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samedi 4 juin 2022

DIX PRINCIPES DE LOGIQUE CLASSIQUE (et deux APPENDICES)



Montaigne, Essais, II, 1, exemplaire de Bordeaux, 1588.
" Distingo, est le plus universel membre de ma logique. "


Arthur Schopenhauer, portrait en 1815 par Ludwig Sigismund Ruhl

   Note que l'on pourra à juste titre qualifier de " très sommaire ", mais je n'ai encore rencontré aucune tentative de faire un point à la fois synthétique et vulgarisateur sur les principes à retenir et l'ordre dans lequel les prendre. Toute suggestion ou documentation sera donc la bienvenue.
Pascal : «  Toute notre dignité consiste dans la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever, non de l’espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser. Voilà le principe de la morale. » (Pensées, 347, L 200)
« Afin d'éviter toutes les erreurs, on n'a besoin que d'appliquer les règles les plus vulgaires des logiciens avec beaucoup de constance et de rigueur. »
 (Leibniz, Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, 1ère partie)
Méthode et règles cartésiennes ; art de penser ; lois de la pensée.
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Descartes phénoménologue : « 9. Ce que c’est que penser
Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser. »
Principes de la philosophie (1644), partie I, § 9.
Au sens strict, penser (avec plus ou moins de logique ) s'oppose à sentir ainsi qu'à croire.

KANT : « Que la logique ait suivi depuis les temps les plus anciens ce chemin sûr [celui de la science], le fait qui le montre est que, depuis Aristote, elle n'a pas eu besoin de faire un pas en arrière, si l'on veut bien ne pas compter pour améliorations l'élimination de quelques subtilités superflues, une détermination plus claire de l'exposé, toutes choses qui touchent plus à l'élégance qu'à la sûreté de la science. Il est encore remarquable à son propos que, jusqu'ici, elle n'a pu faire un seul pas en avant, et qu'ainsi, selon toute apparence, elle semble close et achevée. » Critique de la raison pure, Préface de la seconde édition, 1787, traduction Delamarre/Marty, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade. [Daß die Logik diesen sicheren Gang schon von den ältesten Zeiten her gegangen sei, läßt sich daraus ersehen, daß sie seit dem Aristoteles keinen Schritt rückwärts hat tun dürfen, wenn man ihr nicht etwa die Wegschaffung einiger entbehrlicher Subtilitäten, oder deutlichere Bestimmung des Vorgetragenen als Verbesserungen anrechnen will, welches aber mehr zur Eleganz, als zur Sicherheit der Wissenschaft gehört. Merkwürdig ist noch an ihr, daß sie auch bis jetzt keinen Schritt vorwärts hat tun können, und also allem Ansehen nach geschlossen und vollendet zu sein scheint.]


I / Principe de non-contradiction et d'identité ou, plus simplement, d’incompatibilité : La proposition : « A et non A » est fausse pour toute proposition A. Énoncé par Aristote, Métaphysique, IV, page 1005b, lignes 19-20. Non A désigne la négation de A ; la logique classique employait le terme contradictoire ; non A, négation de A, est fausse quand A est vrai, et inversement.
En termes plus simples, ce principe affirme qu'une proposition soumise à la logique ne peut être à la fois vraie et fausse.
Leibniz : " La première des vérités de raison est le principe de contradiction ou, ce qui revient au même, le principe d'identité, ainsi qu'Aristote l'a remarqué justement. " (Remarques sur la partie générale des principes de Descartes, traduit du latin par Paul Schrecker).
En logique algébrisée, si a est la fonction de vérité de la proposition A (a = 1 pour A vrai, et 0 pour A faux ; avec a² = a), alors la fonction de vérité de non-A est 1 - a, et celle de A et non-A est a(1 - a) = a - a² = 0.

Paradoxes associés  : « Je mens ».
Bertrand Russell : L'ensemble des ensembles n'appartenant pas à eux-mêmes appartient-il à lui-même ? Si on répond oui, alors, comme par définition les membres de cet ensemble n'appartiennent pas à eux-mêmes, il n'appartient pas à lui-même : contradiction. Mais si on répond non, alors il a la propriété requise pour appartenir à lui-même. Formellement, si l'on pose :

y ∈ y ⇔ y ∉ y, donc chacune des possibilités, y ∈ y et y ∉ y, mène à une contradiction.

Forme imagée, paradoxe du barbier. Un barbier se propose de raser tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes, et seulement ceux-là. Le barbier doit-il se raser lui-même ?


II / Principe d’apodicité ou d’incomplétude : Le point de départ d’une démonstration n’est pas démontrable. Énoncé par Aristote, Métaphysique, IV, vi, page 1011a, ligne 13.
Une démonstration est donc une relation de vérité entre deux propositions ; si... alors...


Les deux principes suivants concernent les relations entre le genre et l'espèce (les deux premiers des cinq universaux selon Porphyre de Tyr (3e siècle) : le genre, l’espèce, la différence spécifique, le propre, l’accident).




III / Principe de spécification ou de division : Variété de l’homogène sous des espèces inférieures. " Distingo [sic] est le plus universel membre de ma Logique. " (Montaigne, Essais, II, i, page 335 de l'édition Villey/PUF). Kant, Critique de la raison pure, Appendice à la Dialectique transcendantale, De l'usage régulateur des idées de la raison pure.


Voir aussi Platon, Philèbe, 13-16 et Politique, 262ab.

Ce principe, encore appelé distinguo interne (ou analyse), et celui qui le suit (distinguo externe ou synthèse), sont attachés à la distinction et aux liens de l’unité et de la multiplicité. Selon Kant, qui leur adjoint le principe de la continuité des formes, ce sont des principes transcendantaux de la raison, car portant sur la façon de connaître en général, et non sur une connaissance particulière. On accuse légitimement de "confusion" ceux qui ignorent ce principe de spécification.
Ce principe s'apparente au second précepte de Descartes.
Discours de la méthode, deuxième partie.


IV / Principe d’homogénéité, de rassemblement ou de généralisation : Homogénéité du divers sous des genres plus élevés. Énoncé par Platon, Lois, XII, page 965cd. Repris par Kant, Critique de la raison pure, Appendice à la " Dialectique transcendantale ", De l'usage régulateur des idées de la raison pure.
Schopenhauer :

...
« Le divin Platon et l'étonnant Kant unissent leurs voix impressionnantes pour recommander une règle, comme méthode de toute philosophie, et même de tout savoir en général. On doit, disent-ils, satisfaire à deux lois, celle de l'homogénéité [généralisation] et celle de la spécification, dans la même mesure et non à l'une au détriment de l'autre. » (Arthur Schopenhauer, De la Quadruple racine du principe de raison suffisante, chapitre premier,  Introduction, § 1 " La méthode ", 1813-1847).
Le sociologue Edgar Morin, qui donc n'inventait rien, dans " Réforme de la pensée" : « Le principe de simplicité impose de disjoindre et de réduire. Le principe de complexité enjoint de relier, tout en distinguant.  »
Illustration du principe de généralisation par Montaigne : " Quelque diversité d’herbes qu’il y ait, tout s’enveloppe sous le nom de salade. " Essais, I, 46.
Ce slogan de la correction politique, " pas d'amalgame ", refuse les connexions légitimes, mais qui dérangent un confort pseudo-intellectuel.


V / Principe du tiers exclu : De deux propositions contradictoires, l’une doit être vraie, l’autre fausse. Aristote, De l’interprétation, VII. La proposition « A ou non A » est vraie pour toutes les interprétations de A. Ce principe, encore appelé ‘loi de bivalence’, est en même temps l’axiome d’existence d'une proposition contradictoire pour toute proposition.

Selon une des lois d'Augustus De Morgan, non(A ou non A) = non A et A, ce qui est faux d'après le premier principe ;
donc A ou non A est vraie.

En logique algébrisée, A ou B a pour fonction de vérité a + b - ab.
Pour A ou non A : a + 1 - a - a(1 - a) = 1 - a + a² = 1, donc vrai.


VI / Principe de raison suffisante (PRS) ou de causalité :

« Rien ne peut se produire sans cause ; il n’arrive rien qui n’ait pu arriver. » Cicéron, La Divination, II, xxviii, 61 : "Nihil enim fieri sine causa potest; nec quicquam fit, quod fieri non potest." Reformulé par plusieurs auteurs :

Francis Bacon (1561-1626) : « Il n’y a rien de si petit qui dans l’ordre de la nature se fasse sans cause » (De l’Accroissement des sciences, II, xiii, Premier exemple).

Baruch Spinoza (1632-1677) : « À toute chose on doit assigner une cause ou raison, tant du fait qu’elle existe que du fait qu’elle n’existe pas » (Éthique, I, proposition. XI).

Leibniz (1646-1716) : « Aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pour qu’il en soit ainsi et pas autrement » (Monadologie, § 32).

Christian von Wolff ou Wolf (1679-1754) : « Il n’est rien sans sa raison d’être » (Ontologie, § 70).

Selon Arthur Schopenhauer (De la Quadruple racine du principe de raison suffisante, chapitre VIII, § 52, 2e édition, 1847), la signification générale de ce principe de raison suffisante est que
" toujours et partout aucune chose n’existe que par l'intermédiaire d'une autre [immer und überall Jegliches nur vermöge eines Andern ist] " ;
il juge indispensable de le diviser en quatre branches :
le rapport de succession temporelle,
le rapport de contiguïté spatiale,
l’inférence logique,
la causalité des phénomènes physiques et biochimiques.


VII / Principe d’analogie : « Il faut assigner les mêmes causes aux effets naturels de même genre, autant que faire se peut. » Isaac Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, III, " Règles qu’il faut suivre ", 2.

En droit, cela donne le principe de parallélisme des formes : un acte issu d'une procédure ne peut être modifié ou abrogé qu'en suivant cette procédure.


VIII / Principe (ou règle) d’élimination (modus ponens) : Si A implique B (équivalent à " B ou non-A ") et si A, alors B.
Diogène Laërce, Vie, doctrine et sentences des philosophes illustres, VII [Stoïciens], § 80 : « Si le premier, le second ; or le premier ; donc le second ». On peut y associer la règle pascalienne enjoignant de substituer mentalement la définition à la place des définis (De l'Art de persuader).

" Ne perdons jamais de vue la grande règle de définir les termes. " Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article " Alexandre ".

" Si seulement, au lieu de s'indigner, on cherchait à savoir de quoi l'on parle. Avant de discuter, l'on devrait toujours définir. " André Gide, Journal, " Feuillets 1918 ".


IX / Principe (ou règle) du syllogisme :

Si A implique B (B ou non-A) et si B implique C (C ou non-B), alors A implique C (C ou non-A). Aristote, Topique, I, i, 100a25.

Rabelais en donne un exemple plaisant :

" Il n'est (dit Gargantua) point besoin torcher cul, sinon qu'il y ait ordure ; ordure n'y peut être si on n'a chié ; chier donc nous faut devant que le cul torcher. " (Gargantua, XIII).

Louis Couturat, 1868-1914, distinguait, après Aristote, le syllogisme catégorique (tout a est b, et tout b est c, donc tout a est c) et le syllogisme hypothétique (si tout a est b, et si tout b est c, alors tout a sera c).

Paradoxe associé : « Le jambon fait boire, le boire désaltère, par quoi le jambon désaltère. » (Montaigne, Essais, I, 26)


X / Principe de cohérence transitive des choix :

Si A est préféré à B, et B à C, alors A sera préféré à C. Valable uniquement pour un individu ou un groupe de deux. Lors de choix effectués par un groupe de trois personnes ou plus, ce principe de cohérence peut se trouver violé par le choix résultant des préférences des  membres du groupe : c’est le paradoxe de Condorcet, un des aspects de l’irrationalité des foules, approfondi par Kenneth J. Arrow.


Appendices :

I / Christianisme et marxisme :

  Le marxisme introduisit un dualisme logique : la dialectique, qui admet et promeut le contradictoire, l’identité des contraires, le raisonnement circulaire, et que Lénine appelait, a-t-on dit, " l'algèbre de la révolution ", est opposée à la logique classique qui exigeait et exige toujours la non-contradiction.

  En 1947, le stalinien Jean Kanapa opposa le « rationalisme des Facultés de philosophie, confit, desséché et momifié, simple précepte épistémologique » au « rationalisme total, vivant, dialectique ». Mais Staline finit par être obligé, vers 1950, de réintroduire l'enseignement universitaire de cette logique classique. En France, Jean Toussaint Desanti tenta de promouvoir la "science prolétarienne" contre la "science bourgeoise".

  Le dualisme logique prend en sociologie la forme du constructionnisme (construction sociale de la réalité) dont un des partisans, Philippe Corcuff, essaye désespérément d'élaborer une logique autre que celle du raisonnement classique en introduisant un " raisonnement circulaire " (" Entre malentendus sociologiques et impensé politique ", Le Débat, n° 103, janvier-février 1999, page 117), qui rejoint la " logique " hégélienne de l'identité de l'identité et de la différence, et, avant Hegel, le second Pascal, celui du manuscrit inachevé publié sous le titre Pensées.

  On rejoint la circularité chrétienne chère notamment aux papes Jean-Paul II et Benoît XVI : la foi en Dieu fondée sur le témoignage de Dieu, la vérité de la Révélation réservée à ceux qui croient en Dieu, la raison et la foi qui ne peuvent se contredire car [sic] elles viennent toutes deux de Dieu (Voir les §§ 9, 15 et 43 de la Lettre encyclique de Jean-Paul II, Fides et Ratio [La foi et la raison], 15 octobre 1998).

  Philippe de Lara relevait que
" Si grandioses que soient ces tentatives, elles butent sur le mur du non-sens. " (" Nouvelle sociologie ou vieille philosophie ", Le Débat, n° 103, janvier-février 1999, pages 121-129 ; la vieille philosophie en question étant la dialectique hégéliano-marxiste.)

   Pour maintenir à tout prix l'erreur marxiste ou néo-marxiste, il faudrait changer le critère d'appréciation, ici, rien de moins que la logique ... L’idée que l’on a de ce qui doit être fausse alors la vision que l’on a de ce qui estLe réel passe en jugement devant l'irréel.

Maurice Merleau-Ponty soutenait pourtant que le marxisme ne critique la pensée formelle
« qu’au profit d’une pensée prolétarienne [souligné par Cl. C.] plus capable que la première de parvenir à l’"objectivité", à la "vérité", à l’"universalité", en un mot de réaliser les valeurs du libéralisme. » (Humanisme et terreur, Paris : Gallimard, 1947, deuxième partie, chapitre I).

II / Des associations ont considéré comme raciste cette réplique d'Éric Zemmour : 

« Pourquoi [quand on est noir ou arabe] on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C'est comme ça. C'est un fait. » ; phrase rapportée par la presse sous la forme : « Les Français issus de l'immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C'est un fait » (6/3/2010, dans l'émission de Thierry Ardisson).

La formule des probabilités conditionnelles qui relaxe immédiatement Zemmour de l'accusation de racisme, la voici (d'après un article de Jean-Michel Claverie) :

U : univers des possibles
p : probabilité d'un événement E (sous hypothèse d'équiprobabilité) ; p(E) = card(E)/card(U)
I : un individu est immigré (E = I)
T : un individu est trafiquant (E = T)

p(T/I) est la probabilité de l'événement T sachant que l'événement I est réalisé.

p(T/I) = [p(I/T)x p(T)]/p(I)

Ceci d'après les deux manières de calculer p(I∩T), probabilité de "I et T", qui est aussi p(T∩I)

Application numérique :

Si l'on prend :

p(I/T) = 0,5
p(T) = 1/10 000
p(I) = 0,1

alors p(T/I), la probabilité qu'un immigré soit trafiquant, n'est égale qu'à 1/2 000.


Le même traitement mathématique est applicable à la phrase de Dieudonné qui dit que les plus grands escrocs sont pratiquement tous juifs, ce qui ne veut pas dire que les juifs sont pratiquement tous de grands escrocs.

" La plupart des trafiquants sont noirs et arabes " a été lu à l'envers comme signifiant " la plupart des noirs et arabes sont trafiquants ". On comprendra peut-être mieux sur cet exemple :

" la plupart des prisonniers sont des hommes " [exact, 96 %] ne signifie pas " la plupart des hommes sont en prison ".

Mais la correction politique ignore la théorie élémentaire des ensembles, qui apparemment n'est pas enseignée dans les écoles de journalerie (pas plus que la logique).


samedi 22 janvier 2022

DOXOGRAPHIE DE LA DIALECTIQUE



« Il est possible que je me sois mis dans l'embarras. Mais avec un peu de dialectique, on s’en tirera toujours. J’ai naturellement donné à mes considérations une forme telle qu’en cas d'erreur, j’aurais encore raison. [Es ist möglich, daß ich mich blamiere. Indes ist dann immer mit einiger Dialektik zu helfen. Ich habe natürlich meine Aufstellungen so gehalten, daß ich im umgekehrten Fall auch Recht habe]. » Karl Marx, lettre à Friedrich Engels, 15 août 1857.
Jean Wahl : « MATÉRIALISME DIALECTIQUE

  Deux beaux mots. Le premier fait appel à une forme de l’entendement révolutionnaire, à l’instinct de "honte arborée", et le deuxième à l’orgueil. De sorte que le snobisme à rebours et le rebours tout court trouvent à la fois leur compte. Mon premier est ce qu’il y a de plus bas. Mon second est ce qu’il y a de plus haut. Reste à savoir si mon tout n’est pas un attrape-nigauds. » (" Satire ", Nouvelle Revue Française, juin 1938). 

* * * * *

   Parmi les conséquences dans les différents domaines de la philosophie de la sociologie de la connaissance, ou sociologie de la culture, qui considère l'objectivité scientifique comme relevant du sociologique ou de l’historique plus que du logique, on pense à l'opposition entre l'histoire dite bourgeoise et le matérialisme historique, à la science prolétarienne opposée à la science bourgeoise, puis à un dualisme logique. La dialectique marxiste, qui admet et promeut le contradictoire, l’identité des contraires (renouvelant la coïncidence des opposés du théologien allemand du XVe siècle Nicolas de Cues), le raisonnement circulaire, et que Lénine appelait, a-t-on dit,  " l'algèbre de la révolution ", est opposée à la logique classique qui exigeait et exige toujours la non-contradiction.

   En 1947, Jean Kanapa opposait le « rationalisme des Facultés de philosophie, confit, desséché et momifié, simple précepte épistémologique » à pas moins que le « rationalisme total, vivant, dialectique ». Mais Staline finit par être obligé, vers 1950, de réintroduire l'enseignement universitaire de cette logique classique. Dualisme biologique aussi, au moins le temps que dura la renommée de Mitchourine et Lyssenko, négateurs de l'hérédité. Quant au dualisme linguistique, un temps envisagé, il fut écarté, en 1950, par l'указ de Staline : la langue n'est pas une superstructure, elle n'émane pas de la bourgeoisie – mais une « guerre du genre des mots » se trouve pratiquée par le mouvement PC (politically correct), notamment par ses composantes féministe et homosexuelle, cette dernière s’incarnant actuellement dans une " Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans (Inter-LGBT) ", annonciatrice des LGBTQQIA+. Enfin, on assiste depuis peu à l'émergence d'une inquiétante écriture dite " inclusive " qui réveille ce dualisme.

  La dialectique apparaissait dans la France des années 1950 comme la panacée, la solution des problèmes du monde (un peu à la manière dont la Scientologie de Ron Hubbard présente sa dianétique). Elle se définit tantôt comme une méthode, tantôt comme une logique, mais elle n’est finalement qu’une indigente et inféconde grille de lecture, notamment quand on la compare aux Lois de la pensée de George Boole (1815-1864) et aux travaux semblables de William Stanley Jevons (1835-1882), œuvres quasi contemporaines de celles du militant Karl Marx, et d’où découle toute la science et la technique de l’information. Jean Grenier (1898-1971) décrivait cette dialectique comme « l’illogisme érigé en méthode suprême ». Par ailleurs, des grilles antérieures de bien meilleure qualité que cette dialectique marxiste avaient été avancées sous les dénominations anciennes de genres, catégories ou universaux.

* * * * *
« La dialectique n'est qu'un savoir logique implicite, qui ne formule aucune de ses lois, et, en tant qu'art du dialogue, elle est parfois plus proche de la rhétorique que de la logique, entendue comme science de la déduction. [...] Les Stoïciens appelaient " dialectique " ce que nous nommons " logique ". » (Jean-Pierre Belna, Histoire de la Logique, chapitre I " La logique grecque ", Paris : Ellipes, 2005)

Genres, catégories, universaux :

Cinq genres platoniciens :
« L’Être, le Repos, le Mouvement, l’Autre, le Même […] il n’y a pas moins de cinq genres […] la nature des genres comporte la communication réciproque. » (Platon, Le Sophiste, 254e-257a).
Cette « communication réciproque », et la présence du Mouvement, répond par avance aux reproches que les marxistes firent à la métaphysique classique (qu’ils ne connaissaient pas) d’ignorer les relations, le contexte, le mouvement.


Dix catégories aristotéliciennes  de l’être : substance, quantité, manière d’être, relation ; endroit, moment, position, équipement, action, passion. » (Aristote, Catégories, IV, 1b)


Quatre catégories stoïciennes : substrat ou substance, qualités stables, manières d’être contingentes et manières d’être relatives (Stoicorum Vetera Fragmenta, II, 369 sqq.)

Sept catégories cartésiennes : esprit, grandeur, repos, mouvement, relation, figure, matière.

Douze catégories kantiennes :
Quantité
unité
pluralité
totalité 

Qualité
réalité
négation
limitation

Relation
inhérence et subsistance
causalité et dépendance
communauté [Causalité d’une susbstance dans la détermination des autres]


Modalité
possibilité – impossibilité
existence – non-existence
nécessité [Existence donnée par la possibilité] - contingence


Deux catégories marxistes : la matière, le mouvement.

Cinq universaux :
Le philosophe néo-platonicien Porphyre de Tyr (vers 234 / vers 305) : le genre, l’espèce, la différence spécifique, le propre, l’accident.


Doxographie :

Héraclite, fragment B 8 : l’opposé est utile, et des choses différentes naît la plus belle harmonie [et toutes choses sont engendrées par la discorde]
B 10 : peut-être la nature se réjouit-elle des contraires et sait-elle en dégager l’harmonie, alors qu’elle ne s’intéresse pas aux semblables ; tout de même sans doute que le mâle se rapproche de la femelle, ce que ne font pas les êtres de même sexe.
B 51 : les hommes ne savent pas comment le différent concorde avec lui-même
B 53 : conflit [guerre, combat] est le père de tous les êtres, le roi de tous les êtres.
B 87 : Un sot à chaque λόγος [mot, argument ou vérité] paraît hébété.

Zénon d’Élée [paidika de Parménide] : Aristote [Sophiste, ouvrage perdu] dit que Zénon fut l’inventeur de la dialectique (Diogène Laërce, L, Vies ..., IX, v, 25 ; voir aussi Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII, 7)

L’ancienne dialectique :

Platon, République, VII, 532ab : dialectique : entreprendre par l’exercice du dialogue, sans les sens mais avec la raison, de tendre vers l’être de chaque chose et de parvenir au terme de l’intellection
534b : dialecticien : celui qui est capable de saisir la raison [concept socratique] de l’essence [concept central de la métaphysique des formes] de chaque chose
534e : la dialectique réside au sommet de nos enseignements
536d : la formation propédeutique doit être inculquée avant la formation dialectique
537c : produire une vue synoptique de la parenté des enseignements : épreuve pour distinguer le naturel dialectique de celui qui ne l’est pas ; celui qui peut accéder à une vue synoptique est dialecticien539.

Dialectique : savoir qui appartient aux hommes libres ; division des choses par classes, éviter de croire qu’une classe est une autre, ou qu’une classe différente est identique (Platon, Sophiste, 253cd).

Dialecticien : celui qui sait interroger et répondre (Cratyle, 390c)

Phèdre, 261d : technique de l’Éléate Palamèdes [Zénon d’Élée] capable de donner [aux] auditeurs l’impression que les mêmes choses étaient à la fois semblables et non semblables, unes et multiples, en repos et en mouvement.

Ménon, 75d : manière dialectique : faire usage de ces éléments que la personne questionnée dit connaître.

Dialegesthai : controverser afin d’arriver à un accord sur un sens. Mais la langue devient la pire des choses (Ésope) lorque l’on bavasse sans se soucier du sens des mots, ou en jouant sur leur sens.


Aristote : Rhétorique, dialectique, analytique

Les substances n’ont pas de contraires (Catégories, V, 3b25). Aristote critique par avance la nouvelle dialectique marxiste.

La dialectique procède par interrogations ; elle n’est concernée par aucune classe d’objets. (Seconds analytiques, I, 77a)

Il est impossible pour le même attribut d’appartenir et de ne pas appartenir à la même chose et dans la même relation. (Métaphysique, Γ (IV), 1005b20).

Des propositions contradictoires relatives à un sujet ne peuvent être vraies (Sur l’interprétation, XII)

« L’invraisemblable est vraisemblable » : ce qui produit la duperie, c’est que l’on n’ajoute pas : dans quelle mesure, sous quel rapport, de quelle manière. Rhétorique, 1402a13.

La vie est dans le mouvement. (De anima, I, 2)


Commentaire d'Henri Bergson :
« Un Platon, un Aristote adoptent le découpage de la réalité qu’ils trouvent tout fait dans le langage : « dialectique », qui se rattache à διαλέγειν, διαλέγεσθαι, signifie en même temps « dialogue » et « distribution » ; une dialectique comme celle de Platon était à la fois une conversation où l’on cherchait à se mettre d’accord sur le sens d’un mot et une répartition des choses selon les indications du langage. »

Diodore d’Iasos (-IVe / -IIIe siècle) : toute proposition est, en vertu du principe du tiers exclu, vraie ou fausse.

Chrysippe de Soles (-IIIe siècle) : Contre ceux qui pensent que ce qui est faux peut être en même temps vrai.

Cicéron (-106/-43) : Diodore [d'Iasos], puissant dialecticien ; proposition faite de propositions contradictoires, et l’événement, selon le principe posé [principe de non-contradiction], ne peut avoir lieu. (De Fato [Du destin], VI, 12).
Si une assertion qu’on énonce n’est ni vraie ni fausse, du moins elle n’est pas vraie ; mais comment ce qui n’est pas vrai pourrait-il n’être pas faux, ou ce qui n’est pas faux n’être pas vrai ? On tiendra donc, comme le soutient Chrysippe [de Soles, -IIIe siècle], que toute assertion est ou vraie ou fausse. (De Fato, XVI, 38)

Diogène Laërce : « Parmi les philosophes [...] dialecticiens furent appelés tous ceux qui s'occupent de la subtilité des raisonnements. [...] La dialectique est la partie qui s'occupe des raisonnements des deux autres parties [la physique et l'éthique]. » Vies et doctrines... I, Prologue, § 17.

Diogène Laërce : « La dialectique, comme le dit Posidonios [d'Apamée], est la science de ce qui est vrai, de ce qui est faux et de ce qui n'est ni l'un ni l'autre. Elle concerne, comme le dit Chrysippe [de Soles], les signifiants et les signifiés (1). » Vies et doctrines... VII, Zénon, § 62.
1. " une véritable science du langage et du raisonnement, portant sur les signifiants et les signifiés. Par cette conception, les Stoïciens ont préparé la dialectique à devenir un des arts libéraux. " (Jean-Baptiste Gourinat).



Métaphore du bâton courbé :

Solution classique : Sénèque le Jeune (vers 4/65) : « On ne redresse ce qui est tordu qu’avec une règle. » (Lettres à Lucilius, XI, 10).

Solution dialectique : Plutarque : « Voulant redresser un morceau de bois, on le courbe de l’autre côté. » (Comment distinguer le flatteur de l’ami, 66D). [Idée reprise par Montaigne (Essais, III, x, 1006, et

« Il faut avertir à coups de fouet les mauvais disciples, quand la raison n'y peut assez, comme par le feu et violence des coins nous ramenons un bois tortu à sa droiture. » III, xii, 1045

puis par Descartes (lettre à Mersenne, janvier 1630)]

Louis Althusser (1918-1990) :
« Lorsque Lénine dit : pour redresser le bâton, il faut le courber dans l’autre sens, il refuse l’idéologie de l’efficacité de la vérité pure. Il reconnaît que les idées ont un corps, qui résiste, qu’elles ont une existence matérielle (...) Pour changer les idées, il ne suffit pas de ’dire la vérité’, il faut modifier le rapport de forces qui donne aux idées (fausses, vraies) leur existence sociale ». Projet d’ entretien avec Luis Crespo et Juan Senent-Josa, 1974, Archives Imec (cote ALT2. A46-02.01 1).
‎"Le bâton courbé" par François RICCI [mon prof de philosophie en terminale au lycée Masséna de Nice]
Résumé :
" Quand un bâton est courbé dans un sens, il faut le courber dans l'autre sens", cette idée que Althusser avait présentée dans sa Soutenance d'Amiens comme caractérisant le marxisme est déjà dans l'expérience cartésienne du doute et de la pensée. Si, pour forcer les idées à changer, il faut, selon Althusser, leur imposer une contre-force qui annule la première, ne va-t-on pas alors de courbure en contre-courbures et contre-contre-courbures, c'est-à-dire en déviations ? " Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, Nice 1977, n° 32, pages 117-129.
* * * * *

Augustin : la dialectique est l’art des arts, la discipline des disciplines ; elle sait apprendre, elle sait instruire ; elle veut rendre les hommes sages, et le fait. (De Ordine, II, xiii, 38).

Commentaire de Martin Heidegger : dialectique : la plus haute dimension de la pensée dans le cours historique de la métaphysique (Principes de la pensée, 1958)


Au Moyen Âge :

Trivium : Rhétorique, dialectique, grammaire (arts libéraux). Les quatre opérations de cette dialectique (qui n’a rien de pré-marxiste) sont alors la division, la résolution, la définition et la démonstration.
Quadrivium : arithmétique, musique, géométrie, astronomie.

On peut voir une source lointaine de la dialectique hégéliano-marxiste chez Jean Scot Érigène (vers 812 - 877), inventeur de la fameuse méthode super, qui note le dépassement de la contradiction par synthèse de deux jugements contraires :
Dieu est essence ;
Dieu n’est pas essence :
Dieu est superessentiel.

Et chez Nicolas de Cuse (1401-1464) : coïncidence des opposés en Dieu.



Schéma Cl. Collin


Blaise Pascal (1623-1662), Pensées :

On y trouve, étonnamment, les principaux éléments des dialectiques hégélienne et marxiste : mouvement, contradictions, unité des contraires.

« Ces extrémités se touchent et se réunissent à force de s’être éloignées [Cf Montaigne, Essais, I, liv, page 311 de l'édition Villey/PUF : " choses qui se tiennent par les deux bouts extrêmes ".], et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement. » (Br. 72)
« Notre nature est dans le mouvement ; le repos entier est la mort. » (Br. 129)
« Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. » (Br. 327)
"Nous avons détruit l’opinion qui détruisait celle du peuple. Mais il faut détruire maintenant cette dernière proposition, et montrer qu’il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines." (Br. 328)
« Tous leurs principes sont vrais [pyrrhoniens, stoïciens, athées] leurs conclusions sont fausses, parce que les principes opposés sont vrais aussi. » (Br. 394)

« Cette duplicité de l’homme est si visible, qu’il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes.»  (Br. 417)
Critique de Voltaire : « J’aimerais autant dire que le chien qui mord et qui caresse est double »

« Suivons nos mouvements, observons-nous nous-mêmes, et voyons si nous n’y trouvons pas les caractères vivants de ces deux natures [avant et après le péché]. Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple ? » (Br. 430)
« Les deux raisons contraires. Il faut commencer par là : sans cela on n’entend rien, et tout est hérétique.
En Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées. » [Cf Nicolas de Cuse]. (Br. 684)
« La source de toutes les hérésies est de ne pas concevoir l’accord de deux vérités opposées [juste - pécheur, mort - vivant, élu - réprouvé, etc.]. » (Br. 862)

« Les parties du monde ont toutes un tel rapport, un tel enchaînement l’une avec l’autre, que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre, et sans le tout. » (Br. 72). Critique par Voltaire de cette anticipation de la pensée systémique : « Consolons-nous de ne pas savoir les rapports entre une araignée et l’anneau de Saturne, et continuons à examiner ce qui est à notre portée. »

Édition de Port-Royal des Pensées (1670) : « Ne parier point que Dieu est, c’est parier qu’il n’est pas » ; cf  l'Évangile selon Matthieu, XII, 30 : "Qui n'est pas avec moi est contre moi [Qui non est mecum, contra me est]." Objection de Voltaire : celui qui doute et demande à s’éclairer ne parie assurément ni pour ni contre. 

Spinoza : Toute détermination [ou limitation] est une négation (1). (Lettre, 50, à Jarig Jelles)

Gottfried Wilhelm Leibniz : « Sa théorie s’appuie sur un faux principe qu’il [Descartes] s’efforce à nouveau d’introduire ici [article 59] (à savoir que le repos serait le contraire du mouvement) ». (Remarques sur la partie générale des Principes de Descartes).

 
Dialectique selon Immanuel Kant (1724-1804) :
" Usage de la logique générale pour donner l’illusion d’affirmations objectives ; la dialectique n’était rien d’autre [pour les Anciens] que la logique de l’apparence. " (Critique de la raison pure, LT, Introduction, III)
Dialectique transcendantale : étude et critique de l’illusion. (DT)
Penchant à sophistiquer contre les règles du devoir. (FMM)


Et selon Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) :
La vérité n’est complète que dans l’unité de l’identité avec la différence (Science de la logique). Pour le philosophe de Iéna, le vrai est le tout, et le tout est l’essence s’accomplissant à travers son développement (Phénoménologie de l’esprit, Préface, II). Il y a là « définitions » circulaires de la vérité, de la totalité et du mouvement. La contradiction (ou négativité) serait la racine de tout mouvement [À quoi on peut objecter que l’opposition des contraires est tout autant facteur d’équilibre que du changement] et de toute vivacité ; « ce n’est que dans la mesure où quelque chose a en soi une contradiction qu’elle se meut, qu’elle possède une force et une activité. » 

Triade « thèse, antithèse, synthèse [certains diront : foutaise] » ; union des contradictoires en une catégorie supérieure ; c’est une élaboration de la " méthode super "de Scot Érigène.


Arthur Schopenhauer (MVR) :

Dialectique : art puéril de déraisonner ; combinaisons les plus insensées de termes contradictoires.
Les hégéliens ont une vénération pour le principe de [Baruch] Spinoza : « Toute détermination [ou limitation] est une négation » (Lettre, 50, à Jarig Jelles) ; fidèles à l’esprit charlatanesque de leur école, ils ont l’air de considérer ce principe comme s’il était capable de faire sortir le monde de ses gonds.


Karl Marx (1818-1883) et les marxistes :

Karl Marx affirmait en 1844 que Ludwig Feuerbach (1804-1872) avait remis la dialectique sur ses pieds alors qu’elle marchait sur la tête.

« La question : s'il y a lieu de reconnaitre à la pensée humaine une vérité objective, n'est pas une question de théorie, mais une question pratique. Dans la pratique l'homme doit prouver la vérité, c'est à dire l’effectivité et la puissance,  la Diesseitigkeit [l’immanence, le caractère terrestre] de sa pensée dans ce monde et pour notre temps. La discussion sur l’effectivité ou la non effectivité d'une pensée qui s'isole de la pratique est une pure question  scolastique. » (Karl Marx, L'Idéologie Allemande - Deuxième thèse sur Feuerbach. 1846).

« La nature de Proudhon le portait à la dialectique. Mais n'ayant jamais compris la dialectique vraiment scientifique, il ne parvint qu'au sophisme. En fait, c'était lié à son point de vue petit-bourgeois. Le petit-bourgeois, tout comme notre historien Raumer, se compose de " d'un côté " et de " de l'autre côté ". Même tiraillement opposé dans ses interêts matériels et par conséquent ses vues religieuses, scientifiques et artistiques, sa morale, enfin son être tout entier. Il est la contradiction faite homme. » (Karl Marx, lettre à J. B. Schweitzer, 24 janvier 1865).

« Toute action humaine peut être envisagée comme une abstention de son contraire. » (Karl Marx, Le Capital, XXIV, iii). Mais n’est-ce pas s’aventurer que d’affirmer qu’une action a un unique contraire, bien défini ?

Prophétie d’origine hégélienne : La lutte des classes doit aboutir à une société sans classes ni État.

« Le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme » (Marx, Le Capital, t. I)

« Principe fondamental de la dialectique : il n’existe pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète » (Vladimir I. Lénine).

« La dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses » (Vladimir I. Lénine, Cahiers philosophiques).

« La dialectique est la théorie qui montre comment les contraires peuvent être et sont habituellement (et deviennent) identiques – dans quelles conditions ils sont identiques en se convertissant l’un en l’autre [Cf George Orwell : « WAR IS PEACE, FREEDOM IS SLAVERY, IGNORANCE IS STRENGTH. » (1984)] – l’entendement humain doit prendre ces contraires pour vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre » (V. I. Lénine, Cahiers philosophiques).
Ainsi un progressiste devient réactionnaire, un ami de 30 ans un rival, les premiers les derniers. Mais pas sous le même rapport, comme avertissait déjà Aristote de Stagire.

La dialectique, « science fondamentale du prolétariat » (Jean-Toussaint Desanti).

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Contraires et contradictoires, au sens strict : les propositions contradictoires ne sont jamais ni vraies ni fausses ensemble ; les contraires ne peuvent jamais être vraies ensemble ; mais elles peuvent être toutes deux fausses.
Actuellement, notamment en théorie des probabilités, contraire prend la signification de contradictoire.

Les dichotomies théorie-pratique, création-production, bourgeois-prolétaire, abstrait-concret, dialectique-mécanique, forces productives – rapports de production, vie-mort, sont des postulats qui   ne s’avouent pas, présentés comme des évidences. La dialectique binaire s’oppose à la continuité des formes et surtout à la connaissance ouverte, non instrumentalisée. Or ce dualisme n’est pas pertinent ; la mort n’est pas le « contraire » de la vie (X avant sa naissance n’est ni mort ni vivant) ; strictement parlant, la négation est un opérateur qui ne s’applique qu’aux propositions ; « Voltaire est mort » est bien le contraire de « Voltaire est vivant ». Cf la remarque de Jacques Monod.

De plus, il y a la mort propre et la mort de l’autre, la mort réelle, la mort imaginée, la mort symbolique, etc.

Paradoxes de la non-contradiction (dus à des confusions entre contraires et contradictoires) : Russell : le roi de France (n’) est (pas) chauve. Chrysippe : ce que tu n’as pas perdu, tu l’as.


Jacques Monod, biologiqte, né à Paris en 1910 - décédé le 21 mai 1976 à Cannes (Alpes-Maritimes) : « Puisque, donc, la pensée est partie et reflet du mouvement universel, et puisque son mouvement est dialectique, il faut que la loi d’évolution de l’univers lui-même soit dialectique. Ce qui explique et justifie l’emploi de termes tels que contradiction, affirmation, négation, à propos de phénomènes naturels. […] le prophétisme historiciste fondé sur le matérialisme dialectique était, dès sa naissance, lourd de toutes les menaces qui se sont, en effet, réalisées. Plus encore peut-être que les autres animismes, le matérialisme dialectique repose sur une confusion totale des catégories de valeur et de connaissance. C’est cette confusion même qui lui permet, dans un discours profondément inauthentique, de proclamer qu’il a établi "scientifiquement" les lois de l’histoire auxquelles l’homme n’aurait d’autre recours ni d’autre devoir que d’obéir, s’il ne veut entrer dans le néant. » (Le Hasard et la nécessité, 2, 9, Paris : Seuil, 1970).


André Comte-Sponville :
« Au sens ontologique, ce [la contradiction] serait la présence, dans le même être, de deux propriétés incompatibles (auquel cas l’être en question ne saurait subsister) ou opposées. En ce dernier sens, qui est un sens vague, mieux vaut parler d’ambivalence, de discordance ou de conflit. Cela évitera de prendre la dialectique pour une nouvelle logique, quand elle n’est qu’une nouvelle grille de lecture, voire une nouvelle  rhétorique. » (Dictionnaire philosophique, « Contradiction »)
« La dialectique, c’est sa fonction, a réponse à tout […] C’est l’art de se donner raison dans le langage, quand bien même tout le réel nous donnerait tort. C’est bien commode. C’est bien vain. Un dialecticien un peu talentueux est toujours invincible, au moins intellectuellement, puisqu’il peut à chaque fois intégrer la contradiction même qu’on lui oppose dans son propre développement, et la dépasser par là. Si tout est contradictoire, que nous fait une contradiction ? Ainsi la dialectique est sans fin. C’est le bavardage de la raison, qui fait mine de se contredire toujours pour ne se taire jamais. » (Dictionnaire philosophique, « Dialectique)


Dans son Traité d'athéologie (2005), Michel Onfray semblait favorable au marxisme, comme d'ailleurs à Sigmund Freud qu'il a démoli récemment (2). Il y évoque à trois reprises une dialectique, très probablement marxiste : "jeux dialectiques" (Théocratie, III, 4), "pensons de manière dialectique" (III, 10), "avançons de manière dialectique" (III, 12).

Jean-Claude Michéa, "la méthode dialectique, qui procède toujours « de l’abstrait au concret »".  C'est bien la faille de cette méthode, la pensée devant procéder par allers et retours entre l'abstrait et le concret, ou plus précisément entre les différents niveaux d'abstraction et de concrétisation. Cette faille est fréquente chez les gens qui n'ont aucune formation scientifique.


NOTES

1. Négations active et passive de : A croit p.
Non (A croit p) = A ne croit pas p
A croit Non (p)
La négation passive du mouvement est le repos, les négations actives les mouvements dans des directions différentes. Déjà Leibniz : « Je pense que le mouvement opposé est plus contraire à un autre mouvement que ne l’est le repos. » (Remarques sur Descartes, articles 54, 55).
La négation passive de l’obligation est la non-obligation, la négation active l’interdiction.

2.  " Les Lumières qui suivent Kant sont connues : Feuerbach, Nietzsche, Marx, Freud entre autres. " (Introduction, 5). " Le désir de faire rentrer par la fenêtre la Bible et autres colifichets monothéistes que plusieurs siècles d'efforts philosophiques ont fait sortir par la porte - dont les Lumières et la Révolution française, le socialisme et la Commune, la gauche et le Front populaire, l'esprit libertaire et Mai 68, mais aussi Freud et Marx, l'école de Francfort et celle du soupçon des nietzschéens de gauche français ... - c'est proprement et étymologiquement consentir à la pensée réactionnaire. " (Athéologie, II, 4). " Tout ce qui définit habituellement le fascisme se retrouve dans la proposition théorique et la pratique du gouvernement islamique [...] la haine des Lumières - raison, marxisme, science, matérialisme, livres. " (Théocratie, III, 8).

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