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dimanche 13 août 2023

NOTES SUR LE MARXISME (2/2)

SUITE DE :



VII - LE MARXISME, QUALIFIÉ OU MÉTAPHORISÉ
VIII – QUELQUES FORMULES DE KARL MARX (1818-1883) ET FRIEDRICH ENGELS (1820-1895)
IX - LES COMMUNISTES
X - CRITIQUE POST-NIETZCHÉENNE
XI - NI MARX NI JÉSUS
XII - LA RUSSIE ET SES SAVANTS :


VII - LE MARXISME, QUALIFIÉ OU MÉTAPHORISÉ:


Illogisme qui est érigé en méthode suprême (Jean Grenier ; on peut en dire autant de la théologie classique)
Philosophie qualitativement différente de tous les systèmes antérieurs (Andreï Jdanov)
Une doctrine d’accusation dont la dialectique ne triomphe que dans l’univers des procès (Albert Camus)
Un idéalisme volontariste (Georg Lukács)

L’indépassable philosophie de notre temps (Jean-Paul Sartre)
La tentative la plus radicale pour éclairer le processus historique dans sa totalité (Jean-Paul Sartre)

Une pratique (nouvelle) de la philosophie (Louis Althusser)
Un monument d’intelligence et de méthode d’analyse concrète (Louis Althusser, Situation politique : analyse concrète ?)

La plus puissante des idéologies scientistes du XIXe siècle (Jacques Monod)
La forme la plus dangereuse de l’historicisme (Karl Popper)
Un répertoire de slogans servant à organiser des intérêts variés (Leszek Kołakowski, 1978)
Une forme de positivisme et de scientisme (Michel Henry)
La seule synthèse totalisante de type scientiste à rester vivante (Raymond Boudon)
Une forme de mise en application de la mystique politique de Hegel (Manuel de Dieguez)
Un subjectivisme collectif (Dominique Janicaud)
L’origine des plus incroyables déraillements intellectuels en Occident (Nicolas Tenzer, 1997)
Un système philosophique qui récuse, du fait de ses principes matérialistes, la liberté de l’homme en insistant sur sa dépendance matérielle (Jean-François Mattéi, 1999)

Le fruit de tout le développement historique de la science (Maurice Thorez)
Un opium du peuple (Simone Weil, Bernard-Henri Lévy)
Une théologie (Jean Grenier)
La vieillesse du monde (Gabriel Matzneff)
Une migration de l’esprit (Jean-Toussaint Desanti)
Une rude école de cynisme (Philippe Némo, 1991)
Une religion de salut terrestre (Luc Ferry, 1996)
L’école de l’obscurantisme moderne (Michel Habib-Deloncle)


VIII – Quelques formules de Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) :
1844 MARX : « La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. » Karl Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1844.
« L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes, il faut que la force matérielle soit renversée par une force matérielle, mais la théorie aussi devient une force matérielle, dès qu’elle saisit les masses. La théorie est capable de saisir les masses dès qu’elle argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est saisir les choses à la racine. Or, la racine pour l’homme, c’est l’homme lui-même. [...] l'homme est l'être suprême pour l'homme. » Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1844.

« La grande action de [Ludwig] Feuerbach est : 1° d’avoir démontré que la philosophie n’est rien d’autre que la religion mise sous forme d’idées et développée par la pensée ; qu’elle n’est qu’une autre forme et un autre mode d’existence de l’aliénation de l’homme ; donc qu’elle est tout aussi condamnable ». Manuscrits de 1844, III, " Sur la dialectique de Hegel ".

« Les droits de l’homme, distincts des droits du citoyen, ne sont que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la communauté.[…] Ne cherchons pas le secret du juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le juif réel. Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du juif ? Le trafic. Quel est son dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même. Une organisation sociale qui supprimerait les conditions nécessaires du trafic, par suite la possibilité du trafic, rendrait le juif impossible. La conscience religieuse du juif s’évanouirait, telle une vapeur insipide, dans l’atmosphère véritable de la société. […] La nationalité chimérique du juif est la nationalité du commerçant, de l’homme d’argent. »
La Question juive, I-II, 1844.

« Le salaire est déterminé par la lutte ouverte entre capitaliste et ouvrier. Nécessité de la victoire pour le capitalisme. Le capitaliste peut vivre plus longtemps sans l’ouvrier que l’ouvrier sans le capitaliste.[…] L’ouvrier n’a le sentiment d’être lui-même qu’en dehors du travail. »
Manuscrits de 1844, I.

1845 MARX « La philosophie et l’étude du monde réel sont dans le même rapport que l’onanisme et l’amour sexuel. »
L’Idéologie allemande, 1845, " Le concile de Leipzig – III Saint Max ".

« Après que la famille terrestre a été découverte comme le mystère de la sainte famille, il faut que la première soit elle-même anéantie en théorie et en pratique. […] Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde. Ce qui importe, c’est de le transformer. »
L’Idéologie allemande, 1845, "Thèses sur Feuerbach", 4 et 11.
Commentaire de Karl Jaspers : " La pensée politique totalitaire a reproché aux philosophes de s'être bornés à interpréter diversement le monde alors qu'il s'agit de le transformer. " (Introduction à la philosophie, I).

1848 MARX ET ENGELS : « I :L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes [Die Geschichte aller bisherigen Gesellschaft ist die Geschichte von Klassenkämpfen.] (1). […]
II : Le bourgeois voit en sa femme un simple instrument de production. Il entend dire que les instruments de production seront exploités collectivement, et ne peut naturellement rien penser d’autre que les femmes n’aient également pour lot d’être mises en commun. […]
III, 1 : Rien n’est plus facile que de donner à l’ascétisme chrétien un vernis socialiste. Le christianisme ne s’est-il pas élevé lui aussi contre la propriété privée, contre le mariage, contre l’État ? N’a-t-il pas prêché à leur place la charité et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Église ? Le socialisme chrétien n’est que de l’eau bénite avec laquelle le prêtre consacre la rancune des aristocrates.[…]
IV : Les communistes […] expliquent ouvertement que leurs objectifs ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout ordre social passé. Que les classes dominantes tremblent devant une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. »
Manifeste du parti communiste, 1848. [Manifest der Kommunistischen Partei]

1. Cf François Guizot, " Le troisième grand résultat de l’affranchissement des communes, c’est la lutte des classes, lutte qui constitue le fait même, et remplit l’histoire moderne. L’Europe moderne est née de la lutte des diverses classes de la société. " (Histoire générale de la civilisation en Europe, 1828, 7e leçon.).
Et Nietzsche : Fragments posthumes, M III 4b, printemps-été 1883 : 7[191] : " Parmi les facteurs les plus puissants du développement d’un État : non seulement la lutte avec les peuples voisins et le développement de sa capacité de défense, mais aussi la concurrence des membres d’une classe, et la concurrence des classes elles-mêmes. "



« Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition [Aufhebung] de la propriété privée. [In diesem Sinn können die Kommunisten ihre Theorie in dem einen Ausdruck: Aufhebung des Privat-Eigenthums zusammenfassen.] »
Manifeste du parti communiste, II, 1848. Repris en dernier lieu par Frédéric Lordon :
Pour en finir avec le salariat comme rapport de chantage, il faut en finir avec la propriété lucrative des moyens de production, or cette propriété est sanctuarisée dans les textes constitutionnels. Pour en finir avec l’empire du capital, qui est un empire constitutionnalisé, il faut refaire une Constitution. Une Constitution qui abolisse la propriété privée des moyens de production et institue la propriété d’usage. « Il faut cesser de dire ce que nous ne voulons pas pour commencer à dire ce que nous voulons » 14 avril 2016 / Entretien avec Frédéric Lordon 

1857 MARX :

« Il est possible que je me sois mis dans l'embarras. Mais avec un peu de dialectique, on s’en tirera toujours. J’ai naturellement donné à mes considérations une forme telle qu’en cas d'erreur, j’aurais encore raison. [Es ist möglich, daß ich mich blamiere. Indes ist dann immer mit einiger Dialektik zu helfen. Ich habe natürlich meine Aufstellungen so gehalten, daß ich im umgekehrten Fall auch Recht habe]. »
Karl Marx, lettre à Friedrich Engels, 15 août 1857.
La probité marxiste...

1859 MARX : « Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience (1). […] L’humanité ne se propose jamais que les tâches qu’elle peut remplir. »
Karl Marx, Critique de l’économie politique, 1859, Avant-propos.
1. Formule très souvent citée.

1869 ENGELS : « C'est un bien curieux Urning [le petit livre Argonauticus de Karl Heinrich Ulrichs] que tu m'as envoyé. Ce sont là des révélations tout à fait contre nature. Les pédérastes se mettent à se compter et ils trouvent qu'ils constituent une puissance [Macht] dans l'État. Il ne manque plus que l'organisation, mais il apparaît d'après ceci qu'elle existe déjà en secret. Et comme ils comptent déjà des hommes importants dans tous les vieux, et même les nouveaux partis, de Rösing à Schweitzer, la victoire ne peut leur échapper. "Guerre aux cons, paix aux trous-de-cul" [en français dans le texte], dira-t-on dorénavant (1). C'est encore une chance que nous soyons personnellement trop vieux pour avoir à craindre de payer un tribut de notre corps à la victoire de ce parti. Mais la jeune génération ! Soit dit en passant, il n'y a qu'en Allemagne qu'un type pareil peut se manifester, transformer la cochonnerie en théorie, et inviter : introite [entrez, en latin] etc. Malheureusement il n'a pas encore le courage d'avouer ouvertement qu'il est comme ça, et doit toujours opérer coram publico [devant le public] en tant que "du devant", sinon "de l'intérieur du devant", comme il l'a dit une fois dans un lapsus. Mais attends seulement que le nouveau Code pénal de l'Allemagne du Nord reconnaisse les droits du cul [en français dans le texte], et il en sera tout autrement. Nous autres pauvres gens du devant, au goût infantile pour les femmes, nous trouverons alors dans une assez mauvaise situation. Si le Schweitzer devait avoir besoin de quelque chose, ce serait de se faire révéler, par cet étrange honnête homme, les données particulières sur les pédérastes hauts placés ; en tant que confrère cela ne devrait pas lui être difficile. »
Lettre à Karl Marx, Manchester [Angleterre], 22 juin 1869, in Marx Engels Werke, Berlin, 1965, tome 32, pages 324-325 [traduit par Cl. C. ; l’année précédente apparaissait le mot allemand Homosexualität].
1. Allusion à la formule de Nicolas de Chamfort : « Guerre aux châteaux ! Paix aux chaumières ! »

* * * * *

MARX : « Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c’est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. [Eine Spinne verrichtet Operationen, die denen des Webers ähneln, und eine Biene beschämt durch den Bau ihrer Wachszellen manchen menschlichen Baumeister. Was aber von vornherein den schlechtesten Baumeister vor der besten Biene auszeichnet, ist, daß er die Zelle in seinem Kopf gebaut hat, bevor er siein Wachs baut. Am Ende des Arbeitsprozesses kommt ein Resultat heraus, das beim Beginn desselben schon in der Vorstellung des Arbeiters, also schon ideell vorhanden war.]»
Le Capital, 1867, I,iii, 5, 1.
Expression fort maladroite en regard de la belle remarque de Frédéric Nietzsche : « En tant que génie de l’architecture, l’homme surpasse de beaucoup l’abeille: celle-ci construit avec la cire qu’elle récolte dans la nature, l’homme avec la matière bien plus fragile des concepts qu’il est obligé de fabriquer par ses seuls moyens. » (Vérité et mensonge au sens extra-moral, 1873, 1).

« Toute action humaine peut être envisagée comme une abstention de son contraire. »
Le Capital, XXIV, iii.

« Quand, avec le développement diversifié des individus, leurs forces productives auront augmenté elles aussi, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec force – alors seulement l’horizon étroit du droit bourgeois pourra être totalement dépassé, et la société pourra écrire sur son drapeau: De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins! »
Critique du programme de Gotha, I, 3. [Cf Actes des apôtres, IV, 32, 34-35 : dividebatur autem singulis, prout cuique opus erat]

1884 ENGELS : « L’avilissement des femmes [dans la prostitution] eut sa revanche dans celui des hommes et les [les Grecs anciens] avilit jusqu’à les faire tomber dans la pratique répugnante de l’amour des garçons et se déshonorer eux-mêmes en déshonorant leurs dieux par le mythe de Ganymède. […] L’amour sexuel, dans notre sens, était si bien chose indifférente au vieil Anacréon, le poète classique [grec] de l’amour dans l’Antiquité, que le sexe même de l’être aimé lui était indifférent. »
L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, " La famille ", [1884].

1885 ENGELS « Les gens qui se sont vantés d’avoir fait une révolution ont toujours vu, le lendemain, qu’ils ne savaient point ce qu’ils faisaient ; que la révolution faite ne ressemblait pas du tout à celle qu’ils avaient voulu faire. C’est ce que Hegel appelle ironie de l’histoire … Pour moi, la chose importante est que l’impulsion en Russie soit donnée, que la révolution éclate. […] le 1789 une fois lancé, le 1793 ne tardera pas à suivre … »
Lettre à Véra Zassoulitch, 23 avril 1885, cité dans " Études de Marxologie ", Économies et Sociétés, S, n° 28-29, 1991. [Véra Zassoulitch (1850-1919), militante politique russe, d’abord marxiste, puis ralliée au menchévisme ; elle désapprouva la révolution d’octobre 1917.]

« Zéro est plus riche de contenu que tout autre nombre. Placé à la droite de tout autre nombre dans notre système de numération, il décuple sa valeur. […] Il est donc dans la nature du zéro lui-même qu’il soit employé de cette façon, que seul il puisse être utilisé ainsi. »
Dialectique de la nature [publié en 1925 ; Ce n’est pas le zéro en tant que tel qui donne sa valeur au 2 de 20, mais la position du 2; comme dans 23.].


IX - LES COMMUNISTES :

KANAPA : « Léon Blum, qui construit le monde À l’échelle humaine affirme d’une plume amoureuse la communauté de vues et de buts du socialisme et du Vatican, comme si l’un des thèmes fondamentaux du marxisme n’était pas justement que la religion est l’étouffoir de l’homme ! […] Le marxisme fait de la philosophie tout autre chose qu’un "refus" : une arme d’émancipation humaine – de la connaissance tout autre chose qu’un "rêve du monde" et une effusion mystique : une conquête acharnée du réel. »
Jean Kanapa (1921-1978), L’Existentialisme n’est pas un humanisme, 1947.

ALTHUSSER :
« Je ne sais pas si l'humanité connaîtra jamais le communisme, cette vue eschatologique de Marx. [...] La seule définition possible du communisme – s’il doit un jour exister dans le monde –, c’est l’absence de rapports marchands, donc de rapports [1] d’exploitation de classe et [2] de domination d’État. »
Louis Althusser (1918-1990), L’Avenir dure longtemps suivie de Les faits, XVIII, Paris : Stock, 1992.  Réédité en 2013 par Flammarion dans la collection Champs-essais.

Critique nietzschéenne :

1886 « De nos jours on s’exalte partout, fût-ce en invoquant la science, sur l’état futur de la société où " le caractère profiteur " n’existera plus : de tels mots sonnent à mes oreilles comme si on promettait d’inventer une forme de vie qui s’abstiendrait volontairement de toute fonction organique. L’ "exploitation" [Ausbeutung] n’est pas le propre d’une société vicieuse ou d’une société imparfaite et primitive : elle appartient à l’essence du vivant dont elle constitue une fonction organique primordiale, elle est très exactement une suite de la volonté de puissance, qui est la volonté de la vie. – À supposer que cette théorie soit nouvelle, en tant que réalité c’est le fait premier de toute l’histoire : ayons donc l’honnêteté de le reconnaître ! – » (Par-delà Bien et Mal, 1886, IX, § 259).

Voir aussi ma page Index Nietzsche et les socialistes


X - CRITIQUE POST-NIETZCHÉENNE : 

LUXEMBOURG : « Le remède trouvé par Lénine et Trotsky, la suppression de la démocratie en général, est encore pire que le mal qu’il doit maîtriser. »
Rosa Luxemburg, La Révolution russe, IV.

ROLLAND : « Croyez-vous que le devoir actuel de l’artiste, du savant, de l’homme de pensée, soit de s’engager, comme en 1914 dans l’armée du Droit, en 1922 dans celle de la Révolution ? – ou bien ne vous semble-t-il pas que la meilleure façon de servir la cause humaine et la Révolution même, c’est de garder l’intégrité de votre pensée libre, – fût-ce contre la Révolution, si elle ne comprenait pas ce besoin vital de liberté ! »
Romain Rolland (1866-1944), Lettre à Henri Barbusse, Art libre, février 1922.


1931 KEYNES :
Merci à Stan Korst

WEIL : " L'homme ne peut supporter d'être seul à vouloir le bien. Il lui faut un allié tout-puissant. Si cet allié n'est pas esprit, il sera matière. Il s'agit simplement de deux expressions différentes de la même pensée fondamentale. Seulement la seconde expression est défectueuse. C'est une religion mal construite. Mais c'est une religion. Il n'est donc pas étonnant que le marxisme ait toujours eu un caractère religieux. Il a en commun avec les formes de vie religieuse les plus âprement combattues par Marx un grand nombre de choses, et notamment d'avoir été fréquemment utilisé, pour citer la formule de Marx, comme opium du peuple. Mais c'est une religion sans mystique, au vrai sens de ce mot. " (Simone Weil, Oppression et liberté, Fragments Londres, 1943, II, Paris : Gallimard, 1955).

HALÉVY/SUARÈS : « En raison de l’effondrement anarchique, de la disparition totale de l’État, un groupe d’hommes armés, animés par une foi commune, a décrété qu’il était l’État : le soviétisme, sous cette forme, est, à la lettre, un "fascisme" […] L’idéologie révolutionnaire est tyrannique intellectuellement avant de l’être socialement. » 
Élie Halévy, « L’Ère des tyrannies », Bulletin de la Société française de philosophie, octobre-décembre 1936 [Séance du 28 novembre 1936]. À rapprocher de Julien Green : « Vu [André] Suarès. Il m'a beaucoup parlé de sa situation actuelle à l'égard du communisme. Il a changé. Il trouve que le communisme et le fascisme en sont venus à se ressembler trop pour qu'un esprit libre puisse se rallier à l'une ou l'autre de ces doctrines. » (Journal intégral 1919-1940, 21 décembre 1936, Paris : Robert Laffont, 2019).
ARON/BAVEREZ : « Aron était adolescent durant la Grande Guerre. Acquis au socialisme et au pacifisme, il comprit la nature et le danger du nazisme durant son séjour en Allemagne, face à 1' agonie de la république de Weimar et fut l'un des premiers, aux côtés d'Élie Halévy, à effectuer dès la seconde moitié des années 1930 une comparaison entre le stalinisme et l'hitlérisme. » (Préface de Nicolas Baverez aux Mémoires de Raymond Aron, Paris : Robert Laffont, 2010).


WAHL : « MATÉRIALISME DIALECTIQUE

Deux beaux mots. Le premier fait appel à une forme de l’entendement révolutionnaire, à l’instinct de "honte arborée", et le deuxième à l’orgueil. De sorte que le snobisme à rebours et le rebours tout court trouvent à la fois leur compte. Mon premier est ce qu’il y a de plus bas. Mon second est ce qu’il y a de plus haut. Reste à savoir si mon tout n’est pas un attrape-nigauds. »
Jean Wahl, "Satire", Nouvelle Revue Française, juin 1938.

RUSSELL : « Beaucoup de mes amis espérèrent en l’Union soviétique, mais quand je m’y rendis en 1920, je ne trouvai rien que je puisse aimer ou admirer. […] Les marxistes s’intéressent à la philosophie comme effet, mais ne la reconnaissent pas comme cause. Cependant il est évident que toute philosophie importante est les deux. » 
Bertrand Russell, « My mental development [1943] », The Philosophy of Bertrand Russell, Evanston (Illinois) : The Library of Living philosophers, 1946.

CAMUS : « La volonté marxiste de supprimer la dégradante opposition du travail intellectuel au travail manuel a buté contre les nécessités de la production que [Karl] Marx exaltait ailleurs. […] Le marxisme n’est pas scientifique ; il est, au mieux, scientiste. […] La raison ne se prêche pas, ou si elle prêche, elle n’est plus la raison. C’est pourquoi la raison historique est une raison irrationnelle et romantique, qui rappelle parfois la systématisation de l’obsédé, l’affirmation mystique du verbe, d’autres fois. »
Albert Camus (1913-1960), L’Homme révolté, III, v, 3 (1951).

ARON : « Le prophétisme marxiste transfigure un schéma d’évolution en une histoire sacrée, dont la société sans classes marquera l’aboutissement. Il prête une importance démesurée à quelques institutions (régime de propriété, mode de fonctionnement), il fait de la planification par un État tout-puissant une étape décisive de l’histoire. L’intelligentsia tombe facilement dans ces erreurs auxquelles prédispose le conformisme de gauche. »
Raymond Aron (1905-1983), L’Opium des intellectuels, 1955, III, ix.

1970 MONOD : « Puisque, donc, la pensée est partie et reflet du mouvement universel, et puisque son mouvement est dialectique, il faut que la loi d’évolution de l’univers lui-même soit dialectique. Ce qui explique et justifie l’emploi de termes tels que contradiction, affirmation, négation, à propos de phénomènes naturels. […] Le prophétisme historiciste fondé sur le matérialisme dialectique était, dès sa naissance, lourd de toutes les menaces qui se sont, en effet, réalisées. Plus encore peut-être que les autres animismes, le matérialisme dialectique repose sur une confusion totale des catégories de valeur et de connaissance. C’est cette confusion même qui lui permet, dans un discours profondément inauthentique, de proclamer qu’il a établi " scientifiquement " les lois de l’histoire auxquelles l’homme n’aurait d’autre recours ni d’autre devoir que d’obéir, s’il ne veut entrer dans le néant. »
Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité, 2, 9, Paris : Seuil, 1970..

1983 FOUCAULT : « Pendant longtemps, la philosophie, la réflexion théorique ou la "spéculation" ont eu à l’histoire un rapport distant et peut-être un peu hautain. On allait demander à la lecture d’ouvrages historiques, souvent de très bonne qualité, un matériau considéré comme "brut" et donc comme "exact" ; et il suffisait alors de le réfléchir, ou d’y réfléchir, pour lui donner un sens et une vérité qu’il ne possédait pas par lui-même. Le libre usage du travail des autres était un genre admis. Et si bien admis que nul ne songeait à cacher qu’il élaborait du travail déjà fait ; il le citait sans honte. Les choses ont changé, me semble-t-il. Peut-être à cause de ce qui s’est passé du côté du marxisme, du communisme, de l’Union soviétique. Il ne paraissait plus suffisant de faire confiance à ceux qui savaient et de penser de haut ce que d’autres avaient été voir là-bas. […] Il fallait aller chercher soi-même, pour le définir et l’élaborer, un objet historique nouveau. […] C’est un travail qu’il faut faire soi-même. Il faut aller au fond de la mine ; ça demande du temps ; ça coûte de la peine. Et quelquefois on échoue. Il y a en tout cas une chose certaine : c’est qu’on ne peut pas dans ce genre d’entreprise réfléchir sur le travail des autres et faire croire qu’on l’a effectué de ses propres mains. […] Pas de recette, guère de méthode générale. Mais des règles techniques : de documentation, de recherche, de vérification. Une éthique aussi […] respecter ces règles techniques. »
Michel Foucault, « À propos des faiseurs », Libération, 21 janvier 1983. Rapprochez Friedrich Nietzsche : « Il faut tout faire soi-même pour savoir soi-même quelque chose ; c’est dire que l’on a beaucoup à faire. » (Par-delà bien et mal, III, § 45)

MATTÉI (1941-2014) : « Dans le communisme, l’entendement guide les pulsions de l’instinct en légitimant la terreur de masse par un discours rationnel tenu au nom de l’humanité [cf aussi Robespierre]. Au lieu d’asservir, de déporter et d’exécuter au nom de la force et de la race, le parti asservit, déporte et exécute au nom du concept et de la classe, en d’autres termes, puisque le sujet communiste s’est investi de son humanité, au nom du genre humain tout entier. Cette barbarie active du communisme […] substitue à l’instinct du plus fort, dont la raison s’est retirée, la raison du plus fort, dont l’instinct s’est emparé. […] Au lieu d’interpréter le monde, pour en éprouver l’intelligibilité à partir de ses principes, la philosophie doit le transformer, c’est-à-dire faire de la philosophie elle-même un instrument de production d’un monde qui naîtra sur la destruction du monde existant. […] Ce n’est pas le Goulag, mais la mort qui rôde dans la révolution marxiste dès lors que sa philosophie de la vie transfère toute l’énergie et toute la ruse de la raison du côté de la destruction pour parvenir à son but : une humanité réconciliée abstraitement avec elle-même sur les cadavres des hommes réels que charrie avec indifférence le cours de l’Histoire. »
Jean-François Mattéi, La Barbarie intérieure, VI, 2, Paris : PUF, 1999.

2002 NICOLAS BAVEREZ : « L'acceptation du marxisme comme vérité scientifique et le soutien inconditionnel apporté à l'URSS sont une inconséquence politique mais plus encore une erreur scientifique et une faute morale, qui mettent au service de la terreur l'autorité symbolique de la connaissance. » (Introduction à Raymond Aron, L'Opium des intellectuels, Paris : Hachette Littératures 2002).

MALIA : « Par " Mensonge " [terme utilisé par Soljénitsyne], il faut entendre la contradiction fatale d’un universalisme que ne dictent ni la charité, ni la bienfaisance humanitaire, ni la raison naturelle, mais le principe idéologique de la "guerre des classes", ou plus exactement, d’une pseudo-guerre des classes : de fait, la  "construction du socialisme " n’a pas été une authentique lutte sociale mais un combat politique où la classe rédemptrice (ou plutôt son substitut idéologique, le Parti) prétendait éliminer toutes les classes exploiteuses (en fait, toute opposition politique). »
Martin Malia, « Nazisme et communisme : réflexions sur une comparaison », Commentaire, N° 99, automne 2002.


XI - NI MARX NI JÉSUS

« Ni Marx ni Jésus : De la seconde révolution américaine à la seconde révolution mondiale. »
Jean-François Revel [né Ricard à Marseille en 1924 - décédé le 30 avril 2006 au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne)], Paris : R. Laffont, 1970.

La formule évoque « Ni Dieu, ni maître », titre du journal créé par le marxiste Louis Auguste Blanqui (1805-1881) en novembre 1880. La faiblesse de ces formules est de ne proposer aucun « mais … » ; je dirais donc plutôt :

« Ni Marx (l’idéologie), ni Moïse, Jésus ou Mahomet (les religions), mais Socrate (la philosophie), Archimède (la science) et Mozart (la musique). »

* * * * *

Cette formule de Jean-François Revel, négation logique de « Marx ou Jésus », fut traitée par un des café-philos de Montpellier le 21 janvier 2004. Je développe ici les interventions que j’y avais faites afin d’examiner si cette formule a quelque pertinence. Proposer, envisager ou refuser un choix entre Jésus et Marx implique à la fois une certaine interchangeabilité de ces deux personnages et des différences significatives. Jésus de Nazareth et Karl Marx de Trier ont en commun un certain nombre d’aspects, relevés par divers auteurs (Frédéric Nietzsche, Dolléans, Sigmund Freud, André Gide, etc.). 


« Le socialisme est la forme qu’a prise au XIXe siècle la religiosité latente en la nature humaine […] On peut dire de cette doctrine qu’elle est la religion de l’humanité [Pierre Le Roux] ou encore la religion du prolétariat déifié [Georges Clémenceau] […] Les socialistes sont des chrétiens sans le savoir, des chrétiens qui sans doute ont perdu la douceur évangélique, mais n’ont rien oublié de l’intolérance de l’Église. […] Le vice fondamental des doctrines socialistes est de reposer sur une psychologie erronée de la nature humaine. »
Édouard Dolléans (1877-1954), « Le caractère religieux du socialisme », Revue d’économie politique, 1906. Rapprocher Leszek Kołakowski : « L’absence du corps et de la mort, l’absence de sexualité et d’agressivité, l’absence de conditions géographiques ou démographiques, bref, une interprétation qui ne voit en tous ces éléments que des facteurs purement sociaux, constitue l’une des dimensions les plus caractéristiques de l’utopie marxiste. [Marx’s ignoring of the body and physical death, sex and aggression, geography and human fertility—all of which he turns into purely social realities—is one of the most characteristic yet most neglected features of his Utopia.] » (Main Currents of Marxism (New York: Oxford University Press, XVI, 1978 : Histoire du marxisme, XVI, Paris : Fayard, 1987).


   La formule « À chacun selon ses besoins » se trouve, comme on sait, chez Karl Marx : « De chacun selon ses moyens [ou capacités], à chacun selon ses besoins ! » (Critique du programme de Gotha, I, 3), mais aussi dans le Nouveau Testament : « La multitude de ceux qui avaient foi n’était qu’un cœur et qu’une âme, et personne ne disait qu’aucun de ses biens fût à lui, au contraire ils mettaient tout en commun. […] Il n’y avait aucun indigent parmi eux. Tous ceux, en effet, qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient ; ils apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres ; c’était distribué selon les besoins de chacun. » (Actes des apôtres, IV, 32, 34-35 :

Un antécédent aristotélicien :

" ou, au contraire, la terre est commune et on la travaille en commun, mais les produits en seront partagés selon les besoins de chacun (on dit que des Barbares pratiquent cette sorte de communisme). " (Les Politiques, II, v, 1263a)

  La Règle de saint Benoît dénonce le " vice de propriété " (chapitre LV) en se référant à ces Actes. Dans le Manifeste, Marx et Engels précisaient : « Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition [Aufhebung] de la propriété privée. ». Et un résumé n'est jamais si bon que lorsqu'il est le fait des auteurs du texte...

  Les deux doctrines sont profondément insatisfaites du monde tel qu’il existe, et proposent, pour l’une un autre monde, pour l’autre un changement de société (et non un changement de la société) ; dans les deux cas, ce qui est ultimement visé, c’est la suppression des conflits, la suppression du mal et de la culpabilité associée. Mais il est plus facile de constater l’échec du marxisme en terre communiste que de démontrer en terre chrétienne l’inexistence de l’autre monde de Jésus. Toutefois, la contribution de Jésus concernait une société primitive, sans culture, dépourvue de sciences et de techniques, très éloignée de la nôtre en ce début de XXIe siècle. Le berceau des trois religions monothéistes est concentré sur l'axe asiatique Nazareth-Jérusalem-Bethléem-Hébron-Médine-La Mecque.

  Leur rapport à la connaissance n’est pas celui de la philosophie grecque ; dans le cas chrétien, le désir de connaissance est dévalorisé. « La science ? elle sera abolie » trouve-t-on dans la première Épître aux Corinthiens (XIII, 8) : Sive scientia, destruetur. La philosophie est mise au service (ancilla) de la théologie. Dans le cas marxiste, la philosophie est remplaçée par « l’étude du monde réel », monde réel auquel on imposera la conformité au dogme (affaire Lyssenko) ; le marxisme semble favorable à la science, mais sa scientificité n’est qu’un scientisme. Opposition générale des disciples de Marx et de Jésus à la culture classique étendue et diversifiée qui fait l’honnête homme.
« L’Église primitive, c’est bien connu, luttait contre les "intelligents", en faveur des " pauvres en esprit " » (Frédéric Nietzsche, Crépuscule des Idoles, [5] " La morale, une anti-nature ", § 1) ; le parti communiste faisait de même). 
  De Jésus rien n’est rapporté concernant la philosophie, mais pour Paul de Tarse (accablé par Nietzsche), c’est « ce vain leurre [inanem fallaciam] qui s’inspire de la tradition humaine et des éléments du monde, mais non du Christ » (Épître aux Colossiens, II, 8). Cependant, dans Opinions et sentences mêlées, Nietzsche proclame cette rencontre inattendue :
" Le philosophe a à dire comme le Christ, " Ne jugez point ! " [Nolite judicareMatthieu, VII, 1 ; Luc, VI, 37] et la dernière différence entre les têtes philosophiques et les autres serait que les premiers veulent être justes, les derniers voulant être juges. " (§ 33).
Jésus rejette la culture mondaine comme Marx la culture bourgeoise. De l’un à l’autre, la ligne de dichotomie s’est déplacée, mais la dichotomie subsiste.

Antiphilosophie chez Karl Marx : « La grande action de Feuerbach est : 1° d’avoir démontré que la philosophie n’est rien d’autre que la religion mise sous forme d’idées et développée par la pensée ; qu’elle n’est qu’une autre forme et un autre mode d’existence de l’aliénation de l’homme ; donc qu’elle est tout aussi condamnable » (Sur la dialectique de Hegel, 1844).

« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde. Ce qui importe, c’est de le transformer. » L’Idéologie allemande, "Thèses sur Feuerbach", 11. Opposer Louis Althusser : « J'ai critiqué le fameux mot des "Thèses sur Feuebach" de Marx [...] montrant contre cette formule que tous les grands philosophes ont voulu intervenir sur le cours de l’histoire du monde, soit pour le transformer, soit pour le faire régresser, soit pour le conserver et le renforcer en sa forme existante contre les menaces d’un changement jugé dangereux. Et sur ce point, en dépit de la célèbre formule aventureuse de Marx, je pense avoir eu raison et le pense toujours. » (L’Avenir dure longtemps ..., XIV, 1992).

« La philosophie et l’étude du monde réel sont dans le même rapport que l’onanisme et l’amour sexuel. » (L’Idéologie allemande, Le concile de Leipzig – III Saint Max).

  Les libertés de connaissance et d’expression sont brimées, puisqu’il s’agit d’interdire la connaissance ouverte et en progrès, hors dogmes. Intolérance et fanatisme sont des caractéristiques communes. (Gustave Le Bon, Psychologie des foules ; Sigmund Freud, Nouvelles conférences, 1932). La liberté de penser autre chose, d’acquérir ce savoir indépendant et objectif cher aux Grecs, est absente aussi bien chez Jésus que chez Marx.

  L’égalité est fortement privilégiée, à la fois par rapport à la liberté et par rapport à la compétition ou concurrence. Voltaire, qui n’était heureusement ni Marx ni Jésus, pouvait seul reconnaître cette vérité : « Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour. » (Lettres philosophiques, X). La famille, attache mondaine dans un cas, bourgeoise dans l’autre, est rejetée énergiquement, ce qui devient  cocasse par ces temps d'opposition entre le " faire famille " socialiste et le traditionalisme catholique.

  Abêtissement, perte de l’esprit critique, par soumission à l’orthodoxie ; il y a là une sorte de servitude volontaire intellectuelle des adeptes qui amène des esprits parfois très brillants dans d’autres domaines à accepter sans discussion des réponses très simplistes ; ainsi le croyant dévalorisera toute la cosmologie qu’il ignore au nom de sa foi. Le marxiste, comme le gauchiste, récuse a priori toute explication qui ne soit pas fondée sur l’économie, les " injustices sociales " ou la pseudo-logique dominés/dominants. Divergence : alors que Jésus pense que le mal vient de chaque homme, tout en valorisant la faiblesse et la débilité, et en appelant à la conversion intérieure, Karl Marx, après Jean-Jacques Rousseau, rejette presque toute la faute sur l’organisation sociale, qui serait source d’aliénation ; il appelle le prolétaire à la « prise de conscience » (équivalent marxiste de la conversion religieuse intérieure), unique référence à la notion de responsabilité individuelle. 

Jésus propose un anti-matérialisme, Karl Marx est matérialiste.

« Camarade, ne crois à rien ; n’accepte rien sans preuve. […] L’appétit de savoir naît du doute. Cesse de croire et instruis-toi. » (André Gide, Les Nouvelles nourritures, IV). Gide nous ramène à la connaissance (objective par définition), bien malmenée à la fois par les religions et les idéologies totalitaires, mais valorisée par la philosophie ; c'est même cette valorisation de la connaissance qui caractérise le mieux la philosophie, et sa rupture fondatrice avec les mythologies de toutes sortes. 


XII - LA RUSSIE ET SES SAVANTS :

On a trop souvent dit ou écrit que les difficultés durables du régime communiste de l'ex-U.R.S.S. s'expliquaient par le niveau extrêmement bas de la Russie tsariste en 1917 : " tragiquement sous-développé " selon le sous-informé Pierre Mendès-France ; " ce pays qui était, il y moins d'un demi-siècle, le plus arriéré d'Europe " lisait-on en avril 1962 dans Les Échos (article cité par le communiste Waldeck Rochet) ; " pays sous-développé, arriéré "  écrivait encore le bistrosophe Marc Sautet dans Un Café pour Socrate en 1995. Mais la Russie anté-bolchévique " n'était pas du tout la nation de sauvages dépeinte ensuite par la propagande communiste " écrivait Jean-François Revel, né en 1924 à Marseille - décédé le 30 avril 2006 au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), dans " L'essentielle identité du fascisme rouge et du fascisme noir ", Commentaire, n° 81, printemps 1998, page 232. Plus récemment, Yvon Quiniou : " Si, à la fin de sa vie, il [Karl Marx] a envisagé avec Engels qu'une révolution pourrait se déclencher dans un pays arriéré comme la Russie [...] Récuser Marx au nom des régimes communistes relève de l'amalgame ou de l'incompréhension. ", Le Monde, 15 août 2010.

  Sur les plans scientifique et technique, la Russie de 1917 était un peu moins avancée que les meilleurs d'Europe de l'Ouest (Angleterre, France, Allemagne, Italie), mais sans être arriérée pour autant. Sur le plan culturel, si elle n'avait pas de très grands philosophes ni de grands logiciens, les Lumières sont entrées en Russie grâce à Catherine II, et parmi ses philosophes on relève les noms de Piotr Tchaadaiev, Nicolas Tchernichevski et Nicolas Berdaiev. Sa littérature est universellement reconnue et admirée (Lermontov, Gogol, Dostoïevski, Tchékov, Tolstoï, Pouchkine, Tourguéniev, Nekrassov, Gorki, et alii), de même que sa musique (Borodine, Moussorgski, Rimski-Korsakov, Prokofiev, Tchaïkovski, et alii) et sa peinture (Roublev, Ivanov, Savrassov, Pérov, Kramskoï, Vroubel, Kandinski, Chagall, et alii).

Arriérés, nombre de pays colonisés l'étaient réellement, notamment les pays d'Afrique qui ne disposaient pas d'une langue écrite. Mais il n'est pas politiquement correct de le dire...

Voici, rapidement, les noms de 61 savants russes des XVIIIe, XIXe et début XXe siècles. Plusieurs d'entre eux, signalés par un *, appartenaient à l'Académie Impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg, fondée en 1724, ou à l'Académie des Sciences de Russie.

Références :
Charles C. Gillispie, editor in chiefDictionary of Scientific Biography, New York : Ch. Scribner's Sons, NY, 1970-1980.
Jacques Angenault, La Chimie. Dictionnaire encyclopédique, Paris : Dunod, 1995.

* * * * *

P.S. Alexandrov, 1896/, topologie algébrique.
N.I. Andrusov, 1861/1924, géologie, paléontologie.

A.N. Bach, 1857/1946, chimie.
V.M. Bechterev, 1857/1927, psycho-physiologie.
S.N. Bernstein, 1880/1968, mathématiques.
A.P. Borodine, 1833/1887, chimie.
A. Boutlerov, 1828/1896, chimie.
V.Y. Buniakowski*, 1804/1889, mathématiques.

D.F. Egorov, 1869/1931, mathématiques.

B.B. Golitsyne, 1862/1916, physique.

G.H. Hess, 1802/1850, chimie.

A. F. Ioffe, 1880/1960, physique.
V.N. Ipatieff, 1867/1952, chimie.

A.P. Karpinski*, 1847/1936, géologie.
A.Y. Khintchine, 1894/1959, mathématiques.
S.K. Kostinski, 1867/1936, astronomie.
N. Kostyleff, 1876/1956, psychologie.
A.O. Kovalevski, 1840/1901, embryologie.
S.V. Kovalevskaia, 1850/1891, mathématiques.
M.A. Kovalsky, 1821/1884, astronomie.
A.N. Krylov*, 1863/1945, mathématiques.
N. M. Krylov  1879/1955, mathématiques.

M.A. Landau, 1889/1957, chimie.
E.K. Lenz*, 1804/1865, électro-magnétisme.
A.M. Liapounoff*, 1857/1918, mathématiques.
N.I. Lobatchevsky, 1792/1856, mathématiques.
V.M. Lokhtine, 1849/1919, hydrologie.
M.V. Lomonossov, 1711/1765, physique-chimie.
N.N. Lousine, 1883/1950, mathématiques.

A.A. Markov*, 1856/1922, mathématiques.
D.I. Mendeleiev, 1834/1907, chimie.
E. Metchnikoff, 1845/1916, biologie.

G.N. Neuymin, 1886/1946, astronomie.

V. A. Obruchev, 1893/1956, géologie.
M.V. Ostrogradski*, 1801/1862, mathématiques.

I.P. Pavlov, 1849/1936, physiologie, prix Nobel 1904.
I.G. Pétrovski, 1801/1873, mathématiques.
A.A. Popov, 1859/1906, électromagnétisme.
I.I. Privalov, 1891/1941, mathématiques.

Selinsky, 1861/1953, chimie.
I. Setchènov, 1829/1905, psycho-physiologie.
V.M. Severgine, 1765/1826, minéralogie.
Sikorsky, 1889/1972, aéronautique.
Y.K. Sokhotsky, 1842/1927, mathématiques.
D.I. Sokolov, 1788/1852, géologie.
O.I. Somoff, 1815/1876, mathématiques.
N.Y. Sonin, 1849/1915, mathématiques.
M. Sousline, 1894/1919, mathématiques.
V.V. Stepanov, 1889/1950, mathématiques.

P.L. Tchebichev*, 1821/1894, mathématiques.
N.G. Tchébotarev, 1894/1946, mathématique.
D.K. Tchernov, 1839/1921, métallurgie.
M.S. Tswett, 1872/1919, botanique.

P.S. Urysohn, 1898/1924, mathématiques.

S.I. Vavilov, 1891/1951, physique.
V. I. Vernadsky*, 1863/1945, minéralogie.

A. Zaitsev, 1841/1910, chimie.
N. Zinine, 1812/1880, chimie organique.
E.I. Zolotareff, 1847/1878, mathématiques.
N.E. Zhukovsky, 1847/1921, maths appliquées et mécanique.
N.N Zubov, 1885/1960, océanographie.

mardi 4 juillet 2023

TOUT N'ÉTAIT PAS NOIR DANS LA COLONISATION DE L'ALGÉRIE


Chambre des députés, 28 juillet 1885. Déjà, le clash des
civilisations qu'analysera Samuel Huntington en 1996.
Clémenceau répondra le 30 juillet 1885 :






" Mon fils, ne croit surtout pas que tout était rose à l'époque coloniale. On était considéré comme de sous-hommes, comme des bêtes de somme corvéables à merci, sans droits, ni liberté. L'école nous était interdite. Tout était d'ailleurs interdit. " Hamid Grine, Le Café de Gide (roman), chapitre 9, Alger : Éditions Alpha, 2008.
Ce qui est contredit au chapitre 1, où il apparaît que le narrateur avait terminé ses études primaires en 1962 à Biskra...
Martine Mathieu-Job : « En 1943, moins de 10 % des enfants " indigènes " de 6 à 14 ans étaient effectivement scolarisés ; et, malgré des mesures volontaristes prises à partir de 1944, ce taux ne dépassait pas 31 % à l'issue des 130 années de présence française dans ce pays. » (À l'école en Algérie des années 1930 à l'Indépendance, Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier) : Bleu autour, 2018)
Le militant racialiste Louis-Georges Tin m'interroge : « Comment peut-on penser qu'il y a des aspects positifs à un crime contre l'humanité ? ». La notion juridique de " crime contre l'humanité " a été créée en 1945 par le statut du tribunal militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres (article 6, c) ; ce crime est inscrit dans l'ordre juridique français depuis la loi Couve de Murville n° 64-1326 du 26 décembre 1964, et actuellement, si le ou les coupables sont identifiés et appréhendés, il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité par l'article 212-1 du Code pénal., donc imputable seulement à des personnes physiques. L'extension de cette notion à des actions collectives étendues sur une longue période antérieure constitue un abus de langage, un anachronisme sur le plan historique et une atteinte au principe général du droit de non-rétroactivité sur le plan juridique. Par ailleurs, je ne pense tout simplement pas que la colonisation française en Algérie puisse être qualifiée de quelque chose comme un " crime contre l'humanité ". Je donne dès maintenant la citation de Friedrich Engels, le compère de Karl Marx, qui replaçait la conquête de l'Algérie dans son contexte historique :


A / 1)  Lorsque je vis le débat sur l'Algérie sur la chaîne parlementaire L.C.P. à la mi-juillet 2005, il me sembla que la condamnation unanime et absolue du colonialisme, renouvelée récemment par le président Macron, était un peu rapide. En effet, plusieurs des participants à ce débat n'auraient pas atteint le niveau de culture, la situation sociale et la place dans les médias qu'ils occupaient alors, sans la colonisation de l'Algérie par la France. Il est bien regrettable que presque personne n'ait osé faire remarquer cette évidence.
François Hollande le 29 novembre 2014, à l’occasion du XVe sommet de la francophonie : « C’est en français que les peuples se sont décolonisés, en français qu’ils ont accédé à l’indépendance et à la liberté. ». À noter, l'Afrique subsaharienne ne possède pas de langue écrite vernaculaire.
  Je ne suis pas du tout un nostalgique de cette Algérie française où mes parents, instituteurs, ont résidé et enseigné pendant une dizaine d'années (arrivés en Algérie en 1948, ils n'étaient pas Pieds-Noirs) ; mais je commence à m'inquiéter quand on dit et répète dans les médias ce mensonge qu'aucune instruction n'était donnée aux Algériens.

On m'objecte que " Dans les 30 premières années de l'occupation de l'Algérie, il y a eu environ 500 000 morts ! C'est un crime contre l'humanité. Il est inacceptable d'essayer de voir les bons côtés d'un crime contre l'humanité. " (Louis-Georges Tin). Je ne cherche pas à justifier les enfumades de Bugeaud. Mais  la définition du crime contre l'humanité est élastique, et le bien ou le mal issus d'un événement historique n'ont pas de valeur éternelle. Qui songe aujourd'hui à reprocher aux l'esclavage aux Grecs,  aux Italiens la colonisation romaine de la Gaule ou aux Arabes islamisés la conquête de la péninsule ibérique ?? Par ailleurs la " guerre d'Algérie " commença en novembre 1954 par l'assassinat d'un jeune instituteur venu du Limousin, Guy Monnerot, ce qui n'était pas un acte particulièrement humaniste remettant l'humanité dans la bonne direction. La Déclaration du 1er novembre 1954 précise le but de l'insurrection : " L’Indépendance nationale par la restauration de l'État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. " Dans le cadre des principes islamiques... Ceci assorti de la " Réalisation de l’Unité nord-africaine dans le cadre naturel arabo-musulman. "

À Béni-Saf et à Oran, il y avait suffisamment d'instituteurs pour faire vivre des ciné-clubs actifs. De même, de nombreux cadres du FLN, du MNA et du PPA ont bénéficié de l'instruction républicaine française ; une recherche rapide a donné les éléments suivants :


En gras, les six chefs historiques du FLN :
Chefs du FLN. Photo prise juste avant le déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954.
De gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf
Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M'Hidi à droite.
Tous vêtus à l'occidentale...


Ferhat Abbas (1899-1985) : bourse pour poursuivre des études secondaires à Philippeville (actuelle Skikda) ; étudiant en pharmacie à l'université d’Alger de 1924 à 1933 ; pharmacien.
Hocine Ait Ahmed (1926-2015) : à 16 ans, encore lycéen, il adhère au Parti du peuple algérien (PPA) ; dr en droit de l'université de Nancy en 1975 !!

Belkacem Krim : fréquente l'école Sarrouy à Alger et y obtient le certificat d'études primaires 

Ahmed Ben Bella (1916-2012) : études secondaires à Tlemcen
Benyoucef Benkhedda : études au lycée de Blida ; après l'obtention de son baccalauréat, il entre à la Faculté de médecine et de pharmacie d'Alger en 1943 et après interruption des études, obtient le diplôme de pharmacien en 1951.
 Mohalled-Seddik Benyahia (1932-1982) : diplômé de l'université d'Alger. Tout en étant jeune avocat, il prit une part active dans la lutte pour l'indépendance de son pays durant la guerre d'Algérie.
Rabah Bitat (1925-2000) : études à Constantine
Mohamed Boudiaf (1919-1992) : études à M'sila, fonction administrative au service des Contributions.
Houari Boumediene (1932-1978) : études en arabe à l'école coranique et en français à l'école primaire de sa ville ; études à l'Université Zitouna de Tunis en 1950.
Ahmed Boumendjel (1908-1982) : fils d'instituteur, avocat.
Ali Boumendjel (1919-1957) : cursus scolaire à Larbaâ. Brillant élève, il décroche une bourse qui lui permet d'entrer au collège Duveyrier de Blida ; eprès le lycée, il suit les traces de son frère ainé, Ahmed Boumendjel, et fait des études de droit.
Abdelaziz Bouteflika (né en 1937) : études secondaires au lycée Abdelmoumen d'Oujda.

Zohra Drif (née en 1934) : études secondaires au lycée Fromentin à Alger, puis à la faculté de droit d'Alger ; avocate.

Mohamed Khider (1912-1967) : 

Mostefa Lacheraf (1917-2007) : études secondaires aux lycées de Ben Aknoun et d'Alger, puis à la Medersa Tha'alibiyya ; études supérieures à la Sorbonne ; il enseigne au lycée de Mostaganem et au lycée Louis-le-Grand à Paris ; renonçe à l'enseignement durant la guerre d'Algérie.
Mohamed Lamine Lamoudi (1891-1957) : études secondaires inacevées à Biskra.

Redha Malek, né en 1931 : licencié en lettres et philosophie de l'université d'Alger, il poursuivra des études à Paris.
Segjir Mostefaï : avocat, diplômé en droit et économie de la Sorbonne.

Mohamed Larbi Ben M'hidi : certificat d'études primaires obtenu à Batna.

Mostefa Ben Boulaïd

Amar Ouamrane : certificat d'études primaires, académie militaire de Cherchell

Mourad Didouche : fait ses études primaires et le cycle moyen à l'école d'El Mouradia, puis entre au lycée technique du Ruisseau à Alger
Abane Ramdane ([Ramdane Abane ] né en 1919) : ancien élève du collège de Blida

Par ailleurs :

* Née en 1936 à Cherchell, à l'ouest d'Alger, Assia Djebar, de son vrai nom Fatima-Zohra Imalyène, fut la première femme algérienne à être admise à l'École normale supérieure de Paris, en 1955. Elle fut ensuite reçue à l'Académie française.

* Né à Casablanca en 1930, Jamal Eddine Bencheikh vécut dans la région d'Oran, puis poursuivit à Alger des études de droit et d'arabe classique. Après l'indépendance de l'Algérie, il s'exila en France pour protester contre le régime de Boumediene. (Le Figaro, 11 août 2005).

* Sans la colonisation, MM. Azouz Begag et Léon Bertrand n'auraient pas été ministres de la République française, comme le fit utilement remarquer le député UMP des Alpes-maritimes Lionel Luca.


A / 2)   La colonisation ne peut donc se résumer à la construction de routes et de ports au seul bénéfice des Européens. La France mit fin à la pratique africaine de l'esclavage, y exerça une œuvre d'instruction publique reconnue par la loi et y apporta l'hygiène et la médecine préventive, avec notamment les vaccinations.
" Sur le plan démographique, l'université d'Alger accueille une trentaine d'étudiants "indigènes algériens" en 1914 (sur un effectif total d'environ 500), et une centaine par an de 1930 à 1939. Un nombre plus grand commence ou continue ses études supérieures en France métropolitaine, notamment à Paris (une trentaine en 1930, une cinquantaine en 1935), ou dans d’autres universités comme Montpellier et Toulouse. L'université d'Alger est attractive, accueille des enseignants et des chercheurs de haut niveau, crée progressivement des laboratoires scientifiques, des bibliothèques et des instituts spécialisés. S'y ajoutent des écoles techniques comme l'École d’ingénieurs des travaux publics d’Alger en 1926. Comme les autres universités, celle d'Alger possède ses particularités liées à son environnement (études du droit musulman, de la langue arabe, géographie, etc.), qui témoignent aussi de la conscience qu'ont les universitaires de se trouver, en Algérie, à l'interface du monde européen et de la vaste civilisation arabo-musulmane. "
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_d%27Alger)
La France a permis l'utilisation des ressources pétrolières de l'Algérie. On oublie de dire aussi que la responsabilité d'un certain nombre de Français de la gauche totalitaire est en cause dans le mauvais choix d'une économie socialiste planifiée à la soviétique, choix fait par le gouvernement algérien après 1962, comme la responsabilité des indépendantistes d'alors l'est dans l'origine, puis l'escalade, des incidents qui aboutirent au massacre de Sétif en 1945.

   Cette colonisation, comme la conquête de l'Amérique, ou celle de l'Espagne par les Arabes, comme la montée des Arabes jusqu'à Poitiers, est un exemple de clash de civilisations inégalement développées ; chercher éternellement, et anachroniquement, des responsabilités pour ces faits ne va pas dans le sens de la pacification de l'histoire humaine. Le maintien dans la Communauté proposée par la Constitution de 1958 aurait pu fournir davantage d'instruction et l'accès à des institutions républicaines aux pays africains, leur éviter des guerres telles que celle qui menaçait en 2005 entre le Yémen et le Soudan, ou entre la Somalie et l'Ethiopie. Mais cela n'a pas été possible, et ces pays devront, sans doute, repasser par où nous sommes passés en Europe. Je ne nie pas que la France ait commis des fautes, dont une des plus graves est probablement le décret Crémieux qui accorda en 1870 la nationalité française aux seuls Juifs d'Algérie, à l'exclusion donc des musulmans. B.-H.Lévy, J.-P. Elkabach, Jean Daniel [Bensaïd] du Nouvel Obs, le philosophe Jacques Derrida et d'autres doivent leur nationalité française à ce décret.

Il vaudrait mieux faire de l'histoire générale plutôt que de cultiver, avec les mémoires communautaires, les rancunes, les ressentiments, et la théorie inquiétante d'un " continuum colonial " (Houria Bouteldja à Cultures et Dépendances). Houria Bouteldja, qui se dit Algérienne et déclare ne pas aimer l'Algérie ; c'est dire qu'elle aime encore moins la France ...


Le Président de la République Chirac demanda et obtint le déclassement de l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi du 23 février 2005, mais subsiste cet alinéa 1 de l'article 1 :
" La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. "
Le candidat Emmanuel Macron était donc hors-la-loi lorsqu'il déclarait le 14 février 2017, sur la chaîne de télévision algérienne Echourouk News : « Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains ont voulu faire cela en France, il y a dix ans. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie. La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l'égard de celles et ceux envers qui nous avons commis ces gestes. »
Plus tard Emmanuel Macron fit observer que le système politico-militaire algérien actuel s'est construit sur une rente mémorielle. (Alger, 30 septembre 2021).

Le déclassement ayant été accordé par la décision 2006-203 L du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2006, l'alinéa 2 de l'article 4 fut ensuite abrogé par ce que certains appelèrent le "décret Bouteflika", décret 2006-160 du 15 février 2006.

* * * * *

On pourra verser au dossier cinq éléments supplémentaires — une question du ministre René-Louis d'Argenson, — une réflexion de François-René de Chateaubriand, — un texte peu connu du premier marxiste, Friedrich Engels, se réjouissant de la conquête de l'Algérie par la France ; — la condamnation du terrorisme FLN par le philosophe Albert Camus en décembre 1957, devant des étudiants algériens ; — et enfin l'exposé de la situation en octobre 1961 par le ministre de l'intérieur Roger Frey :


B / 1 - La question de René-Louis d'Argenson :

« Les deux vaisseaux portant provision à Port-Mahon [Minorque, Baléares] ont été pris par les Algériens et menés à Alger malgré leur traité récent. 11 n'y a rien à attendre d'humain de ces corsaires : quand fera-t-on donc une croisade humaine contre eux ? Des gens qui n'ont d'autre métier, d'autre commerce que la piraterie et qui sont à notre porte, nous les ménageons par quelque avantage que nous avons dans ce danger sur les autres nations moins craintes, plus exposées que nous ! » (René-Louis d'Argenson, Journal et Mémoires, tome 7, 6 janvier 1752, page 62).

B / 2 - Les questions de Chateaubriand :

« Un nouvel Orient va-t-il se former ? Qu'en sortira-t-il ? Recevrons-nous le châtiment mérité d'avoir appris l'art moderne des armes à des peuples dont l'état social est fondé sur l'esclavage et la polygamie ? Avons-nous porté la civilisation au dehors, ou avons-nous amené la barbarie à l'intérieur de la chrétienté ? » Mémoires d'outre-tombe, livre XVIII, chapitre 4.


B / 3 - Article de Friedrich Engels, correspon­dant parisien du journal anglais Northern Star, 22 janvier 1848 ; l'argumentation de cet article détruit la thèse de la " violence fondatrice " de la conquête de 1830 ; le mal, toujours, vient de plus loin :

« En somme, à notre avis, c'est très heureux que ce chef arabe [Abdel ­Kader] ait été capturé. La lutte des bédouins était sans espoir et bien que la manière brutale avec laquelle les soldats comme [Thomas] Bugeaud ont mené la guerre soit très blâmable, la conquête de l'Algérie est un fait important et heureux pour le progrès de la civilisation.
Les pirateries des États barbaresques, jamais com­battues  par le gouvernement anglais tant que leurs bateaux n'étaient pas molestés, ne pouvaient être sup­primées que par la conquête de l'un de ces États. Et la conquête de l'Algérie a déjà obligé les beys de Tunis et Tripoli et même l'empereur du Maroc à prendre la route de la civilisation. Ils étaient obligés de trouver d'autres emplois pour leurs peuples que la piraterie et d'autres méthodes pour remplir leurs coffres que le tribut payé par les petits­ États d'Europe.
Si nous pouvons regretter que la liberté des bédouins du désert ait été détruite, nous ne devons pas oublier que ces mêmes bédouins étaient une nation de voleurs dont les moyens de vie principaux étaient de faire des razzias contre leurs voisins ou contre les villages paisibles, prenant ce qu'ils trouvaient, tuant ceux qui résistaient et vendant les prisonniers comme esclaves.
Toutes ces nations de barbares libres paraissent très fières, nobles et glorieuses vues de loin, mais approchez seulement et vous trouverez que, comme les nations plus civi­lisées, elles sont motivées par le désir de gain et emploient seule­ment des moyens plus rudes et plus cruels.
Et après tout, le bourgeois moderne avec sa civilisation, son industrie, son ordre, ses « lumières » relatives, est préférable (1) au seigneur féodal ou au voleur maraudeur, et à la société barbare à laquelle ils appartiennent. »
1. Cf Redeker : " Le capitalisme, parce qu’il permet sans le nécessiter un plus ample développement de la liberté, parce qu’il a créé aussi de la richesse et de la beauté, est préférable à l’islam, tout comme la symbolique des Twin Towers est préférable aux discours proférés dans les mosquées. " (Robert Redeker, 2001).

" Upon the whole it is, in our opinion, very fortunate that the Arabian chief has been taken. The struggle of the Bedouins was a hopeless one, and though the manner in which brutal soldiers, like Bugeaud, have carried on the war is highly blamable, the conquest of Algeria is an important and fortunate fact for the progress of civilisation. The piracies of the Barbaresque states, never interfered with by the English government as long as they did not disturb their ships, could not be put down but by the conquest of one of these states. And the conquest of Algeria has already forced the Beys of Tunis and Tripoli, and even the Emperor of Morocco, to enter upon the road of civilisation. They were obliged to find other employment for their people than piracy, and other means of filling their exchequer than tributes paid to them by the smaller states of Europe. And if we may regret that the liberty of the Bedouins of the desert has been destroyed, we must not forget that these same Bedouins were a nation of robbers, — whose principal means of living consisted of making excursions either upon each other, or upon the settled villagers, taking what they found, slaughtering all those who resisted, and selling the remaining prisoners as slaves. All these nations of free barbarians look very proud, noble and glorious at a distance, but only come near them and you will find that they, as well as the more civilised nations, are ruled by the lust of gain, and only employ ruder and more cruel means. And after all, the modern bourgeois, with civilisation, industry, order, and at least relative enlightenment following him, is preferable to the feudal lord or to the marauding robber, with the barbarian state of society to which they belong. "
Extraordinary Revelations. — Abd-El-Kader. — Guizot’s Foreign Policy.



B / 4 - Albert Camus à Stockholm devant des étudiants suédois 


B / 5







C / Éric Zemmour : « 60 ans après, je mettrai fin aux privilèges migratoires de l'Algérie »

Le Figaro, 19 mars 2022.

Il y a 60 ans jour pour jour, la signature des accords d'Evian marquait l'arrêt officiel des combats d'une guerre d'Algérie que la France avait gagnée, mais qu'elle ne voulait plus mener. La paix qui s'en est suivie n'en a jamais vraiment été une. Ce sont des milliers d'Européens et des dizaines de milliers de harkis qui furent enlevés, torturés, assassinés dans les semaines et mois qui suivirent.

Depuis, la France n'a fait que battre sa coulpe devant des dirigeants algériens souvent arrogants, qui n'ont cessé, eux, d'agiter le ressentiment anti-Français, chez eux, mais aussi chez nous. Car des millions d'Algériens et descendants d'Algériens sont venus sur notre sol, en vertu des accords particuliers entre la France et l'Algérie permettant de faciliter leur immigration massive. Et chez eux, les dirigeants algériens ont tout fait pour faire perdurer cette rancune, qui fait partie du récit national algérien d'une «guerre de libération». L'hymne algérien est clair : «Ô France ! voici venu le jour où il te faut rendre des comptes» chante-t-on encore, 60 ans après l'indépendance.

Au lieu de contrer ce récit, Emmanuel Macron n'a rien trouvé de mieux que l'alimenter, en déclarant sur une chaîne algérienne que la colonisation était un « crime contre l'humanité ». Son ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin fait pire encore en déposant une gerbe tricolore bien incongrue aux pieds du Mémorial des Martyrs d'Alger, qui se sont battus contre la France. Des paroles et des actes dangereux et imprudents, qui viennent s'ajouter aux manœuvres algériennes visant à exciter le rejet de la France chez les jeunes arabo-musulmans de notre pays. Des paroles terribles aussi pour les rapatriés d'Algérie et les harkis, ou leurs descendants, chez qui le souvenir des exactions, de la violence puis de l'exode est encore vif. Des paroles que ses récents gestes n'ont pas fait oublier pour les harkis, ni pour les rapatriés. Surtout, ce n'est sûrement pas ce type de paroles ou gestes qui permettront à notre pays d'être à nouveau respecté de l'autre côté de la Méditerranée.

Les dirigeants algériens ne manquent jamais de nous insulter, mais ils ne se risquent pas à remettre en cause des avantages concédés par la France post-coloniale et aujourd'hui totalement hors de propos. En 1968, dans le prolongement des accords d'Evian, la France passe des accords avec l'Algérie qui permettent de faciliter l'immigration algérienne. À l’époque, le patronat exprimait un besoin important de main-d’œuvre. Aujourd'hui, nous avons des millions de chômeurs inemployés et nous ne voulons plus de cette immigration, mais les Algériens continuent de bénéficier de ces privilèges.

Pourtant aucun gouvernement n'a osé revenir sur l'accord migratoire de 1968, même si beaucoup l'ont envisagé. Élu Président de la République, je mettrai définitivement fin aux privilèges migratoires exorbitants des Algériens. Je serai aussi particulièrement attentif à la dette des patients algériens auprès de nos hôpitaux (évaluée à 600 millions d'euros en 2012...), ou encore à la fraude aux centenaires sur les retraites françaises touchées en Algérie. La France doit retrouver son rôle de puissance méditerranéenne, dans le respect mais sans repentance

Dès l'été de mon élection, je me rendrai au Maghreb. En commençant bien sûr par l'Algérie, j'entamerai une tournée pour remettre à plat nos relations et affirmer notre position : le respect, pas la repentance. Je veux une France forte qui s'assume et s'affirme à nouveau comme une puissance méditerranéenne. Dans un dialogue de vérité, 60 ans après son indépendance, je traiterai l'Algérie en État mature, comme tous les autres pays du monde, considérant que de part et d'autre nous sommes définitivement défaits du lien colonial. Je conditionnerai désormais les aides financières et l'octroi de visas à la coopération contre l'émigration clandestine, à la réadmission des immigrés illégaux expulsés de France et à des accords permettant que les petites peines de prison puissent être effectuées dans les pays d'origine des délinquants étrangers.

Mes parents sont venus d'Algérie, ils se sont assimilés, ils ont chéri cette France qui leur a tout donné et je perpétue aujourd'hui ce qu'ils m'ont transmis. Avec moi, la porte de l'assimilation sera toujours ouverte, mais ceux qui souhaitent rester chez nous en continuant dans la voie du ressentiment et du rejet de la France ne seront plus les bienvenus.