révolution ", 2.

Ce que l'écrivain soviétique Maxime Gorki écrivait en 1929 :
La Culture et le peuple, Paris : Éditions sociales internationales, 1938.


Louis Althusser

« Lénine disait à très juste titre que sans théorie révolutionnaire il n’est pas d’action révolutionnaire possible ; ce mot n’a nullement vieilli. Il suffit [sic et lol] de trouver les formes qui peuvent aujourd’hui lui donner sens et vie, en évitant tous les travers que nous ne connaissons que trop. Tâche longue et ardue, mais à la limite nullement impossible, à condition de l'entreprendre dès maintenant avec patience et rigueur et sans jamais se payer de mots, en exigeant toujours (Kant, Marx) de " penser par soi-même (1)" sans laisser soit les textes sacrés, soit les pères fondateurs, soit les dirigeants des organisations, soit la spontanéité des masses elles-mêmes penser à notre place.»
L’Avenir dure longtemps suivi de Les faits, « Matériaux », II " Fragments de L'Avenir dure longtemps ", 3 "Situation politique : analyse concrète ?", Livre de poche, 1994. Réédité en collection Champs-essais en 2013.
1. Exigence bien antérieure à Marx et Kant ; voir mon article "Lesprit faux ..."

Louis Althusser



AUROUX : « Le marxisme se présente comme unité (de la théorie et de la pratique), comme totalité (reprenant dans l’unité de la praxis la diversité des déterminations humaines et mondaines), et comme universalité (historique et concrète). C’est donc le totalitarisme qui rend le marxisme adéquat à incarner l’essence historique du projet philosophique. »


Sylvain Auroux, Barbarie et philosophie, IV, Paris, PUF, 1990.


MICHEL ONFRAY : « Les Lumières qui suivent Kant sont connues : Feuerbach, Nietzsche, Marx (1), Freud, entre autres. » Traité d'athéologie. Physique de la métaphysique, Paris : Grasset, 2005 ; Introduction, § 5 " L'immense clarté athéologique ".

« Tout ce qui définit habituellement le fascisme [...] la guerre expansionniste vécue comme preuve de la santé de la nation ; la haine des Lumières — raison, marxisme (1), science, matérialisme, livres ; le régime de terreur policière. » (Traité d'athéologie ..., Paris : Grasset, 2005 ; 4e partie "Théocratie", III " Pour une laïcité post-chrétienne ", § 8).

1. Ranger l'idéologie marxiste — idéologie des totalitarismes soviétique et maoïste — parmi les Lumières, c'est inattendu de la part d'un philosophe contemporain. Mais depuis on en a vu d'autres de sa part. Cependant pour Yvon Quiniou, le Onfray libertaire serait " hostile d'une manière obsessionnelle au marxisme (de Marx) ".


IV - Reculs critiques et autocritiques :

MERLEAU-PONTY : « Si le marxisme, après avoir pris le pouvoir en Russie et s’être fait accepter par la moitié du peuple français, semble aujourd’hui incapable d’expliquer dans son détail l’histoire que nous vivons, si les facteurs essentiels de l’histoire qu’il avait dégagés sont aujourd’hui mêlés dans le tissu des événements à des facteurs nationaux ou psychologiques qu’il considérait comme secondaires, et recouverts par eux, n’est-ce pas la preuve que rien n’est essentiel en histoire, que tout compte également, qu’aucune mise en perspective n’a de privilège, et n’est-ce pas au scepticisme que nous sommes conduits ? La politique ne doit-elle pas renoncer à se fonder sur une philosophie de l’histoire, et, prenant le monde comme il est, quels que soient nos vœux, nos jugements ou nos rêves, définir ses fins et ses moyens d’après ce que les faits autorisent ? Mais on ne se passe pas de mise en perspective, nous sommes, que nous le voulions ou non, condamnés aux vœux, aux jugements de valeur, et même à la philosophie de l’histoire. »
Maurice Merleau-Ponty, « Pour la vérité », Les Temps Modernes, n° 4, janvier 1946. [Une version modifiée de ce texte (« par un tiers du peuple français », « les facteurs de l’histoire ») fut proposée comme sujet-commentaire au bac A dans l'académie de Paris en 1991].

La négation du goulag par les communistes n'entraîna pas de répression judiciaire ; le P. C. F. (un des promoteurs, avec Laurent Fabius, de la loi Gayssot de juillet 1990) tenta même, sans succès, de disqualifier les dénonciateurs de ce goulag ; les députés communistes Virgile Barel et Jacques Duclos traitèrent David Rousset de journaliste hitlérien, de policier, de roussin (Assemblée nationale, 1ère séance du 26 décembre 1949, JO N° 120, page 7250).
Affaires Kravchenko : Victor Kravchenko porta plainte contre Les Lettres françaises pour diffamation, et gagna ce procès le 4 avril 1949. Дело Кравченко.
Affaire David Rousset : plainte de David Rousset contre Les Lettres françaises, procès gagné en 1951. Me Joe Nordmann (né en 1910 dans le Haut-Rhin - décédé le 12 novembre 2005 à Neuvéglise-sur-Truyère (Cantal)), négateur de l'existence du Goulag au procès Kravchenko, s'excusa, un demi-siècle plus tard, de son aveuglement sectaire dans Aux Vents de l'histoire (Avocat et communiste), Arles : Actes-Sud, 1996.
FOUCAULT : « Il est faux de dire " avec certain post-hégélien célèbre " [Karl Marx], que l’existence concrète de l’homme c’est le travail. Car la vie et le temps de l’homme ne sont pas par nature travail, ils sont : plaisir, discontinuité, fête, repos, besoins, hasards, appétits, violences, déprédations, etc… »
Michel Foucault (1926-1984), Le Pouvoir et la norme, 1973.

JACQUES BOUVERESSE : « La philosophie peut prendre et même réussir jusqu’à un certain point à faire prendre ce que le véritable esprit critique considèrerait comme l’expression la plus typique du dogmatisme et du conformisme idéologique du moment pour la forme la plus impitoyable et la plus sophistiquée de la critique. »
Le Philosophe chez les autophages, 1, Paris : Minuit, 1984.

POIROT-DELPECH : « Aux yeux du marxiste [Bertolt] Brecht, le ventre fécond figure principalement, sinon exclusivement, le capitalisme. Jusqu’à sa mort à Berlin-Est, l’été 1956, qui est celui des chars russes à Budapest, il n’écrira rien qui laisse entendre que le communisme peut produire, aussi, la barbarie. En réduisant le nazisme à un phénomène de gangstérisme minable et en éludant les processus instinctifs qui ont conduit une grande majorité d’Allemands à y adhérer, l’auteur a pris le risque de sembler négliger la responsabilité des peuples et de couvrir un autre gang, le stalinien (vingt millions de morts, hors guerre, selon les dernières estimations). »
Bertrand Poirot-Delpech, « Petites phrases », Le Monde, 15 décembre 1993.

COURTOIS : « Transposant la science de l’homme, avec ses lois propres, à l’étude des sociétés, [Karl] Marx a appliqué à la sphère politique ce qui relevait du domaine biologique [évolutionnisme de Darwin], amorçant toutes les dérives du siècle suivant. En affirmant qu’il existait des lois gérant l’évolution de la société, Marx a conclu à la nécessité de suivre ces lois. C’est le vers d’Aragon: "Les yeux bleus de la Révolution/brillent d’une cruauté nécessaire." ["Front rouge", Littérature de la révolution mondiale, janvier 1932]. Ces gens-là ont tué au nom d’une nécessité historique à laquelle nul ne pouvait prétendre échapper. »
Stéphane Courtois, « Crimes communistes : le malaise français », Politique internationale, n° 80, été 1998.


V - Et après ?

KRIEGEL : « Tout se passe en vérité comme si le déclin et la défaite du marxisme qui avait eu, lui, la prétention d’imposer la classe, la lutte des classes, la mission émancipatrice de la classe ouvrière comme mode unique de la structuration et de la stratification sociale, comme "moteur de l’histoire", n’avait donné sa chance, à gauche, qu’à un autre manichéisme élisant l’ethnie – expression pudique, équivalent respectable du concept de race – comme principe organisateur de la société en général et de la société de l’avenir en particulier. Encore la classe jouit-elle d’attributs qui sont ceux d’une société relativement moderne. Tandis que la race, hors des sociétés les plus archaïques, n’est plus qu’un concept tout à la fois scientifiquement récusé et socialement redoutable.»
Annie Kriegel, « Une vision panraciale », Le Figaro, 2 avril 1985.

TORT : « Être marxiste aujourd'hui, c'est donner un contenu universel à la logique égalitaire en l'étendant sans restriction au terrain de la citoyenneté. Etre marxiste aujourd'hui, c'est comprendre que l'égalité ne triomphera que dans l'élément du mixte, et non dans le sein délabré des vieilles finasseries identitaires. Toute revendication d'identité, analysée dans le présent contexte historique et politique, dissimulant de plus en plus malaisément ce qu'elle recouvre d'implication suprématistes résiduelles ou résurgentes. Qu'on veuille bien considérer ces réflexions que je vais développer à ce propos comme un essai pour remplacer par une problématique réelle les lieux communs ordinaires du discours politicien. »
Patrick Tort, Être marxiste aujourd'hui, Paris: Aubier, 1986.


VI – Définitions (positives) du marxisme :

Une méthode d’appropriation et de synthèse des résultats de la science (Friedrich Engels)
La science prenant conscience d’elle-même (Paul Labérenne)
Une logique historique (Claude Lefort)
L’idéologie conquérante de la classe qui porte en elle l’avenir de toute l’humanité (Laurent Casanova, 1950)
La science fondamentale du prolétariat (Jean-Toussaint Desanti)
Pour l’essentiel cette idée que l’histoire a un sens (Maurice Merleau-Ponty)
Une méthode d’explication et d’action (Roland Barthes, 1955)
Le système de coordonnées qui permet seul de situer et de définir une pensée en quelque domaine que ce soit, de l’économie politique à la physique, de l’histoire à la morale (Roger Garaudy)
La seule méthode qui rende compte de l’ensemble du mouvement historique dans un cadre logique (Jean-Paul Sartre).